18 chercheur·euses du centre de recherche dirigé par Benoist Pierre démissionnent de leurs charges administratives

Le 17 avril, dix-huit enseignant·es-chercheur·euses du Centre d’études supérieures de la Renaissance ont adressé une lettre ouverte à son directeur, Benoist Pierre, pour dénoncer des dysfonctionnements inédits au sein de la structure. Ils y évoquent notamment sa candidature aux municipales sous l’étiquette LREM : « Nous avons le sentiment que le temps qui vous était nécessaire pour ce faire a été pris sur celui dévolu à vos charges académiques. »

Après mûre réflexion, nous avons pris la décision de vous adresser cette lettre ouverte : nous avons pleinement conscience que notre démarche bouscule les usages, mais il nous a semblé qu’elle constituait le seul moyen d’exposer clairement, pour qu’il puisse enfin être entendu, l’état de profond malaise d’une partie des équipes, provoqué par des dysfonctionnements eux-mêmes inédits qui affectent le Centre d’études supérieures de la Renaissance dont la direction vous a été confiée.

Nous faisons le constat aujourd’hui d’un hiatus fort entre la politique et la gestion de l’institution que vous proposez, et ce qui fait l’identité du CESR à nos yeux. Nous le faisons au nom de notre engagement au sein du CESR, tous chercheurs et enseignants-chercheurs investis depuis des années, et pour certains d’entre nous des décennies, dans cette UMR et de cette UFR auxquelles nous sommes profondément attachés.

Les dysfonctionnements dont il s’agit sont liés à certaines orientations scientifiques et pédagogiques que vous portez et souhaiteriez voir incarnées par le CESR. Nombreux sont les collègues à avoir constaté la grande difficulté à mettre en œuvre des discussions fécondes sur le contenu et l’organisation de nos formations, au moment où ces dernières connaissaient un renouvellement en profondeur. Ni les indispensables ajustements de fond et de forme, ni la surcharge que cette nouvelle offre imposait aux équipes n’ont pu faire l’objet des débats qui étaient requis, alors même que nos formations ont toujours été conçues et portées collectivement, et que cette collégialité est une des principales raisons de notre attachement au Centre. Les équipes pédagogiques et administratives sont épuisées, et nombre d’entre nous ne se reconnaissent plus ni dans le contenu de l’offre de formation ni dans la manière dont celle-ci a été définie et se trouve aujourd’hui pilotée.

Par ailleurs, tous ceux qui y siègent ont pu constater la dégradation très nette de l’ambiance des conseils d’UFR et de laboratoire, émaillés d’innombrables incidents. Ces instances doivent être le lieu où s’échangent les points de vue, où se formulent les désaccords, où se fondent les décisions : elles ne jouent plus leur rôle. Les différentes assemblées générales (de septembre 2019 ou de février 2020) ont manifesté au grand jour, et devant des représentants extérieurs médusés, cette impossibilité de dialogue et les très fortes dissensions qui en découlent. Une UFR ou un laboratoire ne se dirigent pas sans prendre en considération l’avis des membres qui le constituent.

Les conseils, qui auraient dû décider des orientations scientifiques et pédagogiques du CESR, se sont par ailleurs trouvés neutralisés par l’absence de recours au vote sur les questions stratégiques qui engagent son avenir. L’exemple le plus criant est sans doute celui de l’affichage de l’offre de formation qui, sous le titre d’« École supérieure en intelligence des Patrimoines », correspond à un changement radical d’identité pour le CESR et pose par ailleurs question du point de vue de l’identité juridique de notre établissement. Ce sujet, pourtant maintes fois débattu en conseil d’UFR et en assemblée générale, n’a jamais fait l’objet d’un vote. De la même façon, le projet d’École Universitaire de Recherche,dont vous avez été le porteur et qui aurait modifié intégralement la nature des activités du Centre d’études supérieures de la Renaissance s’il avait été financé, n’a jamais été présenté au vote en conseil d’UFR. Sa teneur est restée « confidentielle » et, alors que vous indiquiez que les noms de « six cents enseignants chercheurs » apparaissaient dans ce dossier, rares sont les collègues à avoir été sollicités sur sa pertinence puis associés à sa rédaction.

Vous n’avez plus convoqué le Conseil de perfectionnement (théoriquement annuel) depuis maintenant trois ans, alors qu’il a pour fonction d’aider le directeur et son équipe dans leurs choix stratégiques. Il est regrettable d’avoir ainsi privé le CESR de l’avis éclairé d’experts renommés d’envergure internationale.

Au-delà de nos désaccords sur le projet scientifique et pédagogique, la distance que vous avez choisi de prendre avec le Centre de la Renaissance, et celle qui vous sépare désormais d’une partie de ses personnels, sont une source de graves dysfonctionnements sur le plan administratif. La semaine du 9 mars 2020, le personnel administratif du CESR a préparé la fermeture de l’établissement liée à la crise sanitaire sans soutien de votre part. Ce désengagement, à un moment d’extrême tension et de sidération du monde universitaire, nous a d’autant plus choqués qu’il s’est accompagné d’un lourd silence : plus de deux semaines se sont en effet écoulées entre la fermeture des universités et le premier courriel que vous avez adressé au personnel de la composante que vous êtes censé diriger. Votre gestion de cette crise sanitaire n’est cependant que le révélateur d’une absence que tous les collègues ont pu constater depuis au moins un an. Vous avez conduit une activité politique extrêmement prenante dans laquelle vous vous êtes pleinement investi ; mais nous avons le sentiment que le temps qui vous était nécessaire pour ce faire a été pris sur celui dévolu à vos charges académiques.

Les étudiants pâtissent autant que les personnels de ce désengagement. Il suffit de rappeler que le 8 juillet 2019, accaparé par un « pique-nique convivial » de nature politique (dont les réseaux sociaux et la presse ont largement fait état), vous n’avez pas siégé au jury d’attribution des contrats doctoraux et il n’y avait personne pour vous remplacer. Or, les conditions de préparation de nos étudiants avaient changé et la concurrence était rude –ce qui exigeait de votre part une vigilance particulière. Ce jour-là, pour la première fois depuis sa création, le Centre d’études supérieures de la Renaissance n’a obtenu aucune allocation.

Enfin, nous nous inquiétons de la dégradation très nette des relations avec nos tutelles et nos partenaires. Pour la première fois depuis sa création, l’Association des Amis du CESR n’a bénéficié cette année d’aucune subvention municipale. En 2019, la Métropole de Tours s’est également désengagée du financement de notre colloque annuel qu’elle avait pourtant appelé de ses vœux. En 2019 toujours, à l’exception du seul programme régional Intelligence des Patrimoines, le Centre d’études Supérieures de la Renaissance est resté très absent de la grande année de célébration de la Renaissance en Val-de-Loire, initiée par la Région, et plusieurs collègues se sont émus de cette marginalisation.

Mais, au-delà de ces enjeux locaux, nous nous inquiétons aussi de la dégradation de nos relations avec nos partenaires nationaux et internationaux. Le 6 avril 2020, la directrice adjointe de l’Institut National des Sciences Humaines et Sociales, notre tutelle au CNRS, a souhaité rencontrer les membres du Conseil de laboratoire pour discuter de la gouvernance et du projet scientifique de notre établissement. Cette visite sans précédent dans l’histoire du CESR, vous avez cru bon de la présenter comme« sans enjeu immédiat » dans un courriel. Elle n’a pas été explicitement motivée aux membres du Conseil et c’est seulement à l’occasion d’un conseil d’UFR, le 9 avril dernier, que nous avons appris de votre bouche qu’elle s’expliquait par l’inquiétude que suscitait à la direction du CNRS des alertes sur votre manque de disponibilité. Aucune suite n’a été donnée et nous restons dans le questionnement du pourquoi et des conséquences de cette convocation, sur lesquelles vous aviez pourtant annoncé revenir au sein du conseil d’UMR qui avait été annoncé, devant les représentants de la tutelle, comme devant se tenir la semaine suivante.

Enfin, nous constatons avec tristesse que la réputation du CESR a été ternie ces dernières années : notre offre de formation a fait l’objet le 9 octobre dernier d’un article goguenard dans Le Monde, où elle était la proie des sarcasmes liés à vos activités politiques. Les débats qui ont animé les deux dernières assemblées générales du CESR ont eu des échos jusque chez nos partenaires français et étrangers, et plusieurs collègues se sont inquiétés auprès de nous de l’avenir du Centre.

Le Centre d’études supérieures de la Renaissance est notre héritage commun. Son identité — question qui a été au cœur des débats lors de la visite du CNRS, en présence de Daniel Alquier, vice-président à la recherche de l’université, et de nos autres tutelles — transcende les ambitions individuelles. Si elle peut évoluer (car, bien sûr, comme celle de toute institution scientifique, elle dépend aussi des progrès de la recherche elle-même et des nouveaux enjeux qu’elle soulève), cette identité doit être protégée et affirmée dans le cadre d’un projet partagé et construit par l’ensemble des membres de l’institution – les enseignants-chercheurs, les personnels administratifs, de bibliothèques et de recherche, les doctorants et les étudiants qui souhaitent travailler à faire prospérer notre Centre. Et cela d’autant plus à une période charnière où les tutelles nous demandent de préciser l’identité du Centre (CNRS, réunion du lundi 6 avril dernier) pour novembre prochain, et de réfléchir à une nouvelle offre de formation dès l’année universitaire à venir pour le prochain contrat (2022-2026).

Nous ne nous reconnaissons plus dans la politique et le mode de gestion actuels du CESR, malgré nos efforts pour accompagner les formations à différents niveaux, et les tentatives de dialogue que nous avons portées en vain au sein des conseils depuis le tout début du nouveau contrat de formation. Pour ces raisons, celles et ceux d’entre nous qui siègent au sein des conseils d’UFR et d’UMR ou qui assument des responsabilités dans l’administration de nos formations vous présentent donc leur démission de ces charges. Cette démission prend immédiatement effet pour la représentation aux conseils et sera effective à la fin de l’année universitaire pour les responsabilités pédagogiques : les jurys de cette année seront assurés mais pas la préparation de l’année prochaine. Ce retrait ne vise en aucun cas à perturber les activités de formation ou de recherche du CESR. Il s’agit désormais pour nous d’éviter de creuser les dissensions qui pourraient naître au sein de notre équipe et mettre en péril sa cohésion. Soyez sûr de notre attachement au Centre de la Renaissance et de notre volonté d’en défendre les intérêts.