En deux jours, la vidéo a été vue plus de 35 000 fois. Publiée sur le site internet de Farida Belghoul [1], on y voit la responsable jocondienne des « Journées de retrait de l’école », Dalila Hassan, expliquer qu’une institutrice aurait contraint un garçon de 3 ans à baisser son pantalon en même temps qu’une petite fille, afin qu’ils puissent se toucher les parties génitales... Hassan, dont la page Facebook révèle notamment son soutien à Dieudonné, explique ensuite qu’elle a assisté à l’entretien entre la mère du garçon, une femme tchétchène accompagnée d’un interprète, et la directrice de l’école [2].
D’après la vidéo, la maman tchétchène est allée tout naturellement trouver la responsable JRE locale pour rencontrer la directrice de l’école, ce qui permet à Farida Belghoul, prévenue en urgence, d’accourir sur place pour être sur la photo : elle sera accueillie par une centaine de mamans qui se sont spontanément rassemblées sur le trottoir devant l’école pour attendre pendant plusieurs heures leur idole anti-théorie-du-genre... Quel sens de la mise en scène ! Peu importe si le cliché du site de Belghoul montre plutôt une dizaine ou une quinzaine de mères, on retiendra qu’elles étaient cent, puisque c’est ce qu’on nous dit de croire !
Consigne a été donnée sur le site de Belghoul de ne pas répondre aux « trolls » qui « vont se déchaîner ». Et ce serait évidemment pure médisance de suggérer que la propagation de cette rumeur arrive opportunément peu avant le 31 mars, date de la journée d’action prévue par Belghoul pour sa JRE mensuelle : si l’annonce avait eu lieu plus tôt, la rumeur aurait eu le temps de se dégonfler, par exemple en demandant à connaître la version de la petite fille. Mais entre le vendredi soir et le lundi matin, la calomnie a le temps de toucher quelques milliers de personnes et de produire ses effets dévastateurs...
Et de fait, dès samedi, la rumeur s’était déjà bien propagée. Elle figure ainsi en bonne place sur des sites complotistes, au milieu de pages consacrées au 11 septembre, à « l’empoisonnement mondial », au soutien à Dieudonné, etc. On la trouve encore sur des sites à forts relents antisémites, l’un deux apportant même ses propres précisions sur la rumeur, sans doute pour lui donner plus de corps. La maîtresse est ainsi qualifiée de « LGBT » par ce site manifestement très informé, qui précise en outre que celle-ci refuse de répondre aux questions en prétextant un « stage syndical » [3]. Selon le site, l’institutrice n’aurait d’ailleurs pas agi seule mais en groupe : « Ils ont obligé des maternelles à se tenir le sexe mutuellement ! »
De telles rumeurs ne sont pas nouvelles. On a déjà eu droit récemment à des rumeurs faisant état de peluches en forme de pénis et de vagin ou de cours de masturbation dans des écoles maternelles [4]. Mais cette fois-ci, le procédé est encore plus choquant puisqu’il prend pour cible une école précise, bien désignée, ainsi qu’une de ses enseignantes.
Naturellement, les sites politiques d’extrême-droite comme celui d’Alain Soral ou les sites de catholiques intégristes [5] ne sont pas en reste et ont aussi pris part à la propagation de cette rumeur dès les premières heures...
Dans un communiqué, le syndicat SUD Education 37 a dénoncé le « lynchage public » dont fait l’objet l’institutrice visée :
« On ne peut que souligner l’incohérence des propos accusateurs tenus qui ne correspondent à aucune réalité. Face à l’absurdité des actes suspectés, aucun recul n’est pris alors qu’il s’agit d’accusations graves. Nous ne pouvons que nous étonner de la rapidité avec laquelle cette vidéo a été réalisée et diffusée (moins de 12 h après l’entretien avec la directrice). Le contexte dans lequel s’inscrit cette diffusion n’est pas un hasard puisque la vidéo apparait dans un environnement politique national et local spécifique qui attaque l’Ecole et la laïcité. Ces propos arrivent de plus dans une campagne de dénigrement qui affecte l’ensemble de cette école de quartier, et ce depuis plusieurs jours. »
Le directeur académique des services de l’éducation nationale, Antoine Destrés, a déclaré à La Nouvelle République qu’une plainte avait été déposée pour dénonciation calomnieuse.