Réforme du lycée : sans bruit et dans le brouillard

C’est dans le silence des procédures administratives que se met en place dès aujourd’hui la réforme du bac 2021, et du lycée qui doit le préparer. Choix des options, choix des spécialités pour chaque établissement, organisation des filières, prévisions d’effectifs… pour que la rentrée 2019 se passe au mieux. Ou plutôt : au moins mal.

Mais déjà, les discussions ont à peine commencé que les maux de la nouvelle organisation se font jour. Il s’agit de la mise en place d’une nouvelle brique qui, après la réforme du collège, de l’orientation (Parcoursup), et du premier cycle universitaire, vient couronner tout un système : celui d’une école bâtie désormais sur les valeurs individualistes de la société libérale.

Une usine a gaz

Le gouvernement nous a vendu cette réforme à partir d’une rhétorique bien huilée : coût démesuré du bac, lourdeur des options et des épreuves, maquis d’options et de situations, incohérences des notes… Soit. Peut-on raisonnablement penser que la nouvelle organisation sera moins couteuse et plus claire ?

Accrochez-vous bien : désormais il y aura des enseignements de tronc commun (Lettres, HG, Maths, Langues…), mais les matières qui les constituent pourront également être prises par les élèves en enseignement de spécialité. D’autres matières ne seront que des options, que l’on ne trouvera que en Seconde, mais qui pour certaines pourront se poursuivre en Première et Terminale. Celles-ci sont en plus facultatives. Les enseignements de spécialité devront être choisis par trois pour la classe de Première, mais les élèves devront en abandonner un en Terminale. Et il faudra les choisir dès le milieu de l’année de Seconde. En théorie, les élèves peuvent associer n’importe quelles matières en enseignement de spécialité (pour « casser les filières »). En pratique, en terme d’emplois du temps (et de moyens, surtout, il faut le dire) seules quelques associations seront possibles. Vous suivez toujours ? Et tous les lycées n’auront pas tous les enseignements de spécialité, en fonction des « ressources humaines ». Ces enseignements de spécialité et options seront en fait répartis entre les établissements selon un « bassin de formation ». C’est toujours clair ? Si le bac de français reste une épreuve anticipée en fin de Première, les épreuves de Terminale devraient se passer en février ou mars. Mais pas complètement non plus. Il y aura le Grand oral qui lui devrait, avec l’épreuve de philo et d’une autre spécialité (qui sera choisie par l’élève) rester fin juin. Cet oral sera adossé sur un ou deux enseignements de spécialité. Mais, le résultat final sera conditionné aussi par un pourcentage non négligeable de contrôle continu (40 %) calculé sur les résultats des années de Première et Terminale. Franchement, quoi de plus simple ? Non ?

Et encore, ce serait facile si le discours officiel était établi. A part dans les salons du ministère où l’on semble se soucier plus de communication que de mise en œuvre, on ne peut pas dire que les consignes soient claires. Pire, il faut le dire : il n’y en a pas. Les rectorats naviguent à vue, et comptent sur la loyauté des encadrants pour faire passer les choses. Si, une seule consigne en ce début d’année : « Ne pas alerter les parents d’élèves ». On commence à comprendre pourquoi…

Les grands principes

Casser les filières, mieux gérer l’orientation, éviter l’échec scolaire… qui pourrait être contre ? Mais par-delà ces grandes envolées, le cœur de cette réforme va faire aboutir des tendances déjà perceptibles depuis plusieurs années.

En faisant de l’élève l’auto-entrepreneur de ses choix scolaires, en individualisant à outrance « les parcours de formation », l’objectif est clair : faire retomber sur l’individu (inconséquent) la responsabilité de son échec scolaire puis professionnel ; jouer la carte de l’individualisation, du mérite personnel, du bon choix au bon moment, contre celle de la construction collective du savoir, de l’émancipation par la participation à la société, et de toute idée de solidarité. En d’autres termes jouer l’Individu contre la Société. La consommation pour le collectif.

Il est clair aussi que cela ne peut aller sans une aggravation des clivages sociaux. Dans un tel maquis organisationnel, quelles catégories sociales connaissent, dès la Seconde, les choix d’options à faire pour se couler après le bac dans les exigences (appelées « pré-requis ») des grandes écoles ou des parcours les plus sélectifs ? Car cette réforme est particulièrement en lien avec Parcoursup dont un des objectifs est de fixer les attendus de chaque filières post-bac pour, comme on l’a vu cette année, trier les élèves toujours plus efficacement…

Quant aux équipes enseignantes, laissées dans l’expectative, devant l’ignorance des programmes qui devront être enseignés dans moins d’un an, et dans l’inconnu de certaines matières nouvelles (comme l’enseignement du « numérique » qui peut cacher plein de choses), elles sont aujourd’hui plein désarroi. D’autant plus qu’on leur demande de s’auto-organiser dans le brouillard le plus total pour tenter des répartitions d’heures à l’aveugle, se partager certains enseignements, faire le choix des enseignements à privilégier, ce qui revient à leur demander de choisir eux-mêmes les postes qui vont sauter. Sans compter la mise en place d’une concurrence entre les établissements, entre les matières, voire entre les enseignants... Pas mal de stress en perspective.

Plus personne n’y croit

Ce qu’il y a de pire (ou de rassurant, peut-être, finalement), c’est que l’on ne trouve plus — ou exceptionnellement — d’enseignants qui défendent un quelconque aspect de la réforme. Les leurres ne sont plus là, plus suffisamment attrayants. Il faut dire que depuis la dernière grande réforme (celle de Darcos en 2008-2009), ils en ont enquillé pas mal qui sont toutes passées de force, sans aucune écoute et prise en compte de la base. Et tout ce que les réformes précédentes prônaient comme avancées pédagogiques, est balayé aujourd’hui d’un revers de la main... Plus que du désappointement, les salles des profs sont dépitées.
Soûlées aussi par ce nouveau vocabulaire qui arrive : « menus de formation », « suivi des menus », « profil d’établissement », « financement des enseignements » ; « risque financier »… Si les enseignants n’avaient pas encore compris qu’ils devaient intégrer la culture du management privé, cette fois-ci tout est fait pour que le message passe.

Les encadrants subissent la même chose et ne vont guère mieux. Chefs d’établissements, inspecteurs, DASEN sans doute aussi, ils sont tous placés devant le fait accompli, ne sont parfois même pas informés, et apprennent les choses… par la presse. Ils ne cachent même plus, malgré leur loyauté envers le système, que l’objectif est de réduire les coûts, le nombre d’heures, les postes qui vont avec… et que les ambitions affichées ne sont que propagandistes. Autant user leur loyalisme jusqu’au bout, c’est leur choix de carrière après tout.

Combien de temps encore ce système de dupes va-t-il tenir ?