Aménagement urbain : la fontaine de Beaune-Semblançay, un monument nomade

En dévoilant, début juillet, des travaux d’embellissement de la place Chateauneuf, la mairie de Tours a annoncé le déplacement de la fontaine de Beaune-Semblançay. Une fontaine déjà déplacée quatre fois dans son histoire. Retour sur ce long périple et ses dernières évolutions, qui montrent que rien n’est trop beau pour satisfaire les intérêts privés et commerciaux.

Héritée d’un vaste plan d’aménagement d’eau potable du début du XVIe siècle mené sous la houlette de quelques notables tourangeaux bien en vue au service du roi, la fontaine dite de Beaune, comme les cinq autres fontaines construites entre 1507 et 1518, constitue, comme dirait le Guide Michelin, un joyaux de la Renaissance tourangelle. Initialement installée au “carroi de Beaune” (carrefour de l’ancienne rue Traversaine, aujourd’hui rue Nationale, et de l’ancienne Grand rue, aujourd’hui rue du Commerce), cette fontaine a connu une longue histoire faite de multiples déplacements [1].

Un monument à la gloire d’un grand financier...

Son installation originelle ne relève pas tout à fait du hasard. Bâtie en face de l’hôtel de Beaune, au cœur du quartier le plus huppé de Tours au début du XVIe siècle, elle sert directement les intérêts de la famille de Beaune et assure la magnificence cette dynastie de grands financiers au service du roi [2]. C’est d’ailleurs Jacques de Beaune qui fait venir (et paie) le marbre de Gênes pour réaliser les principaux placages décoratifs aux motifs bien choisis (en particulier les armoiries de de Beaune). Quelques années plus tard, le grand financier en profite pour demander à la ville, qui ne peut guère lui refuser, que les canalisations soient quelque peu détournées pour amener l’eau courante directement dans son hôtel, voisin.

Après tout, il n’a aucune raison de se priver...

Composée d’un bassin en pierre de Volvic, et d’une pyramide en marbre blanc, haute de 4,20 m., cette fontaine porte des panneaux latéraux héraldiques avec le L couronné (Louis XII), le A couronné (Anne de Bretagne, reine de France), ainsi que le blason de la ville. Les armes de Jacques de Beaune se trouvent elles dans des écussons placés sur la pyramide. Les accompagne toute une série de motifs antiquisants. La partie supérieure de la pyramide n’a plus rien a voir avec celle de la Renaissance, composée tout d’abord d’une terrasse surmontée d’une couronne émaillée, elle même surmontée d’une crucifixion dorée. Mais surtout, l’ensemble était peint, doré et azuré ce qui lui confère un caractère qu’on ne peut que difficilement imaginer aujourd’hui. En 1562, les statues sont détruites et remplacées par un crucifix en cuivre. Le sommet de la pyramide, vandalisée il y a quelques années, ne semble être qu’un rajout postérieur.

Le temps de l’errance

La fontaine restera à cet emplacement plus de 250 ans. Il semble que ce soit des raisons de sécurité qui animent la mairie en 1778 pour la déplacer. A cette date, le front de Loire commence une longue transformation qui aboutira au percement de la rue Royale (future rue Nationale) en remplacement de la rue Traversaine, et la fontaine est estimée démodée, jugée beaucoup trop “gothique”. Elle est alors démontée et remisée.

En 1817, une autre des fontaines Renaissance, celle du grand Marché, est détruite, et utilement remplacée par la fontaine de Beaune qui trouve là sa troisième localisation. Inaugurée en 1820, elle sera ainsi sauvée des destructions de la Seconde guerre mondiale.

Ce n’est qu’en 1956, en liaison avec l’aménagement de l’ancien hôtel de Beaune — transformé en partie en parking... — que la fontaine trouve sa localisation actuelle, située finalement à quelques dizaines de mètres de son emplacement d’origine, dans un cadre architectural et stylistique cohérent, proche de la loggia italianisante construite aussi au début du XVIe siècle pour le même commanditaire.

Et maintenant ? Une nouvelle localisation toute aussi anodine...

Apparemment, cette nouvelle cohérence ne satisfait ni les édiles locales contemporaines, ni l’architecte des bâtiments de France, “enthousiaste” aux propositions municipales. Il est en effet question de déplacer une nouvelle fois cette fontaine, afin de mieux la “valoriser”, comme le rapporte La Nouvelle République. Elle serait installée au sein d’une place Chateauneuf “embellie” et débarrassée de ses voitures, reconstituée de manière totalement artificielle (mais on n’en est pas à une cohérence historique près) et qui se voudra “d’inspiration italienne”. On ne sait pas si l’inspiration sera au rendez-vous, mais pour l’Italie, la fontaine de Beaune fera l’affaire ! De quoi proposer un nouveau produit d’appel pour compléter l’offre touristique locale. Le patrimoine, faut que ça rapporte, comme l’ont montré les débats autour des festivités Saint-Martin.

Et autant que cela ne rapporte pas à n’importe qui. En effet, dès l’annonce de l’embellissement, les premiers esprits tordus (assurément) ont posés un certain nombre de questions : pourquoi refaire cette place et y mettre cette fontaine ? Suite à la réunion publique organisée par la mairie de Tours concernant le projet, certains se sont publiquement émus des liens unissant la famille Ettori, propriétaire de trois bars sur la place, et Céline Ballesteros, l’adjointe au commerce de la ville. Emmanuel Denis, élu EELV au conseil municipal, écrivait sur Facebook :

« J’ai appris pendant la réunion publique que ceux qui profiteront le plus de ce nouveau visage sont les neveux de l’ami ex-footballeur de Céline Ballesteros qui ont racheté trois bars sur la place et qui vont pouvoir étaler largement leurs terrasses… petite collusion entre amis ? »

Bien sûr, il ne s’agit là que de coïncidences et de calendriers qui se complètent bien. Et voilà cette fontaine qui retrouve sa fonction d’origine : la valorisation de biens et d’intérêts privés. Décidément, la mandature Babary sera marquée par une politique monumentale des plus osée, et qui n’a pas fini de faire parler, comme l’illustrent les débats autour de la donation Cligman.

Crédits photographiques : Archives départementales d’Indre-et-Loire.

Notes

[1Pour le détail sur l’histoire de ces fontaines voir P. Domec, « Les six fontaines Renaissance de Tours », dans Bulletin de la société archéologique de Touraine, n° LXI, 1987, p. 783-804.

[2On se référera à la fiche Wiki de Jacques de Beaune