Enseignante d’une classe de maternelle sur l’agglo tourangelle, je me suis trouvée bien pressée par l’équipe municipale pour reprendre avec mes élèves dès le 12 mai, soit bien vite après l’annonce du déconfinement. On nous a d’abord demandé, à nous, enseignantes, de solliciter les parents sur qui était « volontaire » pour revenir... dans des conditions qui restaient bien floues et angoissantes. Puis le maire, la directrice et l’inspecteur ont déterminé que nous n’accueillerions que des familles dites « prioritaires ». Sans préciser ce que ce mot signifiait. Ce terme et le concept qu’il revêt est d’ailleurs à géométrie variable selon les départements.
Du tri d’élèves et de l’aménagement solitaire
Nous, enseignantes, avons dû communiquer avec des familles dans le cadre du télétravail (sic). Il a fallu les informer du fait que nous ne prendrions pas leurs enfants car ils n’étaient pas prioritaires. Vous imaginez leurs réactions, que nous devons encore gérer quotidiennement. Puis des représentants de la mairie sont venus, le 11 mai, pour mesurer les classes et voir comment faire pour accueillir des groupes de 10 élèves maximum. Là, on a compris qu’aucune aide ne serait proposée aux familles en dehors de nos locaux pour recevoir les enfants, car il était apparemment impossible de mettre en place un accueil alternatif. À nous, enseignants, de permettre d’économiser sur le personnel de mairie, d’étiqueter des meubles pour faire de la place et pousser les murs. La directrice générale des services de la mairie, à qui je demandais de prendre davantage de temps pour mettre tout cela en place, à l’image de nombreuses communes, a répondu que « les ordres de la préfète étaient clairs et sans appel ; tout le monde rouvre les classes le 12 ». Nous avons découvert par la suite que c’était faux.
Accueillir plus sans moyens supplémentaires
Notre école accueille habituellement plus de 200 élèves. Nous avons accueilli tout d’abord les grandes sections, en même temps que les petits et moyens de familles prioritaires, soit une vingtaine d’élèves en tout. À partir du 25 mai, une vingtaine de moyennes sections ont été accueillis dans deux classes, toujours en même temps que les petites sections des familles prioritaires. Depuis mardi 2 juin, deux classes de petite section ont ouvert également pour une vingtaine d’enfants, ce qui permet de scolariser une soixantaine d’élève au total. Il faut dire que « notre » ministre de l’Éducation Nationale a annoncé que « tous les enfants » allaient reprendre le chemin de l’école... et les médias se réjouissent d’un « retour à la normale », avec les bars et restaurants qui ouvrent. La vie reprend son cours !
Mais ce n’est pas si simple que ça... En étant obligés de faire attendre les familles par manque de place, nous pouvons être considérés comme malveillants par des personnes pour qui nous nous battons quotidiennement. La mairie annonce qu’il est impossible de désinfecter tous les locaux, qu’on n’ouvrira pas toutes les classes, et donc qu’une classe par niveau est sacrifiée... Ces décisions comptables et gestionnaires, c’est autant de mécontents, encore, à gérer.
Présence et distance : la double journée
Entre temps, on travaille et télétravaille, on fait de notre mieux pour que ceux qui viennent ne se sentent pas trop bousculés, on assiste parfois à des larmes soudaines, qu’on console de notre mieux. Nous n’avons pas encore d’informations sur l’aide des rares enseignants spécialisés et psychologues scolaires qui pourraient intervenir, mais qui se débattent également avec cette situation si subite et si peu gérée. On entend qu’il faut prioriser les « décrocheurs », dont les parents ne sont pas, généralement, soignants ou enseignants, donc ne sont pas « prioritaires ». On essaie de les accompagner, de trouver des solutions. Peut on encore parler de « Service » public ? On ne rend pas service au public, car on n’en a pas les moyens.
Entre temps, les messages mécontents des familles affluent, et je travaille masquée face à des enfants qui, parfois, sont submergés par leurs émotions. J’apprends à tendre le dos, j’y suis certes habituée, mais comme tout le monde, je souffre de cette situation. Je cherche le sens de mon métier.
Une enseignante de maternelle