Que cache le "racisme anti-blanc" ?

Le débat autour de l’existence ou de la non-existence d’un "racisme inversé" a fait couler de l’encre chez les journalistes comme chez les intellectuels. De nombreux sociologues se sont pourtant accordés pour affirmer qu’il n’existe pas de "racisme anti-blanc". Voici un texte qui détaille les raisons du choix de cette posture.

« Lorsque l’on tape "racisme" sous google, la première proposition qui apparaît est "racisme anti-blanc". Et sur les liens proposés, il faut attendre le quatrième pour avoir une critique de cette notion. Les sociologues affirment souvent que le "racisme anti-blanc" n’existe pas : une idée mal comprise, parce que souvent appréhendée avec ce qu’il faut de mauvaise foi pour se lancer dans la fausse indignation contre la "bien-pensance". Derrière cette idée, ce qu’il y a en jeu, c’est la compréhension de ce qu’est le racisme. Le plus souvent, celui-ci est perçu comme un sentiment individuel - en grande partie parce que les mouvements et politiques anti-racistes contribuent largement à le cadrer ainsi. Pourtant, du point de vue sociologique, ce n’est pas cela le racisme. Le racisme, c’est un système. Explications.

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Pour le comprendre, partons de ce point : la dénonciation du "racisme anti-blancs" s’appuie sur une définition très classique du racisme, celle qui a été portée par de nombreux mouvements anti-racistes mainstream (SOS Racisme en tête) et par les politiques officielles de lutte contre le racisme. C’est la force de cette rhétorique : s’appuyer sur une définition et un raisonnement largement répandu. Nous avons tous appris, à l’école et ailleurs, que le racisme, c’est mal, et donc l’idée d’un racisme "anti-blancs" doit nous inspirer le même sentiment d’horreur et de rejet que n’importe quel autre forme. Mais c’est en fait une définition bien particulière du racisme qui est mise en oeuvre dans cet anti-racisme. De "Touche pas à mon pote" aux sensibilisations scolaires, en passant par la plupart des campagnes publicitaires sur le thème et les dénonciations "humoristiques" du racisme (les Guignols de l’info entre autres...), la figure visée est celle du raciste, c’est-à-dire de celui qui manifeste ostensiblement son hostilité envers certaines personnes. Nous avons appris que le racisme, c’était refuser de s’assoir à côté d’un Noir, traiter quelqu’un de "sale bougnoule", ou encore écarter une candidature à un emploi parce que l’on n’aime pas les "bronzés"...

Qu’il y ait, dans ces quelques exemples, du racisme, c’est certain. Mais identifier le racisme à l’hostilité envers certains groupes semble pourtant bien insuffisant. On sent que cette définition est incomplète, qu’il lui manque quelque chose. On peut manifester une hostilité envers bien des groupes : envers les Noirs, les Maghrébins, les Asiatiques, les Juifs, certes, mais aussi envers les Blancs - c’est le fond de commerce de la rhétorique du "racisme anti-blancs" - ou encore envers les homosexuels, les femmes, les féministes, les riches, les pauvres, les patrons, les capitalistes, les communistes, les gouvernants, les sarkozystes, les lecteurs de l’Humanité, les membres de telle profession, les pratiquants de tel sport, j’en passe et des pas mûres. Ces différentes formes d’hostilité n’apparaîtront à personne équivalentes. On en trouvera toujours certaines justifiées, selon son positionnement politique. Il faut donc compléter la définition. Classiquement, on dira que l’objet de l’hostilité du raciste, ce sont les membres d’une certaine "race".

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Sortir de cette impasse implique que l’on dépasse le niveau individuel pour penser le racisme comme un "enjeu collectif" - pour reprendre une expression de Charles. W. Mills. Ce qui veut notamment dire que l’on doit repenser ce qu’est la race, puisque, on l’a vu, c’est ce terme qui fait problème dans la compréhension du racisme. L’analyse des utilisations de ce terme, tel qu’elle a été menée par Colette Guillaumin dans un livre important, révèle un trait essentiel : dans toutes les situations racistes, même lorsque celui-ci est officiel et soutenu par l’Etat, tout le monde n’est pas également susceptible de se voir imposer et de se penser comme appartenant à une race. Les racistes se voient comme neutres. Voici ce qu’elle écrit :

« Qui pense que le blanc est une couleur ? Que les chrétiens sont une race ? Qui pense que l’homme se définisse par un sexe ? Les caractères physiques du majoritaire n’ont pas le statut de marque, en effet ils ne sont pas destinés à être des limites ni des spécifications. Par contre quel nègre, quel juif, quelle femme ne sait pas qu’il est tel ? S’il ne le savait pas (et au départ il ne le savait pas plus que le majoritaire ne sait qu’il l’est) la société le lui a appris rapidement, quelque qu’ait été son opinion personnelle sur la question de sa propre définition. Ce qui prend rang de marque est réservé au minoritaire et ne prend son sens que dans son rapport à ce qui n’est pas marqué ; la race prend son sens de ce qui n’est pas racisé (p.108-109) »

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Pour faire du "racisme inversé", il faudrait non pas inverser le sens des mots mais inverser le sens du système, le sens du rapport social, le sens du pouvoir et de la domination. Il faudrait que la blague "Vous avez déjà remarqué que les Blancs ne savent pas danser ?" frappe des individus déjà exclus et déjà marqués. Si, toutefois, vous êtes Blanc et que vous trouvez de telles remarques parfaitement insupportables, que vous vous sentez mal de les entendre, si vous voulez mettre fin à toutes les marques d’hostilités quelles qu’elles soient, il existe une solution très simple. Il suffit de mettre fin au racisme. Pas au "racisme anti-Blancs", mais bien au vrai racisme, au racisme "anti-non-Blancs". Il faut défaire tout un système de production de la race, il faut mettre fin non seulement aux agressions, mais aussi aux discriminations volontaires et involontaires, au racisme institutionnel, à la croyance que les Blancs sont neutres et les autres marqués, aux inégalités économiques et politiques... Au boulot. Certains y travaillent déjà, et leur tâche ne sera pas facilité si vous restez là à vous plaindre alors que vous bénéficiez du racisme. »

Denis Colombi, « Le racisme comme système ».

L’intégralité de cet article est disponible sur le site une heure de peine.

Illustration : Vitor Teixeira, illustrateur latino-américain.