Gestion de l’eau à Saint-Pierre-des-Corps : « Veolia payait des publicités dans le journal municipal »

En 2013, la ville de Saint-Pierre-des-Corps, dirigée depuis 1922 par le parti communiste français, est revenue à une gestion municipale de la distribution d’eau. Patrick Bourbon, conseiller municipal d’opposition (liste 100% à Gauche-NPA) a longtemps milité pour cette municipalisation de l’eau. Il expose ici les difficultés et les surprises rencontrées au cours de ce long combat...

La distribution de l’eau à SPDC a été municipalisée en janvier 2013. Quelle était la situation avant ?

Patrick Bourbon : Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, lors de la « reconstruction », la distribution de l’eau a été confiée à une petite entreprise, la Compagnie fermière. A Saint-Pierre, la distribution de l’eau n’a jamais été publique. Au début des années 90, cette petite entreprise a été rachetée par la Générale des Eaux qui elle-même est devenue Veolia. C’est ainsi que la gestion de l’eau potable à Saint-Pierre est passée entre les mains d’une multinationale (c’est la concentration du capital).

Que veut dire « municipaliser la distribution de l’eau » ?

Avant janvier 2013, la distribution de l’eau était « déléguée » à Veolia par un contrat de Délégation de Service Public (DSP). Veolia (le délégataire) remettait tous les ans un rapport à la municipalité pour le moins abscons où étaient mélangés des chiffres nationaux, régionaux et locaux pour justifier que Veolia faisait bien son travail. Municipaliser la distribution de l’eau, c’est mettre fin à la DSP et reprendre cette gestion en régie, c’est à dire que c’est le conseil municipal qui décide de tout, notamment en fixant le prix de l’eau.

Quelles ont été les difficultés techniques de cette municipalisation à SPDC ?

Reprendre en main cette distribution commence par prendre connaissance des caractéristiques techniques du réseau : quels types de pompes sont utilisés ? où sont les compteurs et quand ont-ils été changés ? où sont les canalisations et quand ont-elles été renouvelées ? quel est l’état des châteaux d’eau ?… Des données que les services techniques de la Ville n’ont pas et qui sont essentielles pour un passage réussi en régie. C’est à ce moment-là qu’on s’aperçoit que Veolia a facturé des travaux qui n’ont pas été effectués.

Vous avez milité pendant un temps assez long pour cette municipalisation, on devrait presque s’en étonner dans une commune « communiste »...

C’est cet étonnement qui fait que nous avons mené dès 2007 une campagne pour la municipalisation de l’eau en pensant que cela relevait du bon sens. L’association de consommateurs UFC-Que choisir rapporte que les prix de l’eau sont inférieurs de 20 % dans les régies municipales par rapport aux DSP. Mais nous nous sommes très vite aperçus que la majorité municipale allait développer des arguments fallacieux pour nous contrer. Les véritables raisons étaient bien différentes : Robert Hue, qui fut un temps secrétaire national du PCF, a révélé que Veolia finançait les activités du PCF, notamment en accordant des publicités dans ses publications. Localement Veolia, par contrat, payait 2 pages de publicité dans la revue municipale et participait financièrement à la « semaine de l’Énergie » et à la restauration de la « Locomotive ».

Lors d’une réunion publique, le bureau d’étude mandaté par Marie-France Beaufils avait conclu, au terme d’une étude qui avait coûté 25 000 euros à la ville, que Veolia travaillait à perte sur Saint-Pierre et que, par conséquent, le passage en régie allait surenchérir le prix de l’eau de 25 % et qu’il n’était pas question d’imposer ça à la population économiquement faible de Saint-Pierre.

Mais nous avons gagné la « municipalisation » en bataillant au sein du conseil municipal et en exigeant un référendum local. Nous avons organisé deux réunions publiques et distribué régulièrement à la population des tracts développant nos arguments, nous avons fait signer une pétition qui a recueilli 1 200 signatures en moins de deux semaines.

Où en est la régie municipale au bout de trois ans d’existence ?

C’est une réussite totale : la régie dégage un excédent annuel d’au moins 350 000 euros, sur un budget de 3,8 millions, investissements compris. Soit un taux de rentabilité à deux chiffres (10 %) ! C’est cela de moins dans la poche des actionnaires de Veolia, et cela montre bien que la multinationale profitait largement de la situation. Les prix au m3 des deux premières tranches de consommation ont été diminués et l’abonnement a été divisé par deux, ce qui correspond à une baisse globale du prix de l’eau. Mais nous nous battons pour une tarification sociale du prix de l’eau, notamment en fixant le prix en fonction du quotient familial.

Cependant, en entament tardivement le processus de municipalisation, la municipalité de Saint-Pierre n’était pas prête au 1er janvier 2013 à prendre en charge certains aspects techniques de la gestion du réseau. Il a donc fallu faire appel à un prestataire privé. Comble de l’ironie, celui-ci fut de nouveau…. Veolia. Sortie par la porte, la multinationale entre de nouveau par la fenêtre ! Un comble !

Nous nous battons pour que toutes ces prestations encore dévolues à Veolia soient reprises en totalité en régie.

Aujourd’hui d’autres contrats arrivent à terme pour certaines communes de l’agglomération, quels écueils doivent-elles éviter ?

Tout d’abord dénonçons l’hypocrisie des socialistes jocondiens qui proposent, maintenant qu’ils ne sont plus aux affaires, de passer l’eau en régie sur Joué-lès-Tours. Dans tous les cas, le problème sera résolu au plus tôt au 1er janvier 2017 si Tours devient « métropole » ou au plus tard au 1er janvier 2020 car la compétence « eau » devient obligatoire pour les agglomérations.

Nous pensons que la gestion de l’eau et de l’assainissement au niveau de l’agglomération est une bonne chose parce que c’est à cette échelle que sont posés les problèmes, comme la diminution des coûts par l’achat groupé des pompes par exemple, et pour pouvoir peser fortement sur Veolia qui conserve un gros pouvoir de nuisance. Mais il faut désormais une réelle volonté politique pour faire passer l’ensemble de l’agglomération en régie.

Or, cette volonté n’existe pas, comme le montre la position de la municipalité de Joué-lès-Tours. Il va falloir continuer de se mobiliser pour une régie de l’eau unique sur l’ensemble de l’agglomération.