Quelques jours après l’attentat du 14 juillet à Nice, Louis Le Franc annonçait en conférence de presse « un renforcement des mesures de sécurité dans les lieux les plus fréquentés et lors des grands évènements », menaçant d’annuler les manifestations pour lesquelles la sécurité des visiteurs ne serait pas garantie [1].
Il annonçait également le déploiement de patrouilles de militaires dans les rues de Tours, dans le cadre de l’opération Sentinelle, déclenchée suite aux attentats de janvier 2015 et qui se poursuit depuis. 70 soldats de l’armée de Terre sont basés en Indre-et-Loire dans le cadre de cette opération, quelques dizaines de plus dans les départements limitrophes. Officiellement, il s’agit de « renforcer la sécurité sur le territoire national en complément du plan Vigipirate ».
Apparemment, les patrouilles de flics armés de fusil d’assaut G36 — comme on a pu en voir à l’occasion de la foire à l’ail et au basilic le 26 juillet — ne suffisent pas à protéger la population. Mais on comprend mal comment un effectif de seulement 70 soldats supplémentaires pourra « renforcer la sécurité » dans un territoire de 6 000 km² comptant 600 000 habitants. Les milliers de bidasses déployées dans les villes de France depuis des années (dans le cadre de Vigipirate, puis de Sentinelle), n’ont pas empêché les précédents attentats.
Depuis son lancement, l’opération Sentinelle répond à deux logiques : une logique de ressources et une logique de posture. Logique de ressources, parce que les mesures mises en place par le gouvernement suite aux attentats de janvier 2015 ne peuvent être assurées par les seuls effectifs du ministère de l’Intérieur. Logique de posture, parce que la présence de soldats dans les rues serait « rassurante et dissuasive » [2].
Et comme il s’agit de rassurer la population, le préfet a lancé une belle opération de communication le 29 juillet au matin, invitant toute la presse place Plumereau pour un grand événement :
« Dans le cadre de l’opération "sentinelle", Louis Le Franc, préfet d’Indre-et-Loire, se rendra sur le dispoitif mis en place à Tours. [3] »
Sur une place quasiment vide, une petite foule de journalistes au garde à vous est donc venue entourer le préfet, flanqué d’un général et d’un colonel.
A proximité et aux différents coins de la place, on pouvait voir une dizaine de soldats armés de Famas patrouiller mollement, casques de combat à la ceinture. Heureusement que les journalistes étaient là pour admirer le dispositif : à cette heure, il n’y avait guère que quelques livreurs et serveuses pour assister au déploiement de troupes. Un passant a quand même été éconduit par une policière après avoir posé une question désagréable au préfet concernant l’efficacité réelle du dispositif.
Le succès populaire de l’opération aurait pu être nettement plus franc si l’opération de communication s’était déroulée vers 13h, quand les terrasses des cafés étaient pleines. Mais à ce moment-là, il n’y avait plus trace du moindre uniforme...
Le préfet délègue aux patrons la surveillance des populations
Quelques jours avant ce déploiement de soldats dans les rues de Tours, le préfet avait organisé une réunion avec des responsables de grandes surfaces commerciales et de sites classés Séveso. A cette occasion, le préfet a exigé des patrons qu’ils renforcent les mesures de sécurité à l’entrée et à l’intérieur de leurs établissements. Ce qui devrait notamment passer par le retour de vigiles devant l’entrée des centres commerciaux et des magasins les plus importants, pour le plus grand bonheur des entreprises de sécurité privée.
« Je sais que ce renforcement de sécurité a un coût mais il s’agit d’enjeux de sécurité nationale (...). Si il y a un pépin vous ne pourrez pas dire "je ne savais pas". [4] »
L’efficacité de ce type de mesures est discutable : à Tours, au mois de décembre 2015, les fouilles et contrôles de sécurité mis en place suite à l’instauration de l’état d’urgence étaient au mieux aléatoires, au pire inexistants [5]. Néanmoins, cela va dans le sens de la volonté de l’État d’« encourager le développement de méthodes de défense passive et d’autoprotection (digicodes, enceintes de sécurité, vidéosurveillance, etc.), élevant le coût d’une éventuelle attaque » [6], histoire de pouvoir revoir à la baisse l’engagement de l’armée sur le territoire.
Au cours de cette même réunion, le préfet a mis en garde les patrons présents :
« Regardez vos personnels (...) Si vous avez un doute partagez-le... Si il y a un comportement suspect, signalez-le ... Le pire serait l’attentisme. »
Et au micro de France Bleu Touraine, il ajoutait :
« Parmi [les] personnels, il y a des possibilités de failles. Des personnels qui pourraient ne pas être sûrs. Confier à des personnels en charge de la sécurité une mission si eux-mêmes ne sont pas sûrs... ça ne va pas. Alors je leur ai demandé d’avoir un regard aussi sur ces personnels. »
De là à penser que le préfet encourage la discrimination à l’embauche et au travail, il n’y a qu’un pas. Car sur quels critères les patrons sont-ils censés s’appuyer pour estimer que des salariés ou des candidats à l’embauche ne seraient « pas sûrs » ? Devront-ils signaler une barbe trop longue ? Un patronyme douteux ? Une pratique religieuse trop visible ? Des propos « pas Charlie » ? Une jupe trop longue ?
Au lieu de déléguer aux patrons la surveillance du territoire et des populations, le préfet aurait mieux fait de leur rappeler que la discrimination est punie par la loi ; une personne reconnue coupable de discrimination encourt jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Les salarié-es qui s’estimeraient victimes de discrimination peuvent contacter l’inspection du travail ou une organisation syndicale.