Le jeudi 9 février 2017, une centaine de personnes étaient rassemblées à Tours, devant la direction de l’Unité Fret Nord Atlantique (UFNA) [1]. Cette manifestation, à laquelle ont pris part des agents de l’UFNA mais aussi des membres d’autres services, avait pour but d’affirmer le refus des cheminots de voir les agents de dessertes remplacés par des travailleurs intérimaires. Ces agents de dessertes réalisent des opérations de formation de trains par des manœuvres d’attelage/dételage, tri de wagons, aiguillage au sol, etc., selon les impératifs du service (sécurité, délais).
La volonté de la direction de recourir à une main d’œuvre intérimaire n’est pas nouvelle, et s’inscrit dans le cadre d’un vaste plan national que l’entité FRET SNCF cherche à conclure avec l’entreprise Adecco, l’une des plus grosses boîtes d’intérim au monde. Or, le groupe suisse cherche déjà des opérateurs FRET SNCF pour des contrats de plusieurs mois sur l’ensemble du territoire français ; avec, à la clef, l’établissement d’un véritable vivier de travailleurs précaires que les entreprises ferroviaires pourront se partager.
Etat des lieux
Cette question de l’emploi est d’autant plus urgente que sur le périmètre de l’UFNA, par exemple, près d’un tiers des effectifs aura la possibilité de partir à la retraite d’ici 2020 ! Dans ces conditions, si le FRET SCNF ne pratique pas une politique d’embauche pérenne, d’ici trois ans il ne sera plus possible d’assurer l’ensemble du trafic. L’enjeu est de taille.
A cette question du renouvellement des emplois vient s’ajouter des problématiques internes liées aux mesures de flexibilités mises en place par la direction. Ainsi, si l’organisation de FRET SNCF devrait permettre une égalité d’effectif à la fois pour ce qui concerne les postes fixes mais aussi pour ceux en roulement, la réalité est toute autre : la moitié seulement des effectifs prévus en roulement est tenue ! Quant au reste des agents, ils sont mis « à la réserve ». C’est-à-dire que la direction de FRET SNCF met tout en œuvre pour fonctionner à flux tendu.
On comprend alors mieux l’intérêt de la direction pour le travail intérimaire : une souplesse accrue et des économies de bouts de chandelle. Peu importe la précarisation des emplois d’une part, et les conséquences sur les déroulements de carrière et le statut des agents de FRET SNCF d’autre part, la logique est financière.
Les conséquences sur l’emploi
Une logique qui utilise, de fait, le travail intérimaire comme un moyen de pression vis-à-vis des travailleurs : geler les embauches à long terme et profiter d’une main d’œuvre à bas coût, c’est contraindre l’ensemble des cheminots en place à l’incertitude.
D’ailleurs, c’est déjà le cas : au Technicentre de Saint-Pierre-des-Corps, spécialisé dans la maintenance du matériel de la SNCF, on compte désormais plus d’une centaine d’emplois intérimaires, sur un effectif de mille personnes ! Alors même qu’aujourd’hui des dizaines d’agents se retrouvent sans poste au sein de FRET SNCF ou dans d’autres établissements...
Pire ! Non contents de ne pas remplacer les futurs départs à la retraite, de ne pas donner du travail aux salariés de l’entreprise, de prévoir l’arrivée massive de travailleurs intérimaires, de ne pas satisfaire les nécessaires améliorations de la sécurité sur les routes... le budget 2017 prévoit en plus de supprimer 450 emplois sur l’activité fret au niveau national !
Les conséquences sur la sécurité
Enfin, contrairement au cheminot qui, par son statut, est protégé et peut donc refuser tout ce qui va à l’encontre des règles de sécurité, l’intérimaire sera plus enclin à accepter des tâches qui contreviennent à la réglementation du travail. Car il y aura toujours la question de l’emploi derrière : répondre favorablement au client, c’est augmenter ses chances d’être repris en mission d’intérim.
De plus, un travailleur intérimaire qui n’est agent de dessertes que quelques mois par an, ne bénéficiera pas de tous les Retours d’Expérience (REX) [2] ; c’est-à-dire que de par sa position, il ne bénéficiera pas de l’ensemble des procédures et des formations essentielles à une approche sécuritaire de son emploi. Et c’est sans compter le manque d’accompagnement de la part du Dirigeant de Proximité (DPX) [3], pourtant garant du maintien et de l’évolution des compétences et des connaissances de l’agent. De fait, les dirigeants de FRET SNCF bradent le savoir faire des agents de desserte : c’est une réelle déqualification de ce métier. Pour justifier une future baisse des salaires ?
Alors que la direction de FRET SNCF répète à l’envi que la sécurité est la priorité absolue guidant chacune de leurs décisions ; force est de constater que la réalité est toute autre : sécurité contre rentabilité.