En effet, il y a quatre ans, un premier panneau de l’opérateur-afficheur Pixity [2] poussait le long de la D910, au niveau de la zone d’activités commerciales de Chambray-lès-Tours. Un second fut mis sous tension à Tours-nord il y a deux ans, sur l’avenue Maginot, au cœur de la seconde zone commerciale de la ville.
La publicité, cheval de Troie des marques, est en constante évolution. Sa dernière avancée remarquable est qu’elle se nomme désormais « communication », véritable mot fourre-tout. Les marques, autant que les politiques, sociétés institutionnelles ou autres personnalités publiques et privées en usent afin de se démarquer des anciennes valeurs de la pub dite « traditionnelle », valeurs généralement rejetées par une majorité de français (chiffres variant selon les études, mais s’accordant toutes sur une plus forte proportion de publiphobes que de publiphiles, et évoluant dans ce sens au cours des années).
La prolifération d’écrans animés, dans la pub-communication autant qu’ailleurs, est devenue un moyen ET une fin en soi.
Un moyen, car on distingue trois stades dans la publicité :
- stade cognitif : "Avez-vous remarqué la pub et vous en souvenez-vous ?" ;
- stade affectif : "Aimez-vous cette pub, suscite-t-elle un désir ?" ;
- stade comportemental : "Allez-vous acheter le produit ?"
De ce point de vue, les écrans publicitaires vidéo-animés sont probablement le meilleur moyen d’assurer le succès du premier stade, le cognitif.
La prolifération d’écrans animés est aussi une fin, car l’importance du message ne surpasse pas l’importance du support sur lequel on le diffuse : en effet, le nombre d’annonceurs diffusés par panneau étant limité à dix, il serait tout à fait possible d’en rester aux panneaux déroulants (bien que largement critiquables eux aussi). Ainsi, l’écran LED est un argument à part entière, il pose le sujet en plein dans le « progrès » technologique, le qualifiant de moderne quel que soit le produit ou service à vendre.
La publicité au service de l’environnement ?
Jamais à court d’arguments ni de moyens pour récupérer à son compte l’air du temps, Pixity, à l’instar des autres professionnels de la communication, se vante d’être à la fois le vecteur d’une « visibilité inégalée » et du « meilleur retour sur investissement », tout en attachant « une attention toute particulière à l’impact environnemental ». Les fabricants-vendeurs de panneaux vidéos géants louant alternativement leurs surfaces aux compagnies automobiles polluantes, aux grandes surfaces tueuses d’emploi et autres chantres de la consommation déraisonnée s’auto-proclament bon élèves de l’écologie : on croit rêver ! Mais puisque c’est la réalité, distribuons les bons points (piqués mot pour mot sur le site de Pixity). Selon la compagnie, ses panneaux provoquent une « économie d’espace [en remplaçant] jusqu’à 10 panneaux traditionnels ». Evidemment, confiants citoyens que nous sommes, nous nous attendons donc à voir dix panneaux de JCDécaux ou Clearchannel disparaître à chaque nouvelle implantation d’un panneau LED de Pixity...
Toujours selon Pixity, le bilan carbone de leur business serait amoindri grâce à une « économie de 5000m² de papier par an » : c’est tout bonnement oublier le cycle complet de fabrication d’un appareil électronique, quel qu’il soit. Personne ne dira que le processus de fabrication d’une affiche en papier est 100 % propre et sans conséquences, mais quelles sont-elles comparées aux destructions environnementales et sociales liées à l’extraction des métaux précieux et autres terres rares [3], à l’obsolescence prévisible de ses concentrés électroniques (dont nous parlerons juste après), à la fabrication délocalisée des composants (même s’ils peuvent être assemblés plus ou moins localement), des serveurs et autres réseaux électroniques et aériens permettant les téléversements à distance des publicités vidéo-animées, leur mise-à-jour, etc. ?
Continuons : les panneaux de Pixity créent une « économie dans la durée [avec] 100 000 heures de fonctionnement ». Cent mille heures correspondent à 4 166 jours, soit un peu moins de onze ans et demi. C’est toujours mieux qu’un smartphone, mais comparé à un panneau normal ? Le site assure que, de la fabrication à la destruction des écrans, l’impact environnemental est particulièrement pris en compte. Bien, mais à part une belle phrase, on peut préciser ? Sont-ils recyclés ? Compensés ? "Valorisés" dans un incinérateur ?
Très logiquement, la page « charte durable » de la compagnie finit tout en beauté, arguant leur implication dans des projets locaux de développement durable, au travers des compensations carbones notamment. On ne développera pas ici, mais les compensations carbone ne sont qu’un moyen de s’auto-excuser, et le marché des crédits-carbone répond exactement aux mêmes impératifs que n’importe quel business : les retours sur investissements.
Ceci-dit, nul besoin de lire le texte de cette charte, les illustrations accolées suffisent à comprendre que les panneaux de Pixity poussent naturellement si on les arrose, et qu’il est agréable de s’allonger devant en mâchouillant une fleur par la tige. Le bandeau principal du site montre d’ailleurs une ville toute en niveaux de gris être rattrapée par la verdure indomptable ! Quelle poésie.
La publicité comme arme de guerre
Après avoir bien compris l’engagement environnemental de la société, il est intéressant d’observer ses arguments purement commerciaux, puis de les confondre. Ces écrans publicitaires diffuseraient « au minimum 612 fois » le message chaque jour : un matraquage en règle. « Matraquage » ? On est pas à la guerre... Et pourtant, dans le fil de news du site de Pixity, on peut lire une récente « incursion en Auvergne ».
La définition et les synonymes du mot « incursion » sur différents dictionnaires [4] donnent quelques sueurs, mais cette invasion a peut-être été rendue possible par leurs « totems numériques de six mètres de hauts, agissant comme des phares qui attirent tous les regards vers [leur] enseigne ».
À défaut d’être qualifiés de phares, les deux panneaux implantés dans l’agglomération de Tours toucheraient à eux deux potentiellement 49 000 véhicules par jour (22 000 pour Tours-nord et 27 000 pour Chambray-lès-Tours). Les automobilistes, de plus en plus occupés à régler leur GPS en même temps qu’ils twittent sur leur smartphone, pendant que les enfants regardent un dvd à l’arrière tout en jouant à la console, seront de plus en plus sollicités, étant admis qu’un écran vidéo-animé accroche bien plus le regard qu’une enseigne figée.
On attend les stats de la sécurité routière...
Thomas M.