1949-1968 : Le baby-boom blues
« Née en 1949, Anne est issue de la petite bourgeoisie intellectuelle : son père est écrivain et sa mère documentaliste en région parisienne. Ils sont athées, votent à gauche, mais la politique ne constitue pas un objet de discussions au sein de la sphère familiale. Élevée par ses grands-parents paternels jusqu’à l’âge de six ans, Anne hérite d’une mémoire familiale marquée par la figure héroïque de son grand-père, résistant, arrêté par la Gestapo en 1944, et qui s’évade la veille de sa déportation. Elle est beaucoup moins proche de ses parents, qui l’ont eu très jeunes, et semblent peu investis dans son éducation : « Je venais d’une famille double discours : on dit qu’on aime, sans rien ressentir, on dit qu’on est de gauche, on ne fait rien. On est laïque, mais on inscrit sa fille chez les sœurs… »
Réfractaire à l’ordre scolaire, Anne connaît une scolarité chaotique, renvoyée de multiples établissements pour indiscipline. Après avoir été congédiée d’un énième lycée, elle s’inscrit en 1967 dans un cours de théâtre à Paris, tandis que ses parents partent vivre en Bretagne. Mais Anne entre dans une phase d’anorexie et ses parents la rapatrient peu de temps après. (…) L’impossibilité d’adhérer au rapport éducatif dans la sphère familiale et une rupture d’adhésion précoce à l’autorité scolaire (traits caractéristiques de la matrice des incohérences statutaires, cf. chapitre 1) viennent renforcer ici un discours typique de la première génération à ne pas connaître de guerre (Sirinelli, 2008, p.177).
Anne vit chez ses parents en Bretagne au printemps 1968. Son père se rend au quartier latin, dès les premiers jours des événements, en spectateur. « Collée à la radio et suspendue aux journaux », Anne cherche également à rejoindre Paris, mais ses parents l’en empêchent : à 19 ans, elle est encore mineure. Elle garde de ce rendez-vous manqué un sentiment de grande frustration et l’« impression que cette génération devant [elle, ne lui] laissait pas de place. »
Quelques mois après les événements, Anne retrouve à Paris d’anciens camarades de lycée et tombe amoureuse d’un militant de la Gauche prolétarienne. Alors que ses parents comptent l’envoyer aux États-Unis et lui ont donné de l’argent pour le billet d’avion, elle achète finalement « une mobylette pour sillonner la banlieue, vivre et militer avec Alain ». Les événements de mai-juin 68 jouent ici un rôle de socialisation de prise de conscience, dans la mesure où Anne découvre et s’approprie un langage politique qui vient donner sens à son humeur révoltée. Pourquoi, cependant, et face au large spectre de l’offre militante en 1970, Anne rejoint-elle alors une organisation maoïste ? La rencontre amoureuse est déterminante du passage à l’acte, mais c’est avant tout un sens du placement bien particulier qui explique cette orientation : « Je m’amusais plus avec les libertaires, mais je voulais absolument appartenir au truc le plus dur. » Davantage que l’adhésion à des idées (marxistes, maoïstes), l’engagement d’Anne à la GP procède de dispositions à une surenchère dans la radicalité, qui sous-tendent d’ailleurs la suite de sa trajectoire. »
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