Depuis la mise à mort de notre proche Angelo Garand par un commando de l’antenne du GIGN de Tours venu l’interpeller chez nos parents à Seur, le 30 mars 2017, chaque 30 du mois nous revivons le cauchemar de cette journée. Bien que les mots nous manquent, l’horreur et la douleur ravivées nous font alors ressentir la nécessité de redire au plus grand nombre ce qui s’est passé, et de rappeler en quoi tout le monde est concerné. Puis février s’est écoulé et s’écoulera toujours en nous épargnant ce rendez-vous si particulier avec le 30ème jour du mois. À l’approche du premier anniversaire de la mort d’Angelo, notre notion du temps, affolée, s’efface. Comme si c’était arrivé hier.
Février 2018 s’est achevé avec la publication d’une tribune de Didier Fassin, dédiée à « la mémoire vive d’Angelo », le mercredi 28 dans Libération. Ce texte est une version abrégée de celui que le chercheur en sciences sociales nous avait adressé à l’occasion de notre première conférence-débat sur la prison, qui avait lieu quelques jours avant à Blois. Nous y retrouvons la mémoire de notre proche et nos raisons de la défendre, une mémoire en nous toujours plus vivement présente. Elle nous a encore portés tout au long de notre 11ème mois de lutte pour qu’Angelo ne soit pas oublié, lui qui avait connu depuis ses 22 ans la mort sociale entraînée par l’incarcération, lui qui a été physiquement éliminé à 37 ans par les gendarmes venus le chercher car six mois plus tôt, il n’avait pas réintégré sa cellule à Vivonne, après une permission d’une journée.
La prison a pesé lourdement sur la vie d’Angelo, avant de causer sa perte. Nous tenions donc à aborder cette question, refusant que sur les circonstances mêmes de sa mort, Angelo continue d’être jugé à son nom de Voyageur, ou à son casier judiciaire. En vue de l’interpeller, rien de cela ne justifiait l’envoi de forces militaires spéciales, leurs brutalités sur nos proches, et pour finir leurs balles mortelles, toutes tirées sans sommation dans le haut du corps, dès leur entrée dans la petite remise où Angelo ne faisait que se cacher. Nous continuerons d’évoquer dignement la prison à travers notre exigence de Justice et Vérité pour Angelo et toutes les victimes, car
La mémoire d’Angelo nous porte comme nous la porterons à la Marche des solidarités le 17 mars prochain à Paris, pour toutes les victimes, contre le racisme et la violence d’État. Nous la porterons à nouveau lors de notre Marche d’hommage et de lutte le samedi 31 mars à Blois, un an après, afin que tout le monde se souvienne qu’Angelo avait le droit de vivre ce 30 mars 2017.
« Défendre sa mémoire nous engage aussi à nous mobiliser »
Au plan judiciaire, avec l’aide du collectif Urgence Notre Police Assassine, nous nous sommes aussitôt constitués parties civiles dans l’enquête ouverte par le procureur. La juge d’instruction nous a auditionnés durant l’été puis est venue le 25 septembre faire ses constatations à Seur, sur les lieux de la mise à mort. Après avoir entendu les deux gendarmes auteurs des tirs mortels, contre l’avis du procureur elle les a mis en examen pour violences volontaires avec arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Le 30 janvier dernier, nous avons appris par courrier que l’instruction touchait à sa fin. Avant qu’un procès puisse avoir lieu, nous devons encore attendre les réquisitions du procureur, puis la décision de la juge. Souvent c’est une décision de non-lieu qui s’abat sur les familles réclamant Vérité et Justice. Nous voulons garder espoir et préparons actuellement avec notre avocate des demandes d’actes complémentaires dans la procédure.
Mais de même qu’Angelo n’était pas qu’un numéro d’écrou, il n’est pas qu’une affaire, un dossier. Il était un homme, un frère, un père, un fils, un ami, dont la vie comme toute autre comptait. Ainsi, au-delà du nécessaire combat judiciaire, défendre sa mémoire nous engage aussi à nous mobiliser, informer la population, contribuer par nos actions, soudés aux autres familles de victimes, à élargir la solidarité face à l’impunité des violences commises sans nécessité ni proportionnalité au nom de l’État. Nous avons rendu à Angelo son premier hommage public à travers une Marche à Blois le 22 avril 2017. Puis nous avons continué à rendre visible notre lutte avec une cagnotte solidaire et une pétition en ligne, un appel à soutien aux organisations associatives, syndicales ou politiques, un rassemblement à Tours le 30 mai, une nouvelle Marche à Blois le 30 septembre, et enfin notre première soirée-débat sur la question de l’engrenage carcéral, le 23 février dernier à Blois. Notre comité local, qui se réunit mensuellement pour nous appuyer dans nos actions, ne demande qu’à s’agrandir, accueillir de nouvelles forces.
Depuis la mort d’Angelo, chaque fois que possible nous avons aussi marché avec d’autres familles en lutte, à Paris en juin pour Lamine Dieng 10 ans après, à Beaumont-sur-Oise en juillet pour Adama Traoré 1 an après, à Rennes en décembre pour Babacar Gueye 2 ans après. Nous regrettons de ne pas avoir pu être physiquement présents au côté de tant d’autres familles ayant perdu un proche entre les mains des forces de l’ordre. Mais nous le répétons comme nous le revivons chaque fois, « quand on marche pour un, on marche pour tous ». Il est important d’être toujours plus nombreuses et nombreux aux mobilisations, les familles de victimes unies, les personnes et organisations solidaires, pour dire non à cette violence d’État. C’est pourquoi après la marche des solidarités à Paris, nous vous attendons en nombre pour Angelo et toutes les victimes, le 31 mars prochain, à 15 heures devant le tribunal de Blois.
Merci aux sites amis comme La Rotative, l’Envolée, Désarmons-les qui nous relaient. Merci à vous toutes et tous qui nous aidez à étendre le soutien. Chaque geste, signature, partage, présence, toutes les formes de participation comptent. Nous devons aussi insister aujourd’hui sur l’importance de la solidarité financière. Comme toutes les familles en lutte le savent, la poursuite du combat réclame des moyens matériels que nous n’avons jamais eus. Nous qui n’avions jamais rien demandé à personne, jamais nous n’aurions imaginé en venir un jour à interpeller aussi largement sur des questions qui font partie depuis toujours de nos réalités. Nos défunts nous rappellent qu’on ne peut pas, qu’on ne doit plus s’y résoudre comme si c’était la fatalité. Ce sont les réalités de cette société toujours plus injuste, inégalitaire et punitive, que seules nos solidarités nous donnent la force et le pouvoir de transformer.
La famille Garand et ses soutiens
Le 6 mars 2018