La Rotative : Au mois de juin dernier, vous avez organisé un blocage des centres de correction du bac. Tu peux revenir sur cette action ?
On a organisé douze actions de ce type dans toute la France. Pour ma part, j’ai participé, avec une cinquantaine de collègues de la région, aux actions qui se déroulaient dans l’Ouest : on a bloqué à Rennes, et deux jours après on bloquait le lycée professionnel horticole de Blois. Ces actions étaient ciblées sur les centres de correction des examens : on n’empêche pas le déroulement des épreuves, mais on met la pression sur l’administration. L’objectif n’était pas de mettre en difficulté les élèves, au contraire, puisque nos actions ont essentiellement pour but de défendre leur droit à bénéficier d’une formation à la hauteur de ce qui leur est dû. La dernière fois qu’on avait été amenés à organiser une action de ce type-là, c’était en 2009, sous Sarkozy. Depuis, on n’avait pas eu à recourir à ce type de moyens.
La Rotative : Qu’est-ce qui a déclenché cette mobilisation nationale des personnels de l’enseignement agricole public ?
Macron, Blanquer et Pénicaud ont multiplié les réformes qui touchent à la formation, et qui ont toutes en commun d’avoir une orientation libérale. Or, les établissements publics d’enseignement agricole regroupent généralement un lycée, un centre de formation d’apprentis (CFA), un centre de formation pour adultes (CFPPA) spécifique à l’enseignement agricole, et une ou plusieurs exploitations agricoles qui emploient des salarié-es de droit privé. Nous sommes donc impactés à la fois par la réforme du bac (qui est une réforme du lycée qui ne dit pas son nom), et par la réforme de l’apprentissage [1]. Ces réformes sont très inquiétantes pour le devenir même de nos structures.
Dans le secteur agricole, 80 % des apprentis sont formés par l’enseignement public. C’est l’inverse de ce qui existe dans les autres secteurs, où les CFA sont généralement gérés par le privé. Et notre activité « apprentissage » est menée proprement : elle est spécifique (pédagogie de l’alternance respectée) et non pas mélangée avec les formations dispensées par voie scolaire en « lycée », comme on peut le voir dans les lycées professionnels qui subissent ce mixage imposé. Si les promoteurs de l’apprentissage avaient pour ambition sincère de faire de la qualité, ils auraient pu prendre modèle sur l’enseignement agricole public, et créer de vrais centres de formation publics, avec des personnels formés et dédiés. Mais la voie retenue consiste à libéraliser le secteur, sur le modèle de ce qu’on connaît dans le domaine de la formation pour adultes : on met tout sur le marché, on livre la formation aux appétits des officines privées, au détriment de nos structures publiques et de la qualité des formations dispensées in fine. Avec cette politique du « tout apprentissage », livré aux appétits du marché, c’est l’employabilité de court terme qui est recherchée par le MEDEF. La ministre du travail et le gouvernement actent le renoncement à l’élévation des niveaux de qualification permettant une capacité à se former tout au long de la vie.
Par ailleurs, tant que la Région avait la main sur la carte des formations, elle faisait des choix, et pouvait par exemple décider de maintenir un CAP « taille de la vigne » à Chinon, en accord avec la filière, pour huit ou dix apprentis : la collectivité disposait des subventions nécessaires pour maintenir les formations qu’elle jugeait pertinentes, même si ces formations n’étaient pas « rentables ». Madame Penicaud prétend que les régions pourront toujours procéder à de tels ajustements, au titre de l’aménagement du territoire ou du soutien à des filières de niche. Mais les fonds dont disposeront les régions pour mener à bien cette mission ont été divisés par six, passant de 1,5 milliard à 250 millions d’euros. Il ne faudra pas s’étonner le jour où la Région Centre décidera de fermer l’antenne viticole de notre CFA, faute d’argent. Et on risque d’assister à un plan social larvé, centre par centre, avec 4 000 formateurs sous statut précaire menacés dans les CFA et 2000 ayant partie liée dans les CFPPA. Ainsi, la Région pointe dans la presse deux CFA (celui du Loiret et celui de l’Eure-et-Loir) comme menacés de fermeture à court terme...
La Rotative : Vous avez été reçus par votre ministère de tutelle, suite à votre action de blocage des centres de correction ?
On est reparti les mains vides. Et quand on a essayé d’interpeller directement le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, à l’occasion d’un colloque à Paris, il a pris la fuite par une porte dérobée. C’est aussi pour ça que l’intersyndicale FSU, CGT et SUD a déposé un préavis de grève pour la rentrée, et que nous avons été amenés à bloquer le lycée de Fondettes le 4 septembre, en lien également avec des problèmes plus spécifiques de financement d’options facultatives sur le lycée.
À ce stade, la DRAAF [2] a entamé des concertations pour établir un plan « d’adaptation des structures » à la nouvelle loi sur l’apprentissage. Si certaines branches, comme l’agroalimentaire, vont certainement s’empresser d’ouvrir leurs propres CFA, puisqu’ils n’auront même plus besoin d’autorisations administratives, d’autres vont sûrement se reposer sur nos structures, mais en mettant le nez dans nos pédagogies et dans les contenus de nos formations : la vision environnementaliste défendue par certains de nos collègues risque de céder face aux attentes productivistes des lobbys agricoles. Cette reprise en main de la formation par les branches professionnelles fait plus qu’interroger l’École publique...
La Rotative : Quel sera l’impact de la réforme du bac sur les lycées agricoles ?
Un lycée agricole comme celui de Fondettes est polyvalent : nous proposons une filière générale, avec un bac S spécialité « Écologie - Agronomie et Territoires » qui est spécifique à l’enseignement agricole, une filière technologique et une filière professionnelle [3]. Cette polyvalence est une force : elle permet aux jeunes de ces différentes filières de se côtoyer. Nous sommes donc attachés à garder notre filière générale. Or, la réforme du bac, qui vise à supprimer les filières (S, L, ES), va nuire à la lisibilité de l’enseignement que nous proposons, en ne permettant pas à nos lycées d’ouvrir les choix de spécialités comme annoncé par l’Éducation Nationale (« trop coûteux » nous martèlent les gestionnaires de notre direction générale), ou encore en faisant disparaître l’enseignement de l’agronomie, qui sera réduit au rang d’option facultative. Si l’enseignement agricole n’a plus vocation à enseigner l’agronomie, on se demande à quoi il sert.
Du côté de la filière professionnelle, nous allons être touchés par la réforme qui vise à repousser le choix de la spécialisation à la classe de première. Du bac pro en quatre ans qui existait encore il y a quelques années, on va passer dans les faits à un bac pro en deux ans. Pourtant, on voit que la réduction de la durée des bacs pro nuit à nos élèves qui veulent poursuivre sur un BTS, et ce n’est pas l’instauration de quotas artificiels dans Parcoursup qui résoudra le problème.
Et puis, cette année, la direction générale de l’enseignement a procédé à un « coup de rabot » et entend imposer une baisse de 1 000 heures sur notre volume d’enseignements optionnels en région, ce qui a par suite conduit la DRAAF à annoncer la suppression de 108 heures d’enseignement par lycée. Ces heures correspondent aux options facultatives que nous proposons à nos élèves. Or, ces options sont souvent des facteurs d’inscription des élèves dans nos lycées, et participent à les accompagner dans leurs choix d’orientation. A Fondettes, nous proposons une option hippologie-équitation, qui peut amener les élèves vers notre BTS « Production animale » ; une option « Viticulture-œnologie », qui peut amener vers le BTS correspondant ; une option « Patrimoine paysager », qui peut amener vers un BTS « Production horticole » ou un BTS « Aménagement paysager » proposé par le CFA. C’est cette cohérence globale qui est mise à mal. Aujourd’hui, nous refusons de sacrifier une de ces options : c’est donc un trimestre de cours qui risque de ne pas être assuré pour correspondre à cette réduction d’heures. En l’état c’est inacceptable et nous continuons, aux cotés de nos usagers (élèves et parents), d’exiger du ministre le rétablissement de ces 1 000 heures.
La Rotative : Avec toutes les attaques que tu décris, que va-t-il rester de l’enseignement agricole public ?
À ce rythme, il risque de ne pas en rester grand chose dans cinq ans. On est en train de prendre la même orientation que sous Sarkozy : on va vers un assèchement, suivi d’un effondrement des structures. Le jour du blocage du lycée, notre chef de service régional est venu nous voir. Quand on a évoqué le risque d’érosion de nos effectifs lié à l’évolution du bac, et les fermetures de classes qui pourraient en découler, il a refusé de nous donner des garanties et a baissé la tête. Les perspectives sont plutôt sombres.
La Rotative : Pour toi, quel est le rôle que devrait jouer l’enseignement agricole public ?
C’est la question que devrait se poser le ministre de l’Agriculture, mais qu’il semble jusque là incapable de concevoir : comment j’utilise les outils publics à disposition (lycées, CFA, CFPPA) pour accompagner la transition écologique, le « produire, transformer et manger autrement », la sortie du glyphosate... ? Certaines exploitations de lycées agricoles publics qui font des grandes cultures ont commencé à se passer du glyphosate : il faudrait les mettre en expérimentation, cela aiderait le monde agricole, c’est notre raison d’être !
La Rotative : Pourquoi le ministère n’engage-t-il pas une politique volontariste en ce sens ?
Certains conseils régionaux poussent à des expérimentations de ce type, mais il n’y pas de volonté forte au niveau de l’État – tout juste un frémissement durant le quinquennat précédent. Il serait nécessaire de fixer des objectifs plus ambitieux en matière d’agriculture biologique sur nos exploitations, de faire évoluer les pratiques et les outils dans le sens d’une agriculture durable... ce qui n’est pas toujours facile quand par exemple le président du conseil d’administration du lycée vient de la FNSEA via la chambre d’agriculture. Mais force est de constater que la loi Alimentation, qui est en cours de discussion, ne parle pas d’enseignement. Pourtant, n’est-ce pas en produisant autrement qu’on pourra manger différemment ? Nous, établissements d’enseignement agricole public, avons un rôle fondamental à jouer là-dedans.
En 2009, quand Bruno Le Maire était devenu ministre de l’Agriculture, il avait déclaré que l’enseignement agricole public avait été géré, au cours des années précédentes, « comme un rat crevé au fil de l’eau ». Il avait raison, et cela l’avait conduit à organiser des Assises de l’enseignement agricole public. Aujourd’hui, c’est le même Bruno Le Maire qui, depuis le ministère de l’Économie, reprend l’asséchement méthodique d’un système éducatif qui pourtant a fait ses preuves, tant du point de vue des résultats aux examens toutes filières confondues que des taux d’insertion excellents sur le marché de l’emploi. Ils vont finir par tout péter, mais nous ne laisserons pas faire !