Une pratique pédagogique étonnante au collège Christ-Roi

A Tours Nord, au collège Christ-Roi situé près de l’église éponyme, l’autonomie des élèves est matérialisée d’une façon un brin étonnante...

Cet ensemble scolaire (école primaire et collège) privé, où la « cotisation » annuelle est de 760 € pour le collège, mise sur l’autonomie des élèves. Vu le prix payé, les parents s’attendent sûrement à un encadrement renforcé, des activités supplémentaires ad hoc, des outils de suivi et des conseils. Mais c’est une toute autre méthode qui est appliquée : des bracelets de couleurs suivant le degré d’autonomie !

Hiérarchiser pour rendre autonome ?

Du blanc pour le novice (0 point) au vert (30 points) pour l’élève modèle, il y a une couleur suivant chaque comportement. « Chaque semaine, chaque élève gagne automatiquement 1 point d’autonomie. Tous les 6 points cumulés, il passe à la couleur suivante » indique le site internet du collège, qui précise qu’un élève peut gagner des points bonus en cas « d’action(s) [ou] de comportement particulièrement mature ».

Évidemment, il est plus facile de perdre des points que d’en gagner : en dehors des inévitables dégradations, « chaque croix dans le carnet de correspondance fait perdre un point d’autonomie, sauf les croix de bavardage qui en font perdre deux » ; sont également sanctionnés « au cas par cas » les actes « qui [démontrent] un manque d’autonomie manifeste », et qui peuvent donc aboutir à des pertes d’autorisations. Ces autorisations sont au nombre de treize (plus quatre supplémentaires pour les élèves de 4ème et 3ème). Cela va de « l’autorisation d’assister aux rencontres sportives du midi » (bracelet marron) à « l’autorisation d’accès au parc, pour lire, réviser et travailler en groupe (temps du midi, récréation, temps de permanence). » (bracelet vert, autorisation ouverte aux seuls 3èmes).

Une pratique pédagogique faussement moderne et vraiment élitiste.

Ce « dispositif d’autonomie » porte bien son nom : c’est « un ensemble de praxis, de savoirs, de mesures, d’institutions dont le but est de gérer, de gouverner, de contrôler et d’orienter – en un sens qui se veut utile – les comportements, les gestes et les pensées des hommes » [1]. Derrière un aspect fun car coloré, adapté des pratiques de l’animation [2] mais aussi des ceintures utilisées en arts martiaux, se cache une vision hyper hiérarchisée dans une institution déjà très hiérarchisée (sélection à l’inscription, notes, option(s), etc.) qui est le reflet d’une société de classes où l’ascenseur social est (définitivement) en panne.

Par ailleurs, porté en permanence, le bracelet peut chez des pré adolescent-es finir par modifier l’identité individuelle [3] au lieu qu’il soit simplement le reflet d’un moment ou d’une période T dans le cheminement d’un futur adulte. Cela peut induire une vision essentialiste des individus : le bon élève qui a un bon comportement est bon en soit. D’où l’effroi qui s’empare de l’entourage voire des lecteurs/téléspectateurs quand ledit bon élève devenu bon père de famille a commis un délit voire un crime particulièrement grave. A l’inverse le mauvais élève qui a un mauvais comportement est stigmatisé dès le début : il/elle a pris un (bien) mauvais départ, on en tirera rien de bon...

Enfin sans aller jusqu’aux différents régimes totalitaires qui marquaient leur(s) population(s) difficile de ne pas penser au scandale de la cantine d’Auxerre où les enfants qui ne mangeaient pas de porcs étaient repérable à une pastille rouge. Il ne manque plus que le retour de l’uniforme scolaire qui était l’une des 15 propositions sur le pacte républicain et la nation de l’UMP en vue de la présidentielle de 2012 et qui est une mesure régulièrement ressortie par plusieurs dizaines de député-es et sénateur/trices UMP... Justement en parlant d’uniformes, les seuls métiers où l’on porte à la fois un uniforme et un signe distinctif supplémentaire sont l’armée et le clergé ! Le sabre et le goupillon, quoi de plus logique pour un établissement privé catholique ?

Notes

[1Giorgio Agamben, Qu’est ce qu’un dispositif ? Payot, Coll. Rivages Poche / Petite Bibliothèque, 2007 pour la traduction française, p.28.

[2Les couleurs sont utilisées pour les enfants en bas âge afin d’indiquer par exemple à quel animateur ils sont rattachés ou encore l’activité qu’ils et elles ont choisies.

[3Voir La leçon de discrimination, expérience québecoise réalisée dans les années 2000 avec des enfants de primaire : https://www.youtube.com/watch?v=2jLMRbNsLf0