Les manifestations au Venezuela sont-elles menées par les partis d’opposition de droite ?
Non. La vague de manifestations actuelle a démarré dans la ville de San Cristobal le 4 février, quand des étudiants dénonçant des problèmes de sécurité sur le campus universitaire ont dû faire face à la répression, et que plusieurs d’entre eux ont été emprisonnés. Les manifestations qui ont suivi se concentraient sur la libération des étudiants détenus, se sont propagées à d’autres villes, et ont également été réprimées, intensifiant l’agitation étudiante. C’est dans ce contexte qu’une faction de l’opposition a lancé une proposition pour organiser des manifestations de rue surnommées « La Salida » (la sortie) demandant la démission du président Maduro, tandis qu’une autre faction de l’opposition était contre cette idée de manifestations concentrées sur cette revendication plus importante et unique. Malgré l’arrestation du politicien conservateur Leopoldo Lopez, les vastes manifestations à travers le pays ont dépassé et débordé par la gauche les partis politiques d’opposition.
Les manifestations au Venezuela font-elles partie d’un coup d’état contre le gouvernement de Maduro ?
Au Venezuela, qui a connu dans son histoire plusieurs coups d’état militaires, il est toujours possible que les événements aillent dans ce sens. Cependant, la situation actuelle est très différente de 2002, quand Hugo Chavez fut temporairement destitué par un coup d’état. Après cette date, les rangs supérieurs et intermédiaires des forcées armées ont été politiquement nettoyés ; ceux qui ont pris les postes vacants étaient idéologiquement proches du gouvernement, et leur allégeance a été sécurisée par des conventions leur donnant le contrôle d’un certain nombre d’activités économiques du pays. La source la plus probable d’un coup d’état aujourd’hui serait une faction chaviste ou une autre. Leur but serait d’assurer la gouvernabilité du pays, afin que l’armée et les compagnies d’énergie puissent continuer à opérer.
Les manifestations sont-elles liées à une « conspiration » des chaînes de médias privés ?
Aujourd’hui, les stations de diffusion ont été réduites au silence par le gouvernement de Nicolas Maduro. Le dernier réseau national, Globovisión, a été acheté par un entrepreneur qui a des liens avec le gouvernement, qui a modifié sa manière d’appréhender l’information. Une pression est exercée afin que les stations de radio et les journaux ne parlent pas des manifestations, sous prétexte que cela inciterait à la « violence ». En outre, la presse écrite souffre d’un manque de papier en raison des contrôles de change de devises imposés par le gouvernement. Pour cette raison, les manifestants ont pris la responsabilité de générer leurs propres rapports sur la situation, faisant un usage intensif des réseaux sociaux.
Les manifestations ne visent-elles qu’à évincer le président Maduro du pouvoir ?
C’est un mouvement qui n’est pas centralisé, et il y a de nombreuses revendications. Pour résumer, il y a deux perspectives : une de Caracas, et une des villes de l’intérieur du pays. A Caracas, les exigences de la majorité sont la démission du président, la libération des prisonniers politiques, et le rejet de la violence. Dans les autres villes, qui ont souffert pendant des années de l’interruption des services publics et de la pénurie de produits de base, les problèmes de l’inflation galopante, de pénuries, le manque d’eau et d’électricité sont également des points d’attention centraux de la majorité des manifestants.
Les manifestations se limitent-elles à la classe moyenne ?
A Caracas, la majorité des manifestants sont des gens de la classe moyenne et des étudiants des universités publiques et privées. Dans l’intérieur du pays, la situation est complètement différente, et beaucoup d’habitants de zones populaires prennent une part active aux manifestations.
Toutes les images de la répression qui ont circulé sont-elles fausses ?
Certaines personnes ont, innocemment ou intentionnellement, diffusé des images et des vidéos qui ne correspondent pas à l’actualité au Venezuela, mais les réseaux sociaux ont montré leur bonne capacité à s’autoréguler, dénonçant avec succès ces images comme fausses, et expliquant aux utilisateurs comment vérifier l’information avant de la partager. La stratégie du gouvernement a été de tenter de montrer que si trois, quatre ou même dix images étaient fausses, toutes l’étaient. Mais les faits sont là, enregistrés par les outils technologiques de dizaines de témoins de la répression gouvernementale.
Si ce ne sont pas les partis politiques, alors qui organise les manifestations au Venezuela ?
En fin de compte, les partis politiques ont dû se joindre à la mobilisation et ont essayé – sans succès jusqu’à maintenant – de les canaliser. Par exemple, le « Bureau de l’Unité Démocratique » (Mesa de la Unidad Democrática) a appelé à cesser les manifestations pendant trois jours après le 12 février, en signe de deuil, mais les gens ont désobéi, continuant à descendre dans la rue. De nombreuses initiatives sont lancées sur les réseaux sociaux : certaines sont reprises et deviennent virales ; d’autres tombent dans l’oreille d’un sourd et sont oubliées.
Si Nicolas Madura démissionne, le Venezuela retournera-t-il à l’état dans lequel il était avant Chavez ?
Non. D’abord, si cela devait se produire, il est impossible de revenir sur les réalisations en matière de droits « progressifs » établis par la Constitution et soutenus internationalement. Deuxièmement, il est impossible que, comme certains le croient, « l’opposition » – quel que soit le sens que l’on donne à ce mot – parvienne à chasser le « chavisme » du pouvoir – dans le sens le plus large du terme. Le mouvement bolivarien a une base large qui, indépendamment de la façon dont les manifestations se terminent, continuera à figurer au centre de la politique vénézuélienne dans l’avenir.
Quelle est la situation actuelle en termes de répression ?
À ce jour, il y a eu 11 décès en lien avec les manifestations, résultant principalement de l’intervention des unités répressives. On estime que 400 personnes ont été arrêtées pour avoir participé aux manifestations. A Caracas, selon les chiffres du centre pour les droits de l’homme de l’Université catholique, 197 personnes ont été libérées, 7 sont toujours détenues, 6 sont portées disparues, et 8 ont été privées de liberté par décision judiciaire.
Qui réprime les manifestations au Venezuela ?
Principalement la Garde nationale bolivarienne, le Service bolivarien du renseignement national, et des groupes paramilitaires indirectement financés et ouvertement encouragés par le gouvernement.
Quel rôle joue l’impérialisme américain au Venezuela ?
Le Département d’État et le président Barack Obama ont condamné publiquement la restriction des libertés démocratiques au Venezuela. Cela a conduit Nicolás Maduro et ses partisans à les accuser d’ingérence dans les affaires intérieures d’un autre pays et de violer la souveraineté du Venezuela. Bien qu’il déclare avec insistance que les États-Unis sont à l’origine des manifestations, Maduro a également invité le gouvernement américain à rétablir les relations diplomatiques entre les deux pays.
D’autre part, Chevron a toujours de nombreux contrats juteux sur le territoire vénézuélien dans les domaines de l’exploitation de gaz et de pétrole, à travers les contrats signés par le président Chavez, qui sont encore valides pour 30 ou 40 ans. Les États-Unis restent le plus grand « allié commercial » du Venezuela. Le Venezuela envoie son plus grand contingent d’énergie exportée aux États-Unis, et en retour importe de nombreux produits des États-Unis pour répondre aux problèmes de pénuries du pays. Enfin, le gouvernement de Nicolas Maduro a révoqué les accréditations de CNN, accusant la chaîne de « violer les lois vénézuéliennes », tout ça pour les renouveler 24 heures plus tard, invitant CNN à revenir dans le pays.
Les gouvernements d’autres pays de la région ont également exprimé leur soutien ou leur inquiétude vis-à-vis de la situation au Venezuela .
Quel est le rôle des mouvements sociaux au Venezuela à ce stade ?
Au cours des 15 dernières années, les mouvements sociaux ont souffert d’une politique d’intervention active de l’État qui les a diminués et divisés, et a souvent conduit à ce qu’ils soient cooptés. Malheureusement, les quelques groupes qui ont conservé un certain degré d’autonomie – quelques syndicats de travailleurs par exemple – sont trop faibles pour avoir un impact réel sur la situation actuelle.