Mercredi 14 octobre, une femme de 30 ans, étudiante en M1 de sociologie à l’Université de Tours, est décédée après avoir fait un malaise cardiaque pendant qu’elle suivait un cours sur le site de Fromont. Cet accident pourrait n’être qu’un tragique fait divers, s’il ne renvoyait aux manquements de l’institution en matière de sécurité et de protection de la santé des travailleur·ses et des étudiant·es. En tant que membre du corps enseignant de l’Université de Tours, j’ai moi-même pu observer plusieurs dysfonctionnements dans l’organisation de la prévention, mais aussi dans la gestion de cette crise.
En premier lieu, comme le relate la presse locale, la victime n’a pas pu bénéficier de soins appropriés, faute de matériel : ses camarades ont cherché en vain dans les locaux de Fromont un défibrillateur pour la ranimer. Ce défaut d’équipement n’a rien d’exceptionnel : bien au contraire, c’est plutôt la règle à l’Université de Tours. En tant que SST (sauveteur·euse secouriste du travail), j’ai suivi plusieurs formations aux premiers secours organisées par l’Université, où j’ai pu constater que les considérations budgétaires l’emportent toujours sur la sécurité des personnes. Dans ces formations, fondées sur le volontariat, on nous apprend effectivement à utiliser un défibrillateur, mais on nous explique aussi que tous les sites ne peuvent en être équipés car le coût d’entretien de chaque appareil serait prohibitif. De mémoire, lors de ma dernière formation il y a deux ans, seuls trois des très nombreux sites que compte l’Université de Tours en étaient dotés. Pour pallier ce manque, les formateurs conseillaient aux SST de télécharger une application sur leur téléphone permettant de géolocaliser les défibrillateurs à proximité dans l’espace public (par exemple, dans les pharmacies ou les gares SNCF) : à charge des individus de compenser le manque d’investissement de l’institution.
Cependant, l’absence de moyens n’est pas uniquement matérielle. Cette étudiante aurait eu besoin d’être prise en charge par du personnel formé aux premiers secours et, a minima, d’être accueillie dans un bâtiment correctement aménagé pour recevoir du public. Or, c’est tout l’inverse qui s’est produit : ce sont ses camarades qui ont tenté de lui faire un massage cardiaque, après avoir essayé en vain de joindre des membres du personnel pendant une heure. D’autre part, les secours ont rencontré des difficultés pour parvenir au bâtiment, en l’absence de personnel muni du badge nécessaire à l’ouverture des barrières. Les étudiant·es dénoncent depuis des années la vétusté du site de Fromont, qui est très largement sous-doté sur de nombreux plans ; ce drame n’en est malheureusement qu’un tragique symptôme.
Au-delà de ce défaut de prévention, la gestion de cette crise est troublante. Le décès de l’étudiante est survenu, il est vrai, au pire moment pour l’équipe présidentielle : le lendemain, jeudi 15 octobre, se tenaient les élections aux conseils centraux, où le président sortant, Philippe Vendrix, est candidat à sa propre succession. Ainsi, alors que le drame s’est produit dans la matinée du 14 octobre, la communauté universitaire n’a été informée que le 15 octobre, via un courrier électronique envoyé par le président à 17h06… soit 6 minutes après la fermeture des bureaux de vote. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour communiquer l’information, si ce n’est pour éviter qu’une légitime indignation des personnels face aux défaillances de l’institution représentée par le président sortant, déjà fragilisé par une mise en examen pour harcèlement moral et sexuel, nuise à sa réélection ?
Plus tôt dans la journée, vers midi, les membres du personnel et les usagèr·es avaient reçu un courrier énigmatique des directeurs des deux facultés présentes sur le site de Fromont, ASH (Arts et Sciences Humaines) et L&L (Lettres et Langues), les informant de la fermeture administrative du bâtiment et de la suspension des cours qui devaient s’y tenir dans l’après-midi du 15 octobre, sans mentionner à aucun moment les raisons de cette décision. Un courrier froidement administratif, évoquant un arrêté présidentiel sans en préciser les tenants ni les aboutissants, sans évoquer la tragédie qui venait de se dérouler ni rendre le moindre hommage à l’étudiante décédée, et ne manifestant aucun soutien à ses proches. Les doyens auraient-ils reçu des pressions de la part de la présidence, afin qu’ils n’ébruitent pas une affaire particulièrement gênante un jour d’élections ?
Dans le même temps, Philippe Vendrix expliquait à la presse que des défibrillateurs avaient été commandés, mais qu’ils n’avaient pas encore été installés. Le président pense-t-il qu’il est suffisant, pour être dans la légalité, de détenir un équipement obligatoire depuis le 1er janvier 2020 dans tout lieu public, sans informer le personnel de sa localisation —en tant que SST, nous n’avons même pas été mis au courant de l’achat de ces appareils— ? On peut en douter : en effet, étrangement, des défibrillateurs auraient miraculeusement poussé dans la nuit qui a suivi la mort de cette étudiante aux Tanneurs, l’autre site occupé par les facultés ASH et L&L.
Avec ce texte, nous rendons hommage à cette étudiante victime des dysfonctionnements de l’institution et nous apportons tout notre soutien à ses camarades qui ont tenté de les compenser. Parfois, les choix politiques et économiques des Universités peuvent aller jusqu’à tuer.
Illustration : GrandCelinien - (G.A.) / CC-BY-SA-3.0