Tours, Auteuil, Sivens : l’usage dévoyé des enquêtes publiques

De Notre-Dame-des-Landes à Sivens, du grand stade de Lyon à celui d’Auteuil, les enquêtes publiques ne remplissent plus leur fonction lors de l’élaboration des grands projets. Même le président de la République reconnaît implicitement qu’elles ne jouent plus leur rôle de prise en compte de la participation du public, puisqu’il évoque la possibilité d’introduire des référendums locaux.

A l’origine, ces procédures consultatives étaient destinées à faire participer le public, notamment pour reconnaître le caractère d’utilité publique. A Tours, on en arrive à des enquêtes qui valident le projet avant même d’être lancées !

Tours, enclave de non-droit ?

La Rotative a déjà dénoncé cet état de fait dans un de ses articles Haut de la rue Nationale : les Tourangeaux disent non, le commissaire-enquêteur avait dit oui d’avance. Avant même le commencement de l’exercice de démocratie participative, les dés étaient pipés. Sur son blog Pressibus, Alain Beyrand fait le même constat en un article sous-titré Un caractère d’utilité publique accordé avant même l’enquête publique !. Il reprend cet exemple et en ajoute deux autres, celui d’une modification du PLU de Tours en 2012 et celui de l’élargissement de l’autoroute A10 en novembre 2014. Il montre comment le Tribunal Administratif d’Orléans et, dans le dernier cas, le Préfet d’Indre-et-Loire, prennent outrageusement parti dans ce que l’on pourrait considérer comme des forfaitures. Il souligne aussi qu’en cas de recours contre une enquête estimée invalide, le Tribunal Administratif se trouve juge et partie puisqu’il a nommé le commissaire-enquêteur et, selon toute vraisemblance, lui a donné des consignes. Enfin, il décrit ce que l’on peut appeler une magouille pour le Haut de la rue Nationale, consistant à traiter le sujet en une succession d’enquêtes, rejetant sur la dernière la privatisation de l’espace public alors que le caractère d’utilité publique est déjà validé !

De son côté, l’AQUAVIT a récemment publié un communiqué intitulé A quoi servent les enquêtes publiques à Tours ?, allant encore au delà, puisque l’association estime que même pour deux autres enquêtes où les commissaires-enquêteurs ont émis quelques contraintes, « il semble bien que les "réserves" améliorant le SCOT et le PDU de 2013 soient très peu prises en compte par la communauté d’agglomération ». Face à cet état des lieux, l’association pour la qualité de la vie conclut : « Les enquêtes publiques tourangelles ne jouent donc pas leur rôle, elles ne permettent pas au public de participer aux processus décisionnels ». Elle va jusqu’à désigner l’agglomération tourangelle comme une « enclave de non-droit » dans une lettre adressée aux Ministres de l’Écologie et de la Culture.

En aura-t-on une confirmation lors du prochain jugement du Tribunal Administratif d’Orléans sur la destruction de terres agricoles à Joué lès Tours aux Courelières ? Ce projet inutile n’aurait jamais dû atteindre un tel stade. Après le vote du Schéma de Cohérence Territoriale (SCOT) en 2013, il aurait dû être stoppé par le Préfet d’Indre et Loire [1] . L’Etat est déjà en tort, jusqu’à quel point ?

Des préfets partisans qui ne jouent pas leur rôle de contrôle de légalité

Il y a lieu de se demander si le cas tourangeau est habituel dans l’hexagone ou s’il est exceptionnel. Même si l’orientation donnée aux enquêtes apparaît toujours très partiale, comme si les choix retenus ne pouvaient avoir aucune alternative, la situation apparaît davantage nuancée sur leur déroulement. Prenons deux exemples, celui désormais célèbre du barrage de Sivens et celui, qui pourrait le devenir bientôt, des serres d’Auteuil.

Avril 2014, Sivens le Testet : opposition citoyenne aux pelleteuses, suite au refus d’écoute de l’enquête publique et au forcing du préfet
(Photo Reporterre)

A propos du barrage de Sivens et la zone humide du Testet, on peut lire sur le site Les Grandes Vanités :

« Dans les conclusions de l’enquête publique, les commissaires enquêteurs avaient donné un avis favorable sous réserve de l’avis de la commission nationale de la protection de la nature. A deux reprises, elle s’est prononcée contre le projet. »

De justesse, l’enquête publique avait donc permis de faire barrage au barrage, si l’on peut dire. C’est le préfet qui avait pris parti et tranché, passant même outre les réglementations européennes, comme l’explique un article du site Reporterre intitulé Voici comment l"Europe en est venue à la procédure d’infraction sur le barrage de Sivens.

Dans le périmètre tourangeau, le rôle du préfet apparaît tout aussi orienté. Les associations peuvent lui montrer des manipulations d’écriture ou des manquements évidents aux orientations du SCOT, il s’en lave les mains et ne prend même pas la peine de répondre. Ce représentant de l’État montre là un mépris complet des associations citoyennes, même quand elles sont reconnues, agréées, et théoriquement considérées comme des lanceurs d’alerte. Inversement, leur attitude est très attentionnée et chaleureuse envers les "décideurs" qu’ils rencontrent très souvent…

Pire, le préfet d’Indre-et-Loire s’est même fait le grand promoteur de l’élargissement de l’autoroute A10, persuadant les maires réticents de s’y plier [2]. 58 millions d’euros sont ainsi investis pour l’autoroute de la transnationale Vinci alors qu’il aurait été beaucoup plus pertinent d’investir une telle somme pour améliorer l’étoile ferroviaire tourangelle… et diminuer le trafic de l’A10. Une fois de plus, l’intérêt public est bafoué, les objectifs du Plan Climat aussi, etc. On agit à l’inverse des beaux discours.

Même quand certains services de l’État ont des avis contraires ou très critiques, les préfets font du forcing. C’était le cas pour Sivens, ça l’est aussi aux Courelières, en Haut de la rue Nationale (l’Architecte des Bâtiments de France ne compte pas… [3]) et pour l’A10.

Il est pourtant dans les attributions du préfet de s’assurer de la conformité à la loi des actes pris par les collectivités territoriales et certains établissements publics. Ça s’appelle le contrôle de légalité [4]. On est là dans une évolution constante depuis un demi-siècle, celle d’un Etat qui se désengage de la prise de décision, la laissant à quelques grandes féodalités financières (Vinci, Bouygues, Eiffage, Alstom...).

Avril 2011, Tours, mail du Sanitas : opposition citoyenne aux abattages d’arbres, suite au refus d’écoute lors de l’enquête publique sur le tramway, au refus du préfet d’intervenir et au rejet arbitraire du référé-suspension par le Tribunal Administratif d’Orléans (photos blog Pressibus)

Des Tribunaux administratifs partisans refusant d’écouter la population

Pour le projet d’extension du stade de tennis Roland Garros dégradant les serres d’Auteuil, la commissaire-enquêteur n’a pas fait grand cas des très nombreuses protestations citoyennes et a épousé l’avis de la fédération Française de Tennis et de la ville de Paris. Dans un article titré Roland Garros : à quoi sert une enquête publique ?, Didier Rykner se plaint d’abord du parti-pris complet du commissaire-enquêteur : « Ce rapport aurait aussi bien pu être écrit par Gilbert Ysern, le président de la FFT que par Anne Hidalgo ». Concernant le Haut de la rue Nationale, ou pour les Courelières ou le Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV) du secteur sauvegardé de Tours, on pourrait pareillement dire que « le rapport aurait aussi bien pu être écrit par le président de la SET ou de Bouygues Immobilier que par le maire ». Aucune nuance, aucune critique, le projet est formidable. Comment les Tribunaux Administratifs font-ils pour nommer des commissaires aussi bénis-oui-oui ?

On ne s’étonnera pas que tribunaux et préfets se serrent les coudes. Y a-t-il eu un seul jugement condamnant un préfet pour ne pas avoir exercé son contrôle de légalité ?

Didier Rykner rappelle ensuite les propos du commissaire enquêteur dans le cadre de l’extension de Roland Garros. Des propos trop souvent rabâchés (notamment à Tours) par les tenants des projets pour dénigrer les opposants : « D’une part, les personnes s’étant exprimées lors de l’enquête publique sont très mal informées, d’autre part elles sont par nature forcément contre ». Et Rykner conclut : « Est-il utile de renforcer ces parodies de concertation en acceptant d’y participer ? La question mérite assurément d’être posée ».

Il reste l’intérêt de prouver que l’expression citoyenne est bafouée, c’est mieux que de s’entendre dire qu’il n’y a pas d’opposants puisqu’ils ne s’expriment pas... Maigre consolation, mais elle est essentielle pour légitimer ceux qui ensuite résisteront physiquement à ces projets inutiles imposés [5]. C’est parce notre démocratie fonctionne mal qu’on en arrive légitimement là, comme un dernier sursaut de citoyens excédés de ne pas être entendus.

Que faire alors pour que ça s’arrange ? Refusant la proposition du président de la République de créer des référendums locaux, le site Reporterre, dans un éditorial intitulé M. Hollande se fiche du monde, donne la solution la plus simple : que l’État cesse de saborder les enquêtes et qu’il fasse en sorte qu’elles se déroulent dans les meilleures conditions. Dans ce cadre, il faudrait aussi que les préfets exercent leur contrôle de légalité et que les tribunaux administratifs jugent avec pertinence et indépendance.

Constant Chidaine

Illustration : Eric Drooker

Notes

[2Déposition du 7 novembre 2013 sur le blog Pressibus : L’étonnant parti-pris du préfet pour l’élargissement de l’autoroute A10

[4Voir la page Wikipédia sur le contrôle de légalite

[5Le petit livre noir des grands projets inutiles de Camille, édité par Le Passager Clandestin