Renouvellement urbain au Sanitas : « On ne laissera pas les gens se faire manipuler ! »

Yamina fait partie du collectif d’habitants mobilisés contre le projet de destruction de 430 logements sociaux dans le quartier du Sanitas [1]. Dans cet entretien, elle évoque les conditions de relogement des occupants des immeubles qui vont être détruits, l’avenir des commerces, la réputation du quartier et la question de la mixité sociale.

Depuis combien de temps vis-tu au Sanitas ?

Je suis arrivée dans le quartier en 2012. Ça devait juste être une étape, le temps qu’on retrouve une maison. Mais finalement on s’y est installé pour de bon. On a apprécié le voisinage, la proximité des commerces, le passage du tram qui est très pratique pour nos enfants qui vont au lycée et à la fac. Pour mon mari, l’accès à l’hôpital est plus facile. Alors on s’est dit qu’on resterait ici. Quand on a appris qu’ils allaient détruire notre immeuble, on a été bouleversés. Ça a été un choc. Mon mari, dont l’état de santé s’était stabilisé, a fait une rechute en apprenant la nouvelle.

Comment avez-vous appris cette nouvelle ?

J’ai reçu un courrier de Tours Habitat, le bailleur social, disant que notre immeuble serait détruit et que des réunions seraient organisées pour nous informer de la suite. Et puis, j’ai rencontré des membres des associations de locataires qui faisaient du porte-à-porte et qui m’ont demandé si j’étais d’accord avec cette démolition. J’ai dit que j’étais contre. Depuis, je milite avec les associations et j’ai participé à la création d’un collectif d’habitant-es opposé-es aux démolitions. Certaines membres de ce collectif ont rejoint le conseil citoyen du quartier pour qu’on soit mieux informé-es sur tout ce qui se passe.

Le slogan du collectif c’est « Oui à la rénovation, non à la démolition ». Tu peux nous dire comment tu entends ce slogan ?

On nous a dit que les fondations de notre immeuble étaient saines. Pour nous, la rénovation devrait donc consister à faire évoluer la taille des appartements, agrandir certaines pièces, refaire l’électricité, améliorer l’isolation, etc. Eux, ils parlent de rénovation mais choisissent la démolition. Pourtant, on est bien dans ces immeubles, les voisins non plus ne veulent pas partir. A chaque fois que je parle à quelqu’un, on me répond : « Moi je suis bien ici, mais malheureusement on me pousse à partir ». Vu les gains que Tours Habitat espère tirer de cette opération, c’est sûr qu’ils ne voudront pas lâcher l’affaire, mais nous aussi on va essayer d’aller jusqu’au bout.

Pour toi, Tours Habitat va tirer un bénéfice de cette opération au détriment des habitants ?

Oui, ils vont en tirer un bénéfice énorme, puisque les terrains sur lesquels sont installés les immeubles à détruire vont être revendus à des promoteurs immobiliers qui vont construire des logements privés. Ces logements privés ne seront pas accessibles aux habitants actuels. Nous on y aura pas droit. On va juste les regarder depuis l’autre côté, si on arrive à rester dans le coin.

Certains habitants partent déjà, parce qu’ils ont peur qu’on leur réclame leurs arriérés de loyer avant de leur proposer un relogement. Pourtant, d’après ce qu’on a vu dans les chartes de relogement, le paiement des arriérés est normalement échelonné après le relogement. Les gens ont droit à un relogement digne, ce n’est pas parce qu’ils ont des problèmes de loyer qu’on va les mettre dans des trous insalubres. C’est pour ça qu’on veut informer les habitants sur leurs droits : Tours Habitat ne va pas se débarrasser d’eux en les relogeant n’importe où, sous prétexte qu’ils ont des incidents de paiement de temps en temps.

Comment expliques-tu l’attachement des habitants à leur immeuble ou à leur quartier ?

Cet attachement tient notamment à la proximité des services : on a la gare à côté, on a le tram, on a les bus, on a des commerces et des jardins. On apprécie cet endroit, on n’a pas envie de le quitter pour que d’autres en profitent. C’est avec nous qu’il faut qu’ils fassent l’avenir de ce quartier, pas sans nous. Ces aménagements ont été faits pour nous, les habitants du Sanitas. C’est injuste de nous en priver en se débarrassant petit à petit des immeubles qui gênent pour les remplacer par des logements privés. On a été contents quand la passerelle Fournier a été rénovée. Mais en fin de compte ils veulent nous dégager de là et mettre du privé à notre place ! C’est le privé qui va en profiter finalement.

Puisque tu parles des commerces… Comment as-tu réagi en apprenant qu’ils allaient détruire la barre Saint-Paul et que les commerces qui y sont installés ne seraient pas relogés dans le quartier ?

Ça nous a fait un choc, parce que c’est là que toutes les personnes d’ethnies différentes trouvent leur bonheur. Quand on a besoin de quelque chose, on le trouve dans ces commerces de proximité. En plus les commerçants ne veulent pas partir, on les y oblige. On essaie d’ailleurs d’intégrer certains commerçants à notre collectif, pour avoir plus de poids et que les commerçants qui vont être éjectés soient représentés.

Il y a notamment une petite agence de voyage qui assure des liaisons avec l’Algérie et le Maroc. Le bailleur social nous dit : « Même si on la déloge de là, tout ce dont ils ont besoin, c’est d’un parking pour que les bus puissent stationner ». Mais les gens connaissent cette agence parce qu’elle est installée dans le quartier. Si elle déménage ailleurs, comment va-t-on la contacter ? On ne sait pas si elle pourra rester sur le Sanitas.

Les commerces devraient être installés du côté du Hallebardier (secteur situé entre le Palais des sports et l’avenue du Général de Gaulle). Mais il n’y aura pas le même type de commerces. Il n’y aura que Simply et des commerces dont on craint qu’ils ne soient pas dans nos moyens.

Marché Saint Paul

Qu’est-ce que tu as à répondre aux arguments avancés par la mairie pour détruire la barre Saint-Paul et expulser les commerçants ?

Pour justifier la destruction de la barre Saint-Paul, ils invoquent les incivilités, la drogue, etc. Moi j’ai interrogé le directeur de Tours Habitat : au lieu de détruire un immeuble, pourquoi ils n’envoient pas la police ? On le voit bien, qu’il y a du deal. Mais on m’a répondu que la police était concentrée sur la lutte contre le terrorisme. Alors ils préfèrent raser un immeuble. De toute façon, même s’ils rasent cette barre, les jeunes iront s’installer ailleurs. Ce n’est pas logique, d’utiliser cet argument pour raser l’immeuble.

A propos des logements privés qui doivent être construits à la place des immeubles détruits, tu disais : « On va les regarder depuis l’autre côté »… Les acteurs du projet de rénovation urbaine parlent d’attirer une nouvelle population.

Oui. On nous parle de mixité, mais est-ce que vous croyez que ces gens viendront vers nous, viendront nous parler ? Les moyens ne sont pas les mêmes, l’éducation n’est pas la même. On peut toujours essayer, mais est-ce que vraiment ça fera de la mixité ? Pour moi, ces gens-là seront « à côté », parce qu’ils nous verront toujours comme des habitants du Sanitas, avec la mauvaise réputation qu’on se traîne. Il vont rester dans leur coin, et nous dans le nôtre. Ça ne s’appelle pas de la mixité.

Qu’est-ce que tu penses de la réputation qui est faite au quartier ?

Il y des hauts et des bas. C’est vrai qu’il y a des bagarres de temps en temps, des incivilités. Mais je ne connais pas de ville qui n’a pas de problèmes comme ça. Ça arrive partout. Je pense que le fait de nous coller cette réputation, c’est voulu. D’ailleurs, ces derniers temps, la police provoque un peu les jeunes, pour les faire sortir de leurs gonds et entraîner des bagarres. Ensuite, ça ressort dans les journaux, comme quoi le Sanitas est un quartier dangereux. Et après on invoque les bagarres et les trafics pour démolir les barres.

Je ne me suis jamais sentie menacée. Même quand je sors mon chien à minuit, je n’ai pas de problème, on se salue entre habitants. Ça fait cinq ans que je suis là, je ne comprends pas pourquoi on dit que c’est dangereux. Je vis bien ici. Mes enfants n’ont pas de problème non plus, même si ils n’ont pas grandi ici. Ma fille sort parfois le chien à ma place, elle discute tranquillement avec les gars qui traînent, fume une cigarette, sans qu’il y ait de problème. Ça peut paraître bizarre, parce que c’est une Arabe, qui est tatouée de partout et qui fume : personne ne l’a jamais embêtée, ne lui a jamais dit quoi que ce soit, alors qu’on dit que les Arabes n’aiment pas voir des filles comme ça.

Que penses-tu de l’entretien des appartements et des immeubles par le bailleur social ?

Ils ne sont jamais intervenus chez moi. Je les ai appelé pour un problème d’interrupteur, un type est venu en me disant qu’il n’avait pas la pièce, et je ne l’ai jamais revu. Ça fait cinq ans maintenant… Quand je suis arrivée, on nous a aussi annoncé l’installation de nouvelles fenêtres dans les deux ans. Ils ont commencé par la façade donnant sur la voie de tram, mais de notre côté du bâtiment, aucune fenêtre n’a été refaite… A mon avis, ils savaient déjà que le bâtiment serait détruit. Nous, on voulait juste du double vitrage et une installation électrique aux normes. Je ne comprends pas non plus pourquoi ils ont ravalé les façades d’immeubles qui vont être détruits.

Comment as-tu vécu la réunion d’information organisée par la mairie en mai 2017 ?

On s’est moqué de nous. Ils sont venus en nombre, les architectes et les autres. Ils nous ont montré des plans et ont répondu à quelques questions, et puis ils ont parlé de concertation. Mais nous on n’a pas été consultés ! La concertation aurait dû se faire avec les personnes concernées, avec les habitants des immeubles qui doivent être détruits, en demandant qui était pour ou contre la démolition. Mais ça n’a pas été fait comme ça.

Le maire dit que les habitants sont manipulés par les associations de locataires. Il dit qu’il veut faire taire les mensonges et les rumeurs qui viennent des associations, il les a accusées de déformer l’information. Mais les associations sont à nos côtés, elles nous ont aidé à imprimer des tracts, à organiser des réunions, à nous impliquer dans le conseil citoyen. Moi je n’ai rien à reprocher aux associations, je ne me sens pas manipulée, j’ai mon libre arbitre. En fait, c’est nous qui utilisons les ressources des associations pour lutter contre ce projet. C’est un outil, nous avons besoin d’elles pour avancer.

Marché Saint Paul

Comment se passe le contact avec les autres habitants ? Comment réagissent-ils ?

Les habitants se posent des questions. On m’arrête souvent pour me demander comment le projet avance. Les gens sont inquiets vis-à-vis de leurs conditions de relogement. On va organiser des réunions pour apporter des réponses aux habitants. La démolition des immeubles semble actée, donc on se bat surtout pour obtenir les meilleures conditions de relogement possibles. S’il y a de l’argent, il doit être utilisé pour reloger les gens dans les meilleures conditions. Pas dans des appartements vides et laissés à l’abandon, dans lesquels on aura mis un coup de peinture, et où la moisissure réapparaît deux mois plus tard, comme ça s’est déjà vu. C’est ça qu’on va surveiller, et s’il le faut on accompagnera les gens quand ils iront faire l’état des lieux. On ne laissera pas les gens se faire manipuler, alors que les élus comptent tirer de gros bénéfices de cette opération.

Quel regard portes-tu sur l’avenir du quartier ?

Les projets pour le quartier peuvent être positifs, si on reste au Sanitas. On profitera aussi des travaux prévus, notamment les modifications des aménagements extérieurs présentés par le cabinet d’urbanisme. Ces changements pourraient nous être utiles, si on peut rester là. Mais s’il s’agit juste de grignoter progressivement le quartier et d’en faire profiter les gens qui arrivent, alors on n’est pas d’accord.

L’un des arguments avancés pour justifier ce projet de rénovation urbaine, c’est le besoin de mixité sociale. Mais elle est là, la mixité ! Dans mon immeuble, elle est déjà là. Il y a des Marocains, des Algériens, des Tunisiens, des Gabonais, des Béninois, des Chinois, des Français... Il y a de tout. Il y a des employés, des agents de la SNCF, des chômeurs, des retraités... Si notre immeuble était remis en état, on serait content, parce qu’on s’apprécie, tout le monde s’entend bien. En cinq ans, j’ai souvenir d’une seule dispute de voisinage. Les gens ont des relations de voisinage normales, ils ne vont pas s’agresser parce qu’ils n’ont pas la même couleur de peau ou la même religion.

Du point de vue des décideurs, il n’y a pas de mixité. Mais quand on vit dans ces immeubles, elle est bien là. C’est sûr qu’on n’est pas riches, mais il y a bien une mixité, chacun vit avec ses moyens et on vit ensemble. On nous considère comme les plus pauvres des pauvres, mais il n’y a pas que des RMIstes dans le quartier, il y a beaucoup de gens qui partent travailler tous les matins. Ces gens-là sont bien dans ce quartier, pourquoi iraient-ils ailleurs ?

P.-S.

Photos : AB

Notes

[1Pour retrouver tous les articles publiés sur le site à propos de ce projet, lire notre dossier.