Grève à la SNCF : "Le but, c’est de faire du train pour moins cher"

Trois organisations syndicales cheminotes ont appelé à la grève le 12 décembre 2013, pour dénoncer la réforme ferroviaire qui doit aboutir à une ouverture du transport ferroviaire français à la concurrence. Entretien avec un cheminot, syndiqué à SUD Rail.

Pourquoi appeler à la grève le 12 décembre ?

SUD Rail, l’UNSA et la CGT appellent à la grève pour combattre la réforme du ferroviaire prévue pour le 1er janvier 2015. Le projet doit être débattu au Parlement au cours du premier semestre 2014. Pour nous, cette réforme est très dangereuse. Elle ne respecte en rien la vie professionnelle cheminote, et pose des problèmes en termes de sécurité.

Aujourd’hui, la SNCF est un Établissement public à caractère industriel et commercial, et Réseau Ferré de France (RFF), qui est propriétaire et gestionnaire du réseau ferré national, constitue un EPIC distinct. Le projet proposé consiste à créer trois EPIC indépendants les uns des autres :

  • un EPIC « de tête », c’est-à-dire un EPIC dirigeant, qui à notre avis scellera l’avenir de la privatisation sans que les représentants du personnel des autres EPIC puissent peser sur la politique de l’entreprise ;
  • un EPIC « transport », regroupant les gares et les trains, qui pourront à terme être filialisés, voire privatisés par appel d’offres ;
  • un EPIC « infra », chargé de l’entretien des voies, du réseau électrique, etc., c’est-à-dire ce qui coûte le plus cher.

L’entretien des infrastructures resterait le cœur de métier de la SNCF, et serait financé grâce aux impôts des contribuables français. Cette activité ne serait ni privatisée, ni filialisée. En revanche, le transport, qui représente une manne financière potentielle pour les entreprises privées, serait ouvert à la concurrence.

Quelles sont vos revendications ?

Nous voulons un établissement unique comprenant RFF, c’est-à-dire une seule SNCF, avec un statut unique. Cela permettrait d’avoir une liaison avec tous les métiers et tous les besoins, de mettre en place une gestion autonome, et de construire une vraie force professionnelle. L’accident de Brétigny est imputable à la découpe entre RFF et les infrastructures : on ne sait plus qui est donneur d’ordre, ce qui constitue un danger pour la sécurité. Avec la réforme, l’EPIC transport ne pourra pas intervenir sur l’EPIC « infra », même si des dysfonctionnements sont constatés.

Pourquoi tous les syndicats n’appellent-ils pas à faire grève le 12 décembre ?

Dans certains endroits, Force Ouvrière fera également appel à ses militants. En revanche, la CFDT est plutôt favorable à la réforme et s’est déclarée prête à étudier les conditions de mise en œuvre du projet de la direction.

Comment les cheminots réagissent-ils au projet de réforme et à l’appel des syndicats ?

Ce n’est pas la première grève à laquelle on appelle, et il y en aura d’autres. Les cheminots sont interpellés par ce dossier. Pour nous, la majorité des cheminots est opposée au projet, mais le système managérial mis en place favorise l’inquiétude et le fatalisme parmi les agents. Beaucoup de cheminots sont indécis, voire acceptent les réformes en espérant qu’ils ne seront pas personnellement impactés. Le rôle des syndicats est de leur faire comprendre les tenants et les aboutissants de ce dossier, qui est complexe.

Aujourd’hui, la direction prétend avoir entendu certaines de nos revendications, comme le retour de RFF dans le giron de la SNCF, mais cela ne se ferait pas dans le cadre d’une SNCF unifiée comprenant un seul établissement, comme nous le demandons. Pourtant, un établissement unique est la condition pour que le professionnalisme et la sécurité soient au rendez-vous, sans que notre statut et la réglementation du travail soient remis en cause.

Par ailleurs, l’Etat travaille sur un projet de convention collective qui serait largement en-dessous du RH0077, qui est en quelque sorte le Code du travail cheminot et constitue pour nous un minimum. Cela reviendrait à casser notre statut et nos conditions de travail, et conduirait à la précarité des agents et à la mise en danger des usagers.

Quel sera l’impact des réformes sur les usagers ?

Les usagers sont déjà impactés par les désinvestissements au niveau des infrastructures et de l’entretien des voies qui remontent aux années 70. La séparation entre la SNCF et RFF a également eu un impact. Depuis quelques temps, d’énormes travaux sont engagés sur des sillons horaires très importants pour les usagers, ce qui entraîne une baisse de la circulation des trains et une dégradation de la qualité de service : on constate des suppressions de trains, des retards, etc.

La réduction du nombre de trains correspond donc à une volonté de la direction et a un lien avec la réforme projetée ?

La réduction du nombre de trains s’explique par plusieurs facteurs, notamment la régionalisation. Cependant, la réforme constituera un aboutissement. Pendant des années, la qualité de service a été dégradée, ce qui permettra demain de dire aux usagers : « Regardez, les cheminots coûtent cher, et ils ne savent pas travailler ». La direction pourra donc justifier l’ouverture à la concurrence en faisant miroiter aux usagers une amélioration du service grâce aux entreprises privées. En réalité, l’ouverture de la concurrence n’entraînera que de la précarité pour les travailleurs du rail, sans amélioration de la qualité du service. Le but du jeu, c’est de faire du train pour moins cher.

Qu’avez-vous prévu de faire le 12 décembre ?

A Tours, une assemblée générale est prévue au Foyer des cheminots à 9 heures. Ensuite, nous partirons certainement en manifestation jusqu’à la préfecture pour un rassemblement à 11 heures. Le 12 décembre n’est que le point de départ d’un mouvement qui devra s’amplifier et se durcir pour faire reculer la direction et le gouvernement.

Illustrations : photos de la grève des cheminots de 1910