Réforme de la PAC : « Regarder en face les défis sociaux, économiques, alimentaires et écologiques »

Le mercredi 14 avril, la Confédération paysanne organisait des mobilisations à Limoges, Tours et Strasbourg pour peser dans les discussions sur la réforme de la politique agricole commune (PAC), qui doit donner l’orientation des prochaines années de l’agriculture française et européenne. Nous reproduisons ci-dessous le discours prononcé devant la préfécture d’Indre-et-Loire.

Il est crucial que la Conf’ se mobilise pour peser dans le rapport de forces avant les arbitrages sur la PAC qui ont lieu en ce moment. Sans cela, la PAC qui sera entérinée dans cette réforme va poursuivre le mouvement de disparition des paysannes et des paysans. D’ici dix ans, au moins un tiers des fermes auront disparu, les campagnes vidées. Ne nous laissons pas faire.

Lors des échanges avec le ministre de l’Agriculture et les autres syndicats, la Conf’ a ressenti une forme d’immobilisme, pour que rien ne change. C’est vrai que tout va bien dans le monde agricole en ce moment... Nous avons vu disparaître les deux tiers des paysans en trente ans. Ceux qui restent travaillent de plus en plus, pour un revenu en berne.

L’urgence écologique et le dérèglement climatique nous éclatent de plus en plus violemment à la figure. Preuve, ces derniers jours de gel intense qui ont ruiné les espoirs de récolte des viticulteurs et des arboriculteurs, mettant en danger beaucoup de fermes. La précarité alimentaire ne fait qu’augmenter, et elle est de plus en plus prégnante avec la crise sanitaire.

Cette PAC devrait être un tournant, surtout en pleine crise sanitaire qui nous renseigne encore plus sur l’absurdité des politiques agricoles passées. Des leviers existent pour orienter autrement le monde agricole, mais il manque l’impulsion.

L’impulsion ne viendra pas du syndicalisme majoritaire, qui cherche à conserver les privilèges de quelques-uns en faisant croire à la majorité qu’ils peuvent s’en sortir en marchant sur les autres et en produisant toujours plus. L’impulsion ne viendra pas du ministre, plutôt occupé à contenter tout le monde, surtout la majorité, quitte à occulter les défis sociaux, économiques, alimentaires, écologiques ou climatiques. Non, l’impulsion ne peut venir que de nous, paysannes et paysans confédérés, capables de regarder en face ces défis, de juger les politiques passées et d’en tirer les conséquences.

Et ce n’est qu’en soutenant davantage l’installation et l’emploi paysan que nous serons en capacité de réussir. Installer, employer, produire, préserver. Installer et employer mieux, pour produire et vivre mieux, et pour nourrir en qualité. Nous avons besoin de beaucoup de paysannes et de paysans, de bon sens pour mettre en œuvre la transition, pour dynamiser nos territoires, et donner vie à cette relocalisation qui est l’essence de l’agriculture paysanne.

La Conf’ a une grande revendication : elle veut un million de paysans en France. Ce qui représente, pour la région Centre, de passer de 22 800 paysans et paysannes à 50 300. De quoi redynamiser les territoires et créer beaucoup de richesses. Pour cela, nous défendons deux mesures :

  • Une surprime sur les 52 premiers hectares pour toutes les fermes, et une dégressivité au-delà. Cette mesure a été mise en place sous le gouvernement [Ayrault], et pour l’instant elle n’a été activée qu’à la moitié.
  • Une aide aux petites fermes de 5 000 euros par actif, pour relancer l’installation et redynamiser les territoires. Cette aide est plus que légitime. Il n’est pas rare de voir, sur un hectare de maraîchage, trois ou quatre actifs sans aides PAC ; et en grande culture, 150 hectares, un actif, et 40 000 euros d’aides PAC. Ce n’est plus tolérable.

Dans les fondements de la PAC, il devait y avoir un revenu équitable pour tous les paysans et toutes les paysannes. Où en est-on aujourd’hui ? Cette aide à l’actif doit soutenir les petites fermes et les petits volumes, pour donner à la PAC un caractère beaucoup plus social, et redonner ses lettres de noblesse à une alimentation de qualité et accessible à tous.

En France, on est déficitaires de 40 à 50% dans la production de fruits et légumes. La PAC doit servir à retrouver une autonomie alimentaire par l’installation massive de paysannes et de paysans. A nous, la Conf’, d’imposer une PAC répondant à l’urgence sociale qui frappe le monde paysan. A nous d’imposer un autre modèle agricole et alimentaire, sociétal et écologique. Mais ce combat doit être aussi celui des citoyens, car le changement ne se fera que s’il est accompagné d’une véritable évolution sociétale.

Photo : Fabrizio Tommasini