Sex & drugs & rock & roll & anger : aux origines d’Aucard de Tours

Le festival Aucard de Tours a 30 ans. Après la « manif Béton » qui a eu lieu le 31 mai 2015, retour sur les débuts du festival, et ceux de Radio Béton. En forme de règlement de compte à Aucard Corral.

SEX & DRUGS & ROCK & ROLL & ANGER

(si je dis des conneries, vous m’arrêtez)

Tout a commencé du côté de Niort, sur l’autoroute. A vrai dire, Jean Mi et moi, on s’était arrêtés pour se rouler un cône « king size », tout contents d’avoir trouvé ces foutus 45 T d’Iggy sur Bomp Rec. ainsi qu’un plein coffre d’imports US plus ou moins officiels. Le sujet de conversation était la réplique à donner à l’interdiction qui venait de frapper Radio Béton. Pas vraiment une interdiction, à vrai dire, plutôt une prière de débarrasser le terrain pour laisser les « pros » jouer ensemble dans la cour des grands sans s’emmerder la vie avec une bande de crêtus affublés d’un perf’ pourri constellé de badges et d’un QI de cannette de Kro.

La bonne parole distillée aux masses laborieuses se devait d’être confiée à des pros qui pouvaient donner des gages d’orthodoxie. Les business men à l’affût de cette manne céleste qu’était la toute nouvelle bande FM et son eldorado publicitaire ne pouvaient pas non plus supporter bien longtemps qu’on puisse confier les commandes d’un tel outil à une bande d’incapables même pas foutus de faire fructifier le bazar. Faire du bruit, d’accord, mais faut que ça rapporte ! Les requins étaient à l’affut, ils avaient leurs réseaux jusque dans les ministères. Un petit exemple, allez Tonton, balance ! Hé bien d’une main, l’Etat interdisait les réseaux de radios pour privilégier les initiatives locales et indépendantes, et de l’autre, le fils d’un ministre organisait l’un des premiers réseaux FM d’ambition nationale, couvé par des publicitaires, des agences de com’… et Papa. De toutes façons, les robinets à merde à jet continu avaient déjà pris une longueur d’avance.

Interdiction, donc. La gauche Tartuffe déjà bien installée venait de se rappeler à notre bon souvenir. Elle soutenait d’une main ce qu’elle interdisait de l’autre.
Dear Jack Lang papillonnait à la Culture, où il semblait bien que le monde du rock avait son rond de serviette en permanence, il était même venu vendre sa camelote à Béton, il était arrivé - paillettes/bouclettes - avec ses gardes du corps enfouraillés jusqu’aux sourcils et je l’avais même interviewé tout gentiment. Le genre « entre gens de bonne compagnie », tu vois ? Quel con j’étais ! Quinze jours plus tard, paf ! interdiction.

Jean Mi était songeur. Plus pragmatique que moi, il soupesait déjà les options à prendre. En une seule journée, les soutiens affluaient depuis qu’on avait balancé l’info : Béton devait cesser d’émettre. Immédiatement. Des tas de lettres arrivaient dès le lendemain matin, des classes de bahuts avaient spontanément pétitionné sur des feuilles de cahiers, plusieurs groupes nous avaient appelé pour nous proposer de jouer pour nous…

Dans notre bagnole le silence était…euh…enfumé.

« Oui, mais avec 300 places dans la salle, tout debout et en comptant les anorexiques, ça va pas l’faire ! »
J’ai pris ma respiration. C’était de la bonne…
« Un concert de soutien… mais un gros truc, en extérieur… »
« Où ça ? »

Depuis des mois, tout le milieu rock tourangeau pestait contre le manque de lieux pour se produire, répéter, enregistrer, et Radio Béton n’était pas mieux équipée que la moyenne : les studios, terme d’ailleurs assez pompeux pour décrire un matériel plutôt rudimentaire, occupaient le premier étage, côté façade, de ce qui allait devenir le Bateau Ivre, et se nommait à l’époque « l’amphi ».

La génération Royer se foutait pas mal du rock, faut dire que pour eux la connaissance du monde du rock s’arrêtait quelque part autour de Franck Mickael. Ces gens là toléraient le jazz (à l’ancienneté) parce que, ma bonne dame, cette clientèle là, c’est farci de classe moyenne, d’enseignants, et que ces gens là, même s’ils écoutent des musiques de nègres, ils votent.
Nous avons donc caressé la mairie dans le sens du poil avec un soupçon de cynisme et un sens de l’à propos qui nous a bien été utile par la suite.

L’idée était donc toute simple. Le lieu : l’île Aucard. J’y pensais depuis longtemps. Se servir du pont comme infrastructure de scène… Une île en pleine ville…
L’idée qui est née dans cette voiture (lequel de nous deux ? m’en souviens plus) était tout bonnement de profiter de la fête de la musique, pour proposer d’un ton faussement innocent un concert gratuit qui allait drainer une partie du public qui s’entassait déjà dans le quartier Plumereau. Toujours ça de moins dans les coins à touristes, et hop, les voyous au vert !
Nous avons eu tout de suite le soutien de la Mairie, des service municipaux, et même toute la sollicitude des services de Police dont nous avions déjà noyauté la progéniture…

Et la Gôche, pendant ce temps, elle faisait quoi ? Ben… elle nous regardait grandir avec l’oeil protecteur et tout de même un poil méfiant des grands frères qui s’acharnaient à tenter de nous apprendre à penser correctement depuis des lustres. Il faut dire que l’ambiance était passablement plombée.

La première interdiction

Radio Béton était née depuis peu, à la suite d’un clash qui a vu crever la première radio « libre » tourangelle : Radio Transistours.
Radio Transistours existait depuis déjà quelques années et elle était devenue un symbole, à défaut d’être une institution. Son équipe avait vu émerger deux tendances devenues peu à peu antagonistes.

La première était composée de quelques individus qui se disaient proches des milieux militants (de gôche) et soucieux de faire une radio clean et politiquement correcte. Enfin, c’est ce qu’ils disaient.
Ouaip ! question de langage, de culture (musicale et autre), et de cette prétention qu’ont les intellos à deux balles qui investissent le secteur associatif local faute d’avoir un terrain de jeu à leur mesure de détenir le Savoir, et donc de prétendre au Pouvoir.
En face, un assemblage hétéroclite de ce qui restait de l’équipe du feu « P’tit Rouge de Touraine », quelques naufragés d’autres radios exclus pour insubordinations diverses, et quelques petits jeunes qui voulaient simplement être là et causer dans le poste.

Les premiers s’auto-proclamaient « militants », de cette caste miséreuse de ceux qui pensent pour vous, agissent pour vous, baisent pour vous… et viennent vous infliger d’interminables discours sur le féminisme pendant que leur copine termine la vaisselle.
Ils nous prenaient pour des « rockers dépolitisés ». Nous, ça nous faisait bien rire, nous n’avions rien à prouver à personne et nos combats antérieurs étaient encore bien présents dans la mémoire collective.

Pour être honnête, nous n’avons rien fait pour éteindre les braises, bien au contraire, souffler dessus était devenu un jeu pour pousser ces charlots dans leurs derniers retranchements. Et puis il existe une sorte d’esthétique dans la provocation. Piquer au vif un con est un plaisir rare. Plus ils nous accusaient d’être notre propre caricature de keupons déchirés qui gerbent dans les micros, plus on en rajoutait. On voulait sans doute voir jusqu’où on pouvait aller trop loin. On a vu. Ils n’ont pas hésité à trafiquer une Assemblée Générale pour prendre le contrôle de l’association et virer tous les « mal-pensants », puis, la nuit même, fiers de leur légitimité toute neuve, ils sont venus en commando piller tout le matériel de la radio, afin de s’en servir pour monter une radio concurrente : « Alyce FM » avec donc le matos et en émettant sur la fréquence de Transistours (le 93.6, déjà) après avoir embobiné la mairie de La Riche pour avoir des locaux et un soutien politique. Ladite mairie n’a pas moufté, même après avoir été dûment informée de la saloperie dont ils s’étaient rendus complices involontairement. Ils ont eu bien du mal à se dépêtrer du merdier dans lequel ils s’étaient fourrés. La gauche locale s’était encore une fois pris les pieds dans le tapis. « Alyce FM » finira par crever quelque temps après, dans l’indifférence générale et l’un des « putschistes » fera même amende honorable quelques années plus tard en favorisant la reprise de la fréquence par Radio Béton. Qu’est devenu le matériel ? J’en sais rien. Va falloir que je pose la question.

Exit donc les « gens qui pensent en rond et qui ont des idées courbes »( merci Léo). La colère est toujours là. Trente ans après, il y a des choses qui ne se pardonnent pas. Vous voulez des noms ? Vous ne les aurez pas ici. Pas envie que le rédac-chef (oui, je sais, mais je me fais plaisir, là) de La Rotative finisse sur la paille humide. Mais les noms de cette bande de foutus salopards ont été publiés. Vous savez « rendre la honte plus honteuse encre….etc. » Hé bien, le moment venu nous en reparlerons sans doute.

De la première manif au dernier riff

En deux jours, et juste au moment où tout le monde partait en vacances, une manif s’est mise en place. Pas vraiment « spontanée » comme je l’ai lu je ne sais plus où, mais préparée à l’arrache avec ce délicieux mélange de rage et d’envie de faire la fête, malgré tout.

Tract d’appel à la manifestation contre l’interdiction de Radio Béton

Pascal était un peu inquiet. Il faut dire que le téléphone chauffait pas mal, et que des négociations discrètes commençaient à nous faire entrevoir une solution… Pas le moment, donc, de prendre les autorités à rebrousse-poil. La consigne, donnée à mi-voix, était de ne pas en faire trop, et surtout pas de slogans incendiaires contre le CSA, ces gens là ont vite tendance à prendre tout de haut.
Il a changé de couleur quand le défilé s’est formé, quittant la place du Palais pour enquiller la rue Nationale aux cris de : « CSA enculés ! »

On a réellement payé à boire à tout le monde, et c’est important de ne pas oublier le sens de la fête dans ces moments là, ne jamais se prendre trop au sérieux et c’est précisément ce mélange des deux, la colère et la fête qui ont créé Aucard de Tours.

Difficile de faire partager ça, surtout 30 ans plus tard. A moins, peut-être… On peut être sérieux cinq minutes ? J’avais écrit ce truc l’année suivante, au milieu de la nuit sur l’Ile Aucard, une petite feuille sortait, environ toutes les deux heures, d’un éphémère Béton MégaZine, en fait, un simple recto-verso fait au feeling, écrit sur un coin de table entre deux pétards et trois bières dans un préfabriqué où on stockait les fûts de bière. Cale toi dans ton fauteuil, on est en 87 et c’est du brut.

« …et la nuit te dira le dernier blues avant le KO terminal. Le dernier temps mort entre deux silences torrides(…) ceux là, qui assument la folie de la ville vont peindre la nuit de bleu, de rouge, d’ombre et de bruit. Tu ne seras plus rien d’autre qu’un riff allumé, qu’un déferlement de batterie, qu’un univers basculant de décibels sans nombre, cette musique te prend au ventre. LA. (…) les mots de ces heures là sont des notes ou des armes blanches, livides, à balafrer le silence imposé. DEMAIN EST UN NON-SENS. Il n’y aura sur cette planète jamais assez d’incroyables idées, de projets délirants pour décoller de l’autre côté de de la planète, jamais assez de regards qui défient le quotidien. Je déjante ? Peut-être. Planté quelque part entre le private joke et ce que n’importe qui, ici, peut sentir. (…) et si tu as pu sentir ça une fois au moins dans ton existence c’est foutrement normal que tu sois ici ce soir. Alors, laisse passer le clin d’œil, et t’en fais pas, une autre groupe se prépare déjà, là, dans la tente bleue, cling, cling, il accorde une Strato millésimée et à l’autre bout un roadie met ses gants pour trimballer des trucs lourds et froids qui dégageront une fois de plus un potin d’enfer »

Trente ans plus tard, entre le happening et l’auto-parodie, il est 17 heures, nous sommes dans la rue Colbert, un dimanche. La banderole de tête claque : « NI DIEU NI MAITRE ». En 2015, elle prend forcément une tonalité particulière. La révolte est toujours là, elle jaillit dans un arrêt spontané devant La Barque, une solidarité immédiate avec ceux qui sont là et sont sortis en nous entendant arriver. Nos copains, ils sont plutôt là qu’à la Mairie, qu’on a contournée tout à l’heure sans même lui jeter un coup d’œil.

« Manifestation » organisée par Radio Béton, 31 mai 2015

Trente ans plus tard, atelier maquillage à ciel ouvert. Les costumes, les tribus, les looks on rejoue le film ? C’est le spectacle de la révolte ou juste un peu de théâtre de rue pour se mette en train avant le vrai début des hostilités ? Un drapeau noir, et on affiche Ni Dieu Ni Maitre devant la cathédrale, une parodie de fête païenne sur le parvis, la bonne odeur de soufre revient, et ces temps-ci, ça fait du bien.

« Manifestation » organisée par Radio Béton, 31 mai 2015

Trente ans plus tard, on ne me refera pas le coup de la nostalgie. Au début Aucard était au milieu de la cité, gratuit, et avec une forte proportion de groupes locaux (ceux là même qui nous avaient soutenus, plus d’autres) et avec le temps, le projet a évolué. Pour pouvoir durer dans le temps, c’était nécessaire. Baisse des subventions aidant, on a basculé vers une autre formule, mais au moins, Aucard existe toujours. On en est à combien de festivals et d’événements culturels annulés purement et simplement cette année dans toute la France ?

Trente ans plus tard, on continue de naviguer entre des élus de droite cyniques, comme ceux qui nous conseillaient de réémettre immédiatement pendant l’interdiction, en vertu de leur sacro-sainte loi de la jungle, ces élus tout contents de nous trouver pour faire de l’animation culturelle qui, souvent, ne coute pas un rond au contribuable, et des élus de gauche trop occupés à gérer les effets de leurs trahisons successives pour tenter de comprendre ce qu’ils n’ont jamais compris. Ils ont réussi le tour de force de dégoûter de l’action politique au moins deux générations, au point que ce mot sonne maintenant pour beaucoup comme une grossièreté.

Trente ans plus tard, il y a ceux qui continuent d’avancer, imperturbables, et ceux que l’on sent un peu aigris. Jean Mi et moi, on en a parlé deux ou trois fois mais là, je ne vous raconterai pas. De toutes façons, nous allons sauvegarder l’essentiel : nous irons voir les Flamin’Groovies.
A Blois.

sous-commandant Tonton

P.-S.

Ce n’est rien d’autre que la vision de l’un des acteurs, trente ans après. Je ne représente rien, même pas moi même, la mémoire, vous savez....