Macron et Blanquer l’assurent. Dédoubler les classes du cycle 2 (CP et CE1) des écoles classées en Réseau d’éducation prioritaire permettra de favoriser les élèves les plus fragiles, tant socialement que scolairement. On ne peut qu’être d’accord avec eux. Mais le faire à moyen constant, sans augmenter le nombre d’enseignants titulaires, c’est condamner ces mêmes élèves. Pourquoi ?
La réforme des CP et des CE1 dédoublés : la double peine des élèves
A Saint-Pierre-des-Corps, quatre écoles relèvent du dispositif REP ou REP+. Dans ces écoles-là, cette année, les CP ont été dédoublés. Ce dédoublement a été rendu possible par la transformation de postes d’enseignants surnuméraires, postes qui permettaient aux enseignants de travailler à deux au sein des classes. Il s’agit donc de se partager des postes dévolus à l’aide. Dorénavant, les élèves des autres classes (à effectif « normal » de 25 élèves en moyenne) sont sans aide humaine supplémentaire. Une perte directe, donc, pour un public pourtant aussi fragile.
Afin de pourvoir le dédoublement des CE1 pour la rentrée prochaine, des postes de remplaçants disparaissent pour que les enseignants soient redéployés sur ces créations. Conséquence directe, en cas d’absence, beaucoup moins de possibilités d’être remplacé, donc des classes surchargées accueillant les élèves sans enseignant. Sans compter les postes supprimés dans les zones rurales.
Les autres écoles de la commune ne relèvent pas du dispositif REP, le seuil d’accueil des élèves par classe est donc quasi sans limite (tant que ça correspond aux normes de sécurité des locaux). Ce qui amène donc cette situation : si un élève dépendant de l’école REP arrive en cours d’année scolaire, il ne peut pas intégrer un CP dédoublé (qui ne peut dépasser le quota établi par la loi). Il est donc orienté vers l’école la plus proche hors dispositif REP, où, moyennant un peu plus de distance, il sera accueilli dans un CP à 25, 26, ou encore 27 élèves.
La bataille des rythmes
En 2010, le gouvernement abrogeait le cinquième jour de travail pour les élèves du primaire, modifiant la quotité d’heures d’enseignement, qui passaient de 27 à 24 heures. En 2013, le gouvernement réintroduisait le cinquième jour, les 24 heures d’enseignement se répartissant dorénavant avec une matinée de plus. Les journées sont donc raccourcies en temps d’enseignement, mais demeurent identiques en temps de présence de l’élève à l’école. C’est la création des temps d’activités périscolaires (TAP), destinés à enrichir culturellement l’élève à hauteur de 3 heures hebdomadaires. La matinée de travail, ce cinquième jour, est positionnée le mercredi matin plutôt que le samedi. Ce retour aux 5 jours permet aux communes d’organiser comme elles le souhaitent le temps de travail des élèves. Certaines choisiront d’alléger de 45 minutes chaque jour, d’autres de proposer 2 jours longs (6 h de cours) et 2 jours courts (4h30 de cours), d’autres encore de libérer un après-midi entier sur la semaine. Les premières inégalités territoriales apparaissent.
En 2018, le gouvernement laisse le choix aux communes du nombre de jours de classe. Un désengagement qui laisse les élus, les enseignants et les administrés face à une responsabilité philosophique et politique. Car comment penser que tous s’accorderont pour une organisation des temps d’apprentissage scolaire ? Comment concilier les arguments pédagogiques des enseignants, les arguments financiers des communes, et les désirs d’organisation des administrés (qui voient aussi en l’école un moyen de garde gratuit) ?
A Saint-Pierre-des-Corps, la Mairie a opté pour conserver le rythme actuel de 4,5 jours, s’opposant de fait aux enseignants qui avaient voté massivement dans les conseils d’école pour un retour aux 4 jours. Le choix des enseignants s’appuie sur divers constats. Par exemple, l’organisation des activités périscolaires sur une longue pause méridienne ne favorise en rien la reprise des activités en classe en fin de journée. Les cinq matinées d’école dans la semaine engendrent de la fatigue chez les plus petits. Ce n’est donc pas un refus en bloc des 4,5 jours que portent les enseignants, mais plutôt une remise en cause de l’organisation actuelle de l’alternance entre temps scolaire et temps périscolaire mise en place par la municipalité. Côté parents, c’est plus partagé, selon les quartiers.
Toujours est-il qu’en faisant ce choix, sans écouter réellement la parole des professionnels, la Mairie prend le risque que de nombreux enseignants demandent leur mutation. Ceux-ci peuvent vouloir quitter la commune pour diverses raisons. Parce qu’ils ont eux-mêmes des enfants scolarisés dans les villes de l’agglomération, qui n’auront pas classe le mercredi (Tours, Joué-lès-Tours, La Riche…), et que cela engendre donc des frais de garde. Parce que le fait que leurs paroles n’aient pas été écoutées, voire mises en doute, rappelle que dans cette profession, on préfère l’expertise des chercheurs à celle des gens du terrain.
A Saint-Pierre-des-Corps, les enseignants vont demander à muter, mettant ainsi en danger un travail d’équipe mûri depuis de longues années en faveur des élèves de cette ville défavorisée (la plus pauvre du département, ne l’oublions pas). Qui donc fera les frais d’une réorganisation des équipes ? Les élèves.
L’égalité perdue
Où se niche l’égalité des chances, quand on déshabille Pierre pour habiller Paul ? Comment croire encore que tout se passera bien ? Comment trouver l’énergie de poursuivre ce qui a été fait depuis de longues années, alors que les conditions d’accueil des élèves se dégradent, alors que les professionnels sont les derniers à être écoutés ? Quand on sait qu’à la rentrée 2018, on comptera 30 élèves dans certaines classes, alors que d’autres en auront 12, qu’on travaillera un matin de plus que des enseignants en poste dans la commune voisine ? Comment continuer à croire en cette école républicaine, égalitaire, qui dit vouloir donner la même chance à chacun ?
En imposant des réformes vendues pour le bien-être des élèves et visant à réduire les inégalités, les gouvernements successifs ne cessent d’accroitre les différences sur le terrain. Nous ne sommes plus, en tant qu’enseignants, à égalité avec nos collègues ; les élèves ne sont plus à égalité au sein d’une même commune, au sein d’une même agglomération. On ne peut plus y croire. Restent les élèves. Ils nous attendent en septembre 2018.
Déca