Le film long fondateur qu’a représenté « Politique chronique, une campagne de presse » est le premier maillon d’une création documentaire, sortie des carcans de la production traditionnelle.
Pas d’écriture en amont, pas de recherche de financement, pas de recherche d’une production télévisuelle traditionnelle. Filmer pour le collectif de réalisateurs est un acte quotidien, qui interroge le cadre, le discours, qui donne à voir le monde tel que le filmeur le perçoit.
Le récit d’une lutte
Nous sommes au printemps 2005. 9 familles de demandeurs d’asile sont expulsées des foyers où elles ont passé les derniers jours de l’hiver et se retrouvent sans solution de logement avec leurs enfants. Un collectif de militants les prend en charge 3 semaines en les logeant à leurs frais dans des hôtels. Les dons venant à manquer, ils décident d’installer les familles dans une salle de l’université de Tours tout en rappelant aux pouvoirs publics l’obligation légale qu’ils ont de les loger.
En attente de solutions pour les familles, une vie s’installe dans la faculté au rythme des assemblées générales, des menaces d’évacuation policière, des négociations avec les différents représentants du pouvoir, d’arrivées de nouvelles familles. Et ce autour de réflexions sur le sens qu’on donne au mot “politique”.
Le film est le récit d’une lutte politique. Un lieu unique : une faculté. La phase ascendante de ces 3 mois d’occupation est marquée par un mouvement fort et porté par la légitimité de ses revendications, jusqu’à ce que s’installent les moments de doutes, les dilemmes, les déchirements, la perplexité, ...l’attente.
Des situations, des paroles et des visages sont saisis par une image qui ne juge pas mais témoigne de la complexité de tels moments. L’approche n’est ni militante ni journalistique. Elle est le résultat d’une présence quasi quotidienne auprès des militants et des familles avec lesquels un rapport tacite de confiance a pu s’établir. Contre toute attente, cette occupation, envisagée comme moyen de pression temporaire, va s’étirer dans le temps et durer 3 mois.
Les demandeurs d’asile sont filmés dans leur quotidien, on observe les familles et les militants qui s’organisent pour faire la cuisine, faire l’école, qui couvrent les murs de dessins, de mots, de tableaux organisationnels, de plannings. De nombreux plans montrent les enfants, en vélo, chantant, jouant, ou plus simplement errant au seuil des couloirs de l’université. En attente. Entre deux riens. Le film montre les à côtés de la lutte : le quotidien. Entre gestion des repas, cours de langue, administration et demande de papiers.
Le film retrace une expérience humaine forte, généreuse. Une expérience qui questionne le rapport à l’engagement, à la complexité des rapports avec le pouvoir. Pour des luttes à venir.
Un film tragique, une dramaturgie maîtrisée
Deux points de vue sont filmés : d’un côté, les militants, issus d’organisations syndicales, associatives, étudiants, citoyens, de l’autre les familles de migrants.
Le collectif, qualifié par certains de "mouvement", se démène pour rencontrer les différents représentants des collectivités, des services de l’Etat, de l’Entraide Ouvrière. Les discussions sont filmées frontalement, chacun prend la parole, les rôles de chacun, leur identité sociale se dessinent au fil des entrevues et rencontres collectives.
Très rapidement, dès les premières minutes du film, se pose la question des limites de ce mouvement d’entraide. Au principe de solidarité s’oppose un principe de cohérence, la revendication à l’action, la saturation des lieux à la question de solidarité. Les assemblées générales qui rythment le film et le temps de l’accueil sont le creuset des débats qui agitent les militants, entre conscience individuelle et collective, lutte locale et principe humaniste.
Cette opposition prend sens lors d’une AG lorsque certains membres du collectif veulent intégrer les sans-papiers aux décisions communes, alors que d’autres semblent s’opposer à l’instrumentalisation des familles.
Se mêlent alors aux débats, les différents statuts des personnes à intégrer dans la lutte et à accueillir au sein des murs réquisitionnés : sans-papiers, demandeurs d’asile, déboutés du droit d’asile...
Le film retrace ainsi inéluctablement le récit de la lutte d’un collectif, ses tiraillements idéologiques, le limites d’un mouvement composite, les frictions entre les différentes manières d’appréhender le monde, l’action, la résistance, la lutte. Ce film est la chronique non d’un combat contre l’injustice de cette société moderne qui ne se préoccupe pas des "sans", mais celle d’une utopie collective.
En cette année 2016, où les collectifs comme "Nuit Debout", le mouvement contre la loi travail, ont expérimenté la lutte ensemble, il est primordial de voir ou revoir ce film.
Pour comprendre, pour se souvenir, pour redonner la parole aux oubliés de la République et aux collectifs de lutte.
KD