« Pourquoi tout ça ? » La famille d’Angelo Garand réclame vérité et justice

Mercredi 5 avril, Angelo Garand a été enterré dans le cimetière de Vineuil, dans le Loir-et-Cher. Une semaine plus tôt, le 30 mars, une équipe de gendarmes et d’hommes du GIGN a fait irruption au domicile de ses parents, à Seur, et l’a abattu sans sommations. Depuis, la famille Garand vit comme hors du temps, et cherche à comprendre ce qui s’est passé.

La pièce où Angelo a été abattu n’a pas été scellée. Sur les lattes du sommier posé contre le mur, sur le sac recyclable accroché à la poutre, sur le vélo d’enfant renversé au sol, on voit encore des traces de sang. Dans les poutres et le plafond, les balles tirées par les gendarmes ont laissé des marques. Quand ils abattent un homme, les pandores ne font pas le ménage.

Angelo s’est réfugié dans cette petite remise quand il a vu les bleus débarquer. Il ne voulait pas retourner à la prison de Vivonne, où il purgeait une condamnation pour vol. Il en était sorti à l’occasion d’une permission obtenue au mois de septembre dernier. Les autres membres de la famille étaient réunis ce jour-là pour une grillade. Ils ont été jetés au sol, entravés avec des liens en plastique, braqués par des mitraillettes. Comme une prise d’assaut.

Les gendarmes ont commencé à fouiller la maison, et les différentes caravanes installées dans la cour, cassant meubles et portes au passage. L’un d’eux a arrosé le barbecue, expliquant d’un air goguenard à la famille tenue en joue que cela éviterait à la viande de brûler. Mais ils ont fait chou blanc, jusqu’à ce qu’un bruit sourd les attire vers la pièce où Angelo s’était caché. D’après les proches d’Angelo présents ce jour-là, le drame s’est joué en deux secondes : trois gendarmes sont entrés dans la pièce, puis immédiatement quatre ou cinq détonations ont retenti. Ensuite, un long silence.

Pendant plusieurs heures, la famille n’a pas su ce qui s’était passé, dans quel état était leur frère, leur fils. « On ne pouvait pas imaginer qu’ils le tueraient sous nos yeux », dit la mère. Ils ont été emmenés à la gendarmerie, où ils ont été auditionnés. On ne leur a pas demandé comment s’était déroulé l’assaut de la ferme. Ils n’ont pas été amenés à témoigner sur les circonstances ayant conduit aux tirs. Les questions, assorties de menaces de poursuites pour complicité, portaient sur la cavale d’Angelo, et les mois qu’il avait passés à vivre au jour le jour, dans la crainte d’un retour dans cette taule qu’il ne supportait plus.

Angelo Garand au volant d’un tracteur

Ce n’est qu’en début de soirée, après le recueil de ces dépositions, que le procureur de la République de Blois, Frédéric Chevallier, a annoncé à la famille qu’Angelo était mort. Et puis, au lieu de présenter ses condoléances ou d’apporter un début d’éclaircissement sur les circonstances ayant entraîné la mort d’Angelo, il a expliqué qu’il craignait des émeutes… Une déclaration qui sonnait comme une mise en garde, et qui faisait clairement référence aux événements ayant suivi la mort de Luigi Duquenet, tué par des gendarmes en juillet 2010 pour le vol d’un billet de 20 euros et un refus d’obtempérer [1]. Cette réaction du procureur illustre le regard que portent les autorités sur la communauté des voyageurs, à laquelle appartenaient les deux hommes. Dans la foulée de l’annonce de la mort d’Angelo, le proc’ et le préfet ont déployé d’importants renforts de gendarmes mobiles dans la zone.

Le lendemain, la famille Garand a pu récupérer le corps, qu’elle a dû faire revenir à ses frais de Tours, où une autopsie avait été pratiquée. La famille a aussi pu rentrer chez elle, après que les gendarmes se soient organisé une reconstitution à huis clos, sans que les proches d’Angelo présents au moment du drame aient été invités à y participer. Depuis, ils n’ont reçu aucune nouvelle du procureur, et c’est dans la presse qu’ils ont appris qu’une information judiciaire avait été ouverte. Malgré le choc, aucune aide psychologique ne leur a été proposée ; pour l’État, ils ne sont pas des victimes, mais de possibles complices.

Ils ont pourtant de nombreuses questions sans réponses. Pourquoi prétendre qu’Angelo était dangereux, alors qu’il avait bénéficié d’une permission de sortie ? Pourquoi faire intervenir le GIGN, alors qu’Angelo n’avait pas résisté lors de sa précédente interpellation, et que les rapports de la famille avec les gendarmes locaux n’étaient pas hostiles ? Pourquoi les gendarmes sont-ils entrés dans la pièce où se cachait Angelo mitraillettes en main, au lieu d’attendre qu’il sorte — la pièce ne compte qu’une issue ? Pourquoi cette violence et ces humiliations à l’égard des proches ? « Pourquoi tout ça ? », comme le répétait la sœur, Aurélie Garand, dans la vidéo mise en ligne quelques jours après le drame.

Aujourd’hui, la famille réclame la vérité. Une page Facebook « Justice pour Angelo » a été créée, et un rassemblement devrait être organisé bientôt [2]. Aurélie Garand refuse d’admettre que des hommes soient ainsi tués par la police ou les gendarmes. Elle évoque la possibilité d’un grand rassemblement à Paris, qui réunirait toutes les victimes de cette violence d’État. Une telle marche a été organisée le 19 mars dernier, réunissant des milliers de personnes venues de toute la France. Moins de deux semaines plus tard, flics et gendarmes avaient déjà fait deux nouvelles victimes : Liu Shaoyo, 56 ans, mort à Paris, et Angelo Garand, 37 ans, mort à Seur.

P.-S.

Une cagnotte a été mise en place pour soutenir la famille. Vous pouvez y accéder en cliquant ici.

Notes

[2Un rassemblement en mémoire d’Angelo Garand aura lieu à Blois le 22 avril. Voir « Justice et vérité pour Angelo » : rassemblement à Blois le 22 avril.