Libérée pour bonne conduite ?
Je suis inscrite depuis fin 2011 à Pôle Emploi, même si j’ai terminé un contrat aidé à temps partiel (20h/semaine) le 15 janvier 2016, et que statistiquement, cela me fait sortir de la catégorie des chômeurs de longue durée, sans aucune activité. J’étais au chômage partiel, et je suis malheureusement à nouveau sans activité. Je poursuis mes recherches d’emploi, et bénéficie d’ailleurs du suivi externalisé, par une entreprise privée, proposé par Pôle Emploi. Lors du premier entretien, la conseillère a mis en évidence que l’absence de permis de conduire était un frein réel à mon employabilité. Je dois désormais rendre compte toutes les semaines des candidatures et entretiens effectués via la plate-forme de ce prestataire.
Puisqu’on est entre nous, j’en profite pour citer Gérard Mordillat, La Brigade du rire. Oui, un chômeur qui lit, c’est un électeur FN en moins :
« - Ils te font faire un "bilan de compétences". Tu dois tout mettre sur la table : ce que tu as fait, ce que tu sais faire, ce que tu aimerais faire, tes projets professionnels... Après quoi, le type ou la bonne femme qui te reçoit conclut que, dans la situation actuelle, au regard des résultats, il ou elle ne voit pas ce qu’il pourrait te proposer ou faire pour toi. Tu repars humilié de t’être laissé traité comme une pièce de mécanique qui passe au contrôle de qualité avant d’être mise au rebut. Ceux qui t’ont reçu, eux, sont contents, ils ont fait leur job. Ils peuvent adresser la facture à Pôle Emploi, ou je ne sais pas qui. C’est devenu un métier de recevoir les chômeurs pour leur dire qu’il n’y a rien à espérer... Ça rapporte. »
Depuis 2011, j’ai sollicité à plusieurs reprises une aide pour le permis de conduire voiture, que mes revenus ne me permettent pas de financer, et qui est indispensable pour les emplois que je vise (exigé dans toutes les offres d’emploi auxquelles je continue de postuler). En effet, le prix d’une heure de conduite dépasse mon budget alimentaire hebdomadaire. C’est donc un luxe que je ne peux pas me permettre.
N’ayant alors droit à aucune aide de Pôle Emploi pour le financement, j’ai contacté en 2013 l’association Mobilité 37, qui propose des formations au permis de conduire à moindre coût, avec une remise à niveau en français et mathématiques, et qui a rejeté mon dossier, au motif que je "n’avais pas le profil". Cette décision surprenante et discriminante — écrire presque sans fautes ne traduit pas toujours l’appartenance à une caste privilégiée et oisive, et ne suffit pas à remplir le frigidaire. Par ailleurs, je dois à une forte bourse de l’enseignement supérieur la chance d’avoir une licence ; et je sais d’expérience que la lecture est un loisir des plus accessibles aux enfants pauvres. - n’a pas résolu le problème, ni l’observation d’une conseillère Pôle Emploi : « Vous n’avez pas les moyens d’avoir une voiture », et qui me demandait « d’y mettre un peu du votre, sinon, on avancera à rien ».
Y mettre un peu du sien
Sans permis de conduire, j’ai été travailler à 30 km de chez moi, en scooter pendant un an (2009-2010) ; j’ai souffert du froid, des moqueries de mes collègues, et j’ai été renversée par un chauffard dans une rue de Tours, un matin, à six heures. Je garde sur le mollet gauche une marque de cet accident ; quant au scooter, il m’a été volé, et je n’ai pas pu en acheter un autre. J’ai travaillé de nuit, et faute de bus à l’heure où je débauchais, lorsque je travaillais les nuits de samedi à dimanche, il m’est arrivé – aucun collègue n’habitant dans cette partie de l’agglomération — de rentrer à pied le dimanche matin après ma nuit de travail, jusqu’à mon domicile à Tours centre : environ 1 heure de marche. J’avais d’ailleurs écrit à Fil Bleu à ce sujet. J’ai ensuite travaillé à temps partiel en 2014 (40 minutes de bus) et en 2015 (40 minutes marche+tramway+bus).
J’ai décroché un entretien d’embauche (2014) à Tours pour être animateur socio-culturel, à temps plein en CDI, un autre à Orléans (2014) en CDI, pour être assistant administratif ; un autre pour être coordinateur de pôle (2015), temps plein en CDI, et à chaque fois, l’annonce de l’absence de permis de conduire — que je tente encore naïvement de cacher sur mon CV — a mis fin à tout débat autour de ma candidature. Je ne compte plus les candidatures envoyées aux offres publiées sur les sites d’offres d’emploi.
Je cherche un poste à temps plein et un CDI. Ces postes sont, comme vous le savez, rares ; les candidatures très nombreuses. Les deux derniers contrats que j’ai signés étaient des CDD à temps partiel, deux contrats aidés, et le premier s’est terminé par trois mois d’arrêt maladie pour dépression dans un contexte de harcèlement moral. Avec une collègue qui avait mis fin à sa période d’essai chez le même employeur, nous avions alerté Pôle Emploi sur cette situation. La même conseillère s’est d’ailleurs indignée que certains « cumulards » arrivent à « profiter » du système, à s’accaparer ainsi tous les contrats aidés. Elle a pris son collègue à témoin, lui demandant si c’était bien normal, « on aura tout vu ! » Épuisée, humiliée, n’ayant pas la force d’expliquer ma situation — j’étais en arrêt maladie — je me suis mise à pleurer. J’aurais voulu demander à cette dame s’il lui semblait plus pertinent que je ne fasse pas de candidature à ce type de contrat, et attende sans travailler un hypothétique entretien pour un poste en CDI où le permis est indispensable. Mais craignant qu’elle laisse des commentaires très négatifs dans mon dossier, bloque mes candidatures ou une demande d’aide au permis, ou continue à m’humilier, je n’ai rien dit. J’aurais aimé que son collègue me vienne en aide. Il a baissé les yeux.
Il est bien évident que l’absence de permis de conduire est un handicap majeur dans ma recherche d’emploi, et rend mon projet professionnel bien difficile à mettre en œuvre. Il est très décourageant de postuler à des offres intéressantes, tout en sachant que l’absence de permis de conduire suffit à rendre une candidature sans intérêt.
Par ailleurs, j’apprends que je suis éligible au RSA socle, mais ne peux y avoir droit avant juin. Je n’ai plus de revenus, et n’aurai droit qu’à une ARE très faible. Je viens d’ailleurs de déposer une demande de logement social, puisqu’il me devient difficile de payer mon loyer actuel. Ma situation financière est très tendue. Je regarde mes comptes tous les jours, supprime et rogne sur toutes les dépenses « inutiles ». Cela fait quelques temps que mes radiateurs sont éteints ; je suis devenue quasi végétarienne par la force des choses, et connais le prix au kilo de nombreux aliments d’un fournisseur à un autre. Je me lève— tôt — en craignant la dépense imprévue, la calamité qui fera que je ne pourrais pas payer mon loyer, pas manger ou devrais me lancer dans des emprunts. Mes droits à la CMU-C ont expiré, je n’ai donc plus de mutuelle, et la position d’ « assisté » m’est si honteuse, que je n’ai pas encore refait de demande, tout comme je n’ai pas demandé de ligne téléphonique fixe à prix réduit, ni relancé EDF pour le tarif « première nécessité ».
Je m’investis beaucoup bénévolement auprès de plusieurs associations proposant des activités culturelles à des personnes en situation de précarité car j’ai la conviction que ces activités créent du lien social, permettent de gagner en estime de soi, de libérer la parole. Dans ma situation actuelle, où je ne peux rien projeter au-delà de la semaine suivante, cela me permet aussi d’échapper au sentiment d’être inutile, et de ne pas me décourager. Je vois en effet le bénéfice de ces activités pour ceux qui y participent, et auxquels je ne laisse rien supposer de ma propre situation.
Ensemble, tout devient possible !
Si je partage ce témoignage, ce n’est pas pour faire pleurer dans les chaumières.
A ceux qui s’y reconnaîtront, à ceux qui seront tristes ou indignés, je dis : « Battons-nous pour plus de justice sociale, pour un pays où un patron ne peut pas partir avec une prime de 7 millions d’euros ! »
A ceux qui douteraient encore, qui croient que les chômeurs sont tous des grosses faignasses, allergiques au travail, avides d’aides faramineuses ponctionnées sur leurs petits salaires, je dis : « Demain, ce sera vous aussi si, persistant à vous tromper d’ennemi, vous persécutez les plus faibles au lieu de vous souciez d’une loi qui gommera le « cordon sanitaire » qui vous sépare encore des « cassos » ».
A mes ancêtres pas si lointains, venus en France espérant trouver du travail et avoir une vie meilleure... Je ne dis rien. Il ne faut pas écorner les rêves.