Une voix singulière
Le cinéma est un art, le film est une oeuvre d’art. Sans Canal Fixe a pour but de promouvoir cet art, et de permettre le développement de créations singulières. Le collectif expérimente ensemble, la structure porte les dossiers, diffuse les films, l’association est un lieu où croire à toutes les formes libres du cinéma documentaire.
Certains réalisateurs du collectif ont ainsi fait le choix à un moment de créer en solitaire. De l’écriture au tournage, du montage à la diffusion, le film naît de la volonté d’un auteur. Pour autant, ces films produits au sein du collectif portent en eux l’empreinte de la réflexion que mène SCF sur le documentaire de création et ce depuis sa fondation en 1999.
Le collectif est le lieu où le réalisateur peut confier le projet à une équipe qui va le porter tout au long du processus de création. Du dépôt de dossiers pour obtenir des aides, aux envois aux différentes commissions, puis à l’aide à la diffusion, que ce soit en organisant des projections locales ou en accompagnant le film dans les festivals de création, SCF suit les projets du début à la fin. L’association fournit les locaux, le matériel, des compétences techniques, et surtout des regards sur le projet en cours. S’il est une habitude ancrée dans le collectif, c’est bien celle de regarder ensemble, de faire ensemble. Quand un réalisateur se lance dans l’aventure individuelle, il peut s’appuyer à chaque étape, à chaque interrogation, que ce soit sur l’écriture, le tournage, le montage, le mixage sonore, l’étalonnage, sur un ensemble de personnes aux compétences variées. Car ce qui caractérise un réalisateur agissant au sein de SCF, c’est sa polyvalence. Ce système de production associative permet de fournir un cadre à la création de films personnels.
Faire des films en douce
Les trois films qui sont évoqués dans cet épisode partagent un point commun : ils ont été crées à côté des structures traditionnelles, dans le giron de SCF, par des réalisateurs du collectif. Ces films personnels, signés d’un nom, sont revendiqués comme des créations personnelles, avec en soubassement l’idée de créer librement, de raconter une autre manière de faire du cinéma. Les trois films jalonnent la période 2007 à 2014. Ce sont les années des aides dérogatoires à la production cinématographique et audiovisuelle. En région Centre, c’est une agence publique qui gère les dossiers de subventions et les aides à la création : CICLIC [1].
Durant la décennie précédente, SCF a défriché des modes d’écriture, de production et de diffusion. L’agence régionale d’aide au cinéma explique régulièrement que le modèle économique de SCF n’entre pas dans les cadres traditionnels. Mais des aides se mettent en place, des bouts de subventions, des « aides au développement », des « aides à la post-production », des « aides à l’écriture », qui mises bout à bout permettent de faire aboutir des projets. C’est une bascule intéressante dans le cadre de la production cinématographique, car ce sont les films à la marge, qu’ils émanent de SCF ou d’autres structures en région [2], qui vont profiter d’une fragile économie parallèle. De cette économie des « films pas chers » naîtra un certain nombre de productions singulières.
Un jour en France, 2007
Le projet Un jour en France est né d’une envie commune entre les associations Cent Soleils et Sans Canal Fixe de produire une série de films courts selon des contraintes précises. Chaque réalisateur, issu de l’une ou l’autre association, a réalisé entre janvier et mars 2007 un court métrage d’une durée de dix minutes (environ) en portant un regard sur la France d’aujourd’hui. 9 réalisateurs, 9 films singuliers, pour construire un film collectif. C’est le premier passage au singulier de certains réalisateurs, qui conjuguent leurs regards pour décrire la France en campagne électorale.
Un jour en France est un film de Brice Kartmann, Vianney Lambert, Simon Leclère, Maud Martin, Cédric Michel, Anne Moltrecht, Mohamed Ouzine, Charlie Rojo et Ludovic Vieuille. Une multitude de regards personnels, une multitude de points de vue, de sensibilités, pour tenter de raconter la France, en un portrait composite. Dans ce film, nous retrouvons Pepiang Toufdy [3] filmé par Maud Martin le jour de ses 18 ans. Ce film hybride qui pose la question de l’individu au sein de la collectivité et à plus grande échelle au sein de la communauté, sera sélectionné aux États Généraux du film documentaire de Lussas [4] l’année de sa sortie.
Dialing Diary, 2011
Journal filmé au téléphone, Dialing Diary est l’aboutissement de la démarche de diariste d’Yvan Petit. Durant ses études de cinéma à Bruxelles, il travaille avec Boris Lehman, cinéaste belge qui filme sa vie depuis 25 ans, construisant une somme filmique, un récit immense, intitulé Babel [5]. Dès cette époque, Yvan filme quotidiennement. Filmer, c’est le geste, chaque jour répété, faire ses gammes pour apprendre. En 2011, avec la généralisation des téléphones qui filment, Yvan continue de faire des plans chaque jour, mais délaisse la caméra pour cet outil léger. Sa caméra est dorénavant dans sa poche, et lui sert aussi à être connecté au monde. De la collecte de ces plans, de ces fragments courts, naîtra Dialing Diary, journal filmé au téléphone. Dialing diary montre Yvan dans sa vie de cinéaste, en prise avec le projet d’un autre film. Il est dans une période d’écriture d’un film sur son père, dans l’écriture de dossiers de subventions, dans la recherche d’une production « dans les cadres ». C’est dans cette période de doute quant à la possibilité de mener à bien le film sur son père, qu’il se décide à monter ces bouts de plans, engrangés depuis quelques années. Ce journal filmé est un pied de nez à la production traditionnelle. Yvan fait ce film pour montrer que l’on peut faire un film sans écriture préalable, sans matériel dédié, il montre que filmer est un acte quotidien.
Le journal, c’est filmer avant même de savoir qu’on fait un film. Ce film fondé de multiples plans courts pousse au plus loin possible l’idée même de l’autoportrait. Filmer un sujet que personne ne peut filmer, autre que lui-même : se filmer, filmer ses projets, filmer ses échecs. Dialing diary s’inscrit directement dans la manière qu’a SCF de faire des films : le geste quotidien, l’expérimentation, tourner, monter, montrer, regarder, ce qui fait que les membres du collectif vivent dans le cinéma. Dialing diary est également sélectionné aux États Généraux du film documentaire de Lussas, l’année de sa sortie.
Monts et Merveilles, 2014
Souvenez-vous : le calendrier maya annonçait la fin du monde pour le 21 décembre 2012. Une rumeur prétendait que le pic de Bugarach serait épargné par le cataclysme. À la différence du Déluge de Noë, ce désastre-là s’est déroulé devant les caméras du monde entier. Y compris celle de Cédric Michel, qui le jour fatidique était au pied du mont pour attendre la fin de ce monde absurde. Le réalisateur débarque à Bugarach, comme un nombre hallucinant de médias nationaux et internationaux, venus en masse dans l’espoir de filmer l’événement majeur et unique dans l’histoire du cinéma : la fin du monde. Cédric filme, sans commentaires, sans voix-off, il se contente de se glisser parmi les autres, avec sa caméra. Il observe ce qui se passe dans le village, et surtout il filme les reporters.
Cédric filme ce que tout le monde filme. Mais avec ce regard distancié des réalisateurs du collectif : une critique des mass médias, une distance au monde légèrement décalée. Monts et Merveilles est un film qui fait « le pas de côté », un film qui montre à voir ce que ne sont plus les reportages télés, un film qui défend une idée du cinéma, un film d’auteur noyé dans la foule de cameramen. Il rejoint dans cette démarche les premiers gestes du collectif, il mêle à une œuvre personnelle le geste du journaliste, du chroniqueur. Monts et Merveilles montre la vacuité des journalistes à s’entêter à filmer le rien, l’absence d’événements. Et dans ce regard amusé du réalisateur, on retrouve celui de Sans Canal Fixe sur la télévision et ses carcans, on retrouve l’essence de la création de ce media indépendant qu’était le collectif lors de la création de la télé-brouette. Ce film est sélectionné au Olonne Film Festival, Cinéma et autobiographie, l’année de sa sortie.
KD