Entraide et Solidarités : le syndicat SUD dénonce une dérive de l’association

Tract de la section SUD d’Entraide et Solidarités (anciennement Entr’Aide Ouvrière) dénonçant l’évolution libérale de cette association qui agit notamment dans les domaines de l’insertion et de l’hébergement d’urgence.

Le salaire au mérite

Entraide et Solidarités a proposé aux organisations syndicales représentées dans l’association (CFDT et SUD) de signer un accord d’entreprise intéressant les encadrants techniques et les chefs d’atelier du service d’insertion par l’activité économique (SIPAE). Dans leur grande mansuétude, le conseil d’administration et la direction générale constatent que la convention collective « n’est pas en adéquation avec les métiers » [1] de ces deux catégories de salariés. Ils proposent donc « d’instaurer une grille indiciaire de rémunérations spécifique » pour ces mêmes salariés « comportant des salaires de début de carrière revalorisés ». Le présent accord prévoit également trois niveaux de rémunération par emploi (A, B et C), permettant de différencier le niveau de responsabilité de l’emploi occupé et le niveau d’expérience. »

Décodons ce langage. Les chantiers d’insertion ne sont pas prévus dans la convention collective en vigueur dans l’association. Il est donc parfois difficile de mettre en adéquation certains postes existants avec ceux prévus par la convention et de déterminer leur rémunération. En outre, dans certains secteurs les grilles salariales génèrent des rétributions salariales trop faibles, d’où par moment des difficultés pour recruter. Qu’un employeur s’interroge sur la façon dont il peut augmenter les salaires de certains de ses employés, pourquoi pas. Mais le risque est de créer deux types de salariés, régis par une même convention collective et dans la même entreprise ; on entre dans des voies sinueuses de l’illégalité, pouvant conduire à la dénonciation de ladite convention, voire à l’éclatement de l’association en deux entités.

Dans son article 5, ce projet d’accord propose que ce soit « ... la direction qui décide de l’affectation à un emploi et à niveau selon des critères préalablement définis ». Rappelons que la détermination du niveau a des incidences sur le montant du salaire. En ce qui concerne les encadrants techniques, ce seront les chefs d’atelier qui proposeront au directeur que tel salarié puisse accéder à un niveau supérieur. Dans la plupart des cas, il entérinera la proposition qui lui sera faite. Pour les chefs d’atelier se sera le directeur du SIPAE. La direction actera les propositions de ce dernier.

Après une description des « prérequis » nécessaires pour chaque niveau (expérience professionnelle, capacité à expliquer les tâches à faire dans la globalité du chantier, capacité à piloter un projet, etc.), il est précisé « les indicateurs d’appréciation ». Pour les encadrants techniques ce sera : « Application des connaissances techniques ; Autonomie, réactivité, disponibilité ; Commercialisation et relation client ; Relation fournisseurs ; Définition des parcours d’insertion des CDDI ; Productivité et efficacité de l’équipe ». Ces critères sont subjectifs et laissés à l’appréciation des chefs d’atelier, et les deux derniers ont pour fonction d’intensifier la productivité. Mais tous vont renforcer la concurrence entre les encadrants et renforcer la position hiérarchique des chefs d’atelier. Cela risque fortement de tendre les relations entre les encadrants !

Les premiers à en pâtir seront les salariés en insertion à qui on demandera d’être de plus en plus performant et qui subiront les tensions entre leurs encadrants. Les relations entre ceux-ci et les chefs d’atelier risquent de se durcir, alors que certains pôles n’en ont vraiment pas besoin, comme la restauration.

Pour les chefs d’atelier ce sera : « Nombre d’encadrant(s) technique(s) à coordonner ; Transversalité et interventions sur plusieurs secteurs d’activité du Pôle IAE ; Implication Associative ; Atteinte des objectifs annuels ; Commercialisation et satisfaction clientèle ; Relation fournisseurs ; GRH ». Là encore ces critères sont très subjectifs. Certains demandent une très grande disponibilité et investissement personnels. Le premier générera sans doute des tensions entre chefs d’atelier, puisque des pôles auront toujours plus d’encadrants techniques que d’autres. Certains sont directement inspirés de ceux utilisés dans les entreprises pour que les chefs d’atelier fassent pression sur les encadrants techniques afin qu’ils augmentent la productivité des équipes, donc des salariés en CDDI. Aucun critère ne fait mention de la formation dispensée, de sa qualité, de sa réception par les intéressés, alors que les salariés en contrat aidé sont censés en acquérir. Rappelons que ces salariés reviennent à l’association à environ 1 € de l’heure ; leur salaire est payé en grande partie par des subventions.

En résumé, l’instauration de trois niveaux au sein de la grille salariale conventionnelle introduit, pour deux types de salariés d’Entraide et Solidarités, le salaire au mérite. Nous ne pouvons pas l’accepter ! Au final, c’est à un renforcement du pouvoir hiérarchique que veulent mettre en place le conseil d’administration et la direction générale en individualisant encore plus les rapports entre salarié-es et vis-à-vis de leur supérieur hiérarchique. Aussi bien la CFDT que SUD, nous avons refusé de signer ce projet d’accord d’entreprise.

Relogement et accompagnement des réfugiés

En décembre 2017, le gouvernement décide de reloger une partie des personnes ayant obtenues le statut de réfugiés dans des logements. Ainsi, d’ici la fin de l’année 2018, il y aurait 20 000 logements qui leur seraient attribués en France. Les bailleurs publics sont les principaux sollicités. Des associations, chargées de l’accompagnement social, le sont également. Le but est de faire de la place dans les structures d’accueil des demandeurs d’asile (CADA, HUDA…), en lien avec la circulaire du ministère de l’intérieur du 13 décembre 2017.

Cette circulaire a été beaucoup décriée et beaucoup se sont mobilisés contre l’application de certaines mesures prévues, notamment la Fédération des acteurs de la solidarité, à laquelle adhère Entraide et Solidarités. Elle prévoit, entre autres, que des policiers et des fonctionnaires de l’OFII peuvent venir contrôler les personnes hébergées dans des foyers d’urgence afin de vérifier si elles sont en situation régulière. Si ce n’est pas le cas, elles pourraient être arrêtées, placées dans des camps de rétention en attendant leur expulsion du territoire. Un des objectifs est d’accélérer le turn-over dans les foyers d’urgence et les structures d’accueil des demandeurs d’asile. En conséquence, le gouvernement se sert du bâton de sa politique xénophobe, d’une part, et il essaie d’imposer le relogement des réfugiés, d’autre part. Ce sont les deux faces d’une même médaille.

L’État est donc en capacité d’imposer à des bailleurs publics de trouver des milliers d’appartements, alors qu’on nous ne cesse de nous dire qu’il y a pas de logements disponibles ; qu’il fait intervenir la police pour jeter à la rue des squatteurs, des gens n’ayant d’autre solution que de « s’abriter » dans des camps, etc. En Indre-et-Loire, il est prévu que 256 logements soient ainsi mis à disposition pour les réfugiés : 205 provenant du parc public et 51 du privé, d’ici la fin de l’année.

C’est Entraide et Solidarités qui a été choisie comme prestataire par la préfecture pour assurer uniquement l’accompagnement social des résidents. L’association percevra 1 500 € par personne suivie, quelle que soit la composition de la famille. Ainsi, pour une famille de quatre membres, Entraide et Solidarités percevra 6 000 €.

La plupart de ces logements seront situés dans les agglomérations de Tours, de Loches ou de Chinon. Un service (Relogement et accompagnement des réfugiés, RAR) a été créé par l’association qui a déjà perçu plusieurs milliers d’euros. Il se compose pour l’instant d’une cheffe de service et de deux salariées. Il est situé dans des locaux loués au Secours Catholique et aménagés à la va-vite, sans grande considération pour les salariées (pas de téléphone, ni d’ordinateurs, odeurs de peinture très désagréables, etc.). Mais il paraît que cela devrait s’améliorer. Le CHSCT est intervenu.

Une vingtaine de logements situés dans l’agglomération tourangelle seraient déjà mis à disposition. Nous ne connaissons pas précisément le nombre de personnes déjà accueillies et accompagnées socialement par Entraide et Solidarités. D’autres devraient être mis à disposition dans les mois à venir. Autrement dit, des bailleurs publics ont été capables, sur injonction de la préfecture, de trouver ces logements dans des délais très brefs (quelques semaines) et dans un centre urbain où la demande est très importante. Il est évident que l’Indre-et-Loire n’est pas un cas isolé.

Entendons-nous bien. Que des familles de réfugiés puissent vivre dans des logements, on ne peut que s’en réjouir. Mais l’État démontre d’une part, qu’il y a beaucoup d’appartements vides en France et d’autre part, qu’il est en capacité d’imposer aux bailleurs publics de les louer.

La pénurie de logements n’est qu’un mythe entretenu pour durcir les conditions de vie des personnes les plus paupérisées, qu’elles soient de nationalité française ou d’origine étrangère. On ne peut que regretter qu’Entraide et Solidarités se contente de créer un service sans en mesurer les conséquences politiques et idéologiques qui peuvent être très dommageables dans un contexte où les courants racistes et xénophobes ont de plus en plus d’échos dans la société.

Laisser l’État continuer à entretenir la pauvreté et les conditions de vie misérables pour de plus de plus de personnes conduit à entretenir la concurrence entre les « gueux » et à développer le racisme qui est un des pendants de celle-ci. Il est de la responsabilité politique des associations intervenant dans le champ du social, mais aussi des organisations syndicales, politiques et autres structures de revendiquer des logements pour tous et toutes.

L’État démontre, bien malgré lui, que c’est une revendication des plus réaliste ! Cela l’est d’autant plus qu’il a le pouvoir de réquisitionner des logements vides, comme les maires des communes. On ne peut que regretter qu’Entraide et Solidarités se contente de créer un service sans en mesurer les conséquences politiques et idéologiques. Encore une fois, la recherche d’argent prime sur toutes autres considérations.

L’hébergement des mineurs non accompagnés (MNA)

Le conseil départemental est obligé de prendre en charge tous les mineurs isolés séjournant sur le département. Il doit les héberger, leur assurer un accompagnement leur permettant de construire un avenir. Le conseil départemental ne peut exclure les mineurs d’origine étrangère. Pour se faire, l’Aide Sociale à l’Enfance est le service départemental ayant la charge de cette action. Suivant les situations et les décisions des juges, l’ASE peut orienter les mineurs vers des familles d’accueil, des foyers de l’IDEP ou d’associations subventionnées en grande partie par le conseil départemental.

Depuis l’été 2017, sous prétexte qu’il y aurait une grande affluence de mineurs d’origine étrangère dans le département, le conseil départemental a demandé à Entraide et Solidarités d’aider à leur prise en charge (hébergement, repas…). Ainsi, une soixantaine ont été hébergés dans des conditions dégradées par rapport à une prise en charge par l’ASE. Ils sont accueillis dans des appartements partagés (quatre ou cinq par logement), laissés à eux-mêmes le soir, prenant leurs repas au CHERPA, des formations leur sont proposées... Des salariés ont été embauchés à la va-vite, installés dans les locaux du PSM, sans que ceux de ce pôle en soient informés. Cette mise en place donne l’impression de bricolage fait dans l’urgence pour essayer d’assurer un bon coup.

Dans la continuité de ses initiatives estivales, le conseil départemental lance un appel à projet pour mettre en place, de manière plus pérenne, un dispositif spécifique pour accueillir des mineurs d’origine étrangère : les Mineurs Non Accompagnés : MNA. Entraide et Solidarités répond à cet appel à projet, comme une dizaine d’autres structures, selon la direction générale. Ainsi le conseil départemental n’aura que l’embarras du choix, dans le cadre du marché du social dans lequel s’intensifie la concurrence entre les associations. Le grand bénéficiaire en sera le conseil départemental, en tant que donneur d’ordre.

Quelques chiffres permettent de l’illustrer. Le prix de journée par personne de l’ASE est 150 €, ainsi pour 60 personnes prises en charge par an, cela revient à 3 285 000 € au conseil départemental ; pour 100 mineurs 5 475 000 €. Dans son appel à projet, le conseil départemental fixe un prix de journée à 67 € : une économie de 30 295 € par an et par personne. L’économie annuelle réalisée par le conseil départemental pour 60 personnes sera de 1 817 700 € et pour 100 mineurs de 3 029 500 €. Mais Entraide et Solidarités fait encore plus fort ! Pour une année, le projet du conseil départemental prévoit un coût, pour 60 personnes, de 1 467 300 €. Dans le projet de l’association, la subvention est évaluée pour l’année 2019 à 1 182 600 €. Elle demande donc 284 700 € de moins que ce prévoit le conseil départemental.

Dernière minute : les lois du marché ne sont décidément pas favorables à l’Entraide et Solidarités ! Le projet de l’association n’a pas été retenu par le Conseil Départemental. Il a préféré celui de la Sauvegarde. Nous ne connaissons pas son contenu ni son coût financier et donc les motivations de ce choix.

D’autres associations rencontrent des difficultés budgétaires. L’avenir du foyer Verdier est incertain. Il accueille des mineurs, entre autres, orientés par l’ASE. On ne peut écarter l’hypothèse qu’il soit absorbé par la Sauvegarde. Cela ira dans le sens de la restructuration du secteur social et médico-social voulue par l’État. Il veut réduire le nombre d’associations du secteur afin d’avoir moins d’interlocuteurs trop nombreux à son goût, au profit des très grandes structures, comme Coallia, ADOMA, La Sauvegarde, etc., plus prévisibles, selon lui, dans les négociations. Proposer une baisse significative des coûts de fonctionnement contribue à cette restructuration. Bonjour la solidarité entre associations ! L’association Verdier est-elle adhérente de la FAS comme l’est Entraide et Solidarités ?

Ainsi, Entraide et Solidarités contribue à la création d’un régime spécifique pour mineurs étrangers, renforçant les barrières entre différentes populations et donc la xénophobie d’Etat ; elle contribue également à la marchandisation du social en pratiquant le dumping social, favorisant la restructuration du secteur. Elle dégrade des services rendus aux usagers. Quel avenir pour ces personnes si elles ne sont pas régularisées à leur majorité ? Est-ce que les responsables de l’association et les membres de la direction demanderont aux salariés les ayant accompagnées de les jeter à la rue ou est-ce qu’ils s’opposeront à leur expulsion du logement, mais aussi du territoire ?

Entraide et Solidarités a été confrontée à une situation en quelque sorte inverse. Lorsque le foyer Albert Thomas a été fermé durant l’hiver 2016, Entraide et Solidarités avait rédigé un projet afin d’éviter que son activité cesse. Il allait bien au-delà de la simple mise à l’abri de SDF, en respectant les droits des usagers en matière de l’hébergement d’urgence. En tout cas, il dépassait les volontés de la préfecture. Mais… la Croix Rouge remportait le marché, et pour cause ! Sa proposition revenait moins chère que celle d’Entraide et Solidarités et elle était conforme aux objectifs de la préfecture : maintenir la précarité de l’hébergement d’urgence. Les responsables de l’association ne cachèrent pas leur déception et l’on ne peut, avec le recul, qu’en être surpris !

Une évolution libérale

Ne parlons pas de la création des lits de santé (LAM). La Chambrerie se partage entre les Lits Halte Soin Santé et une quinzaine de place en CHRS collectif. Celles-ci vont disparaître. Les LAM les remplaceront, transformant ce site en un lieu uniquement de soin. Les résidents actuels seront hébergés au CHERPA ou dans des appartements partagés, transférés au SLEX. 4 à 5 personnes par logement, pour au moins deux ans, si un nouveau CHRS collectif est ouvert. Ainsi le nombre de place en CHRS collectif sera encore réduit (définitivement ?), au détriment des personnes relevant de ce type de service.

C’est bien la recherche d’argent qui est le principal fondement de la création de ces services. Tenter d’introduire le salaire au mérite souligne bien que les chantiers d’insertion d’Entraide et Solidarités doivent rapporter de plus en plus d’argent également. Faire fi de certains principes éthiques, jouer le jeu de la concurrence pour remporter des marchés, renforcer la concurrence entre les salariés, les placer sous le regard de leur supérieur hiérarchique, rendre le client roi afin qu’il soit mieux satisfait du service rendu au détriment d’un concurrent, cela n’a qu’un nom : le libéralisme !

Dans le contexte actuel, cela n’a rien d’étonnant. On pourrait dire qu’Entraide et Solidarités s’adapte aux évolutions voulues par les gouvernants et autres décideurs économiques. Mais des résistances se font jour, comme à la SNCF, dans les universités, les lycées, les hôpitaux, les EPHAD, à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, etc., etc.

Nous aussi, salariés d’Entraide et Solidarités, on peut contribuer à enrayer cette évolution libérale qui détruit les êtres humains sur l’autel du profit. On en discute, on voit ce que l’on peut faire dans nos services respectifs, on se mobilise…

Le 19 avril 2018, construisons les convergences. Toutes et tous à la manifestation à 10h, place de la liberté à Tours. Un préavis de grève public et privé a été déposé par notre fédération pour vous permettre de débrayer.

Illustrations par Yama Kagetenshi Prodz, CC BY-NC-ND 2.0

Notes

[1Cf. le projet d’accord portant sur la grille indiciaire des salaires spécifiques au Encadrants Techniques et aux Chef d’Atelier.