Cet échange de tweets est assez révélateur des mythes qui entourent l’arrivée des nazis au pouvoir et du régime qui l’a précédé : la République de Weimar. Jamais Hitler n’est arrivé au pouvoir par la voie démocratique. Autrement dit, jamais il n’a été élu chancelier. Les chanceliers étaient nommés. C’est Von Papen [1] qui proposa sa nomination à Hindenburg [2] ; celui-ci finit par l’accepter après y avoir été longtemps réticent. Hitler arriva même au pouvoir alors que son parti subissait un reflux électoral [3]. Von Papen fut d’ailleurs traduit devant le tribunal de Nuremberg en 1945 et, fait notable, fut acquitté malgré l’opposition des Soviétiques à cet acquittement.
Quand le SPD réprimait la révolution allemande et instrumentalisait les corps francs
Certes, le KPD (parti communiste allemand) mena occasionnellement des actions communes avec le parti nazi contre des meetings du SPD, le parti social-démocrate [4] allemand. Mais, lorsqu’on prétend se pencher sur l’accession d’Hitler au pouvoir, on ne peut faire l’économie de considérer ce qui s’est passé en Allemagne après la première guerre mondiale. En 1918, les marins de Kiel, refusant de se lancer dans une nouvelle opération militaire, allumèrent la mèche de la révolution allemande. Le ras-le-bol de la guerre et des conditions sociales qu’elle générait, ainsi que l’exemple de ce qu’on appelle la révolution russe, conduisirent une partie significative de la population allemande à se mobiliser, à exiger l’arrêt de la guerre et à exprimer la volonté de donner le pouvoir aux travailleurs. L’empereur allemand Guillaume II abdiqua, mais la signature de l’armistice ne calma pas les esprits. Bien au contraire, les volontés révolutionnaires continuèrent de s’exprimer.
Ce fut le parti social démocrate qui prit le pouvoir en novembre 1918. Ebert fut nommé (et non élu) chancelier. La République de Weimar vivait ses premières journées. Noske fut le ministre de la guerre du gouvernement. Le rôle politique du SPD au pouvoir fut de mater et briser l’élan révolutionnaire porté notamment par les spartakistes (KPD) et les conseils ouvriers de Bavière. Pour ce faire, le SPD s’appuya sur la multitude de corps francs composés essentiellement de soldats démobilisés voulant à tout prix faire rendre gorge à ces « maudits rouges qui étaient la cause de la défaite allemande » (le mythe du coup de poignard dans le dos naissait, mythe sur lequel s’appuiera Hitler pour justifier sa tentative de coup d’Etat en 1923, mythe qui perdurera pendant toute la durée du troisième Reich). Ce sont par exemple ces corps francs qui en 1919 assassinèrent Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht, sur ordre de Noske. Il déclara à ce propos : « Il faut que quelqu’un fasse le chien sanguinaire : je n’ai pas peur des responsabilités ». Sans l’apport de ces corps francs, il aurait été très difficile au SPD de réprimer la révolution allemande. En tous cas, les actions quotidiennes de ces dits corps se sont faites avec le consentement des responsables de la république de Weimar.
Que le KPD soit condamnable de s’être allié ponctuellement au NSDAP (parti nazi) pour attaquer des meetings du SPD est une certitude et nous le condamnons. La non-prise en compte de la profondeur et de la réalité de cette organisation fasciste montre d’une part que la course au pouvoir d’Etat peut engendrer n’importe quelle dérive, à partir du moment où certains considèrent que « la fin justifie les moyens ». D’autre part, détenir « la science », même à travers le marxisme, n’épargne pas certaines dérives ! Mais le SPD est au moins tout aussi condamnable. Il a fait le choix politique d’instrumentaliser et donc de légitimer des groupes ultra-réactionnaires et pour certains fascisants, groupes dont provient le NSDAP. Ce choix, le SPD l’a fait pour se maintenir au pouvoir et briser la révolution allemande afin de maintenir le capitalisme.
La social-démocratie européenne : une histoire entachée de sang
Cet « épisode » n’est pas unique dans l’histoire de la social-démocratie qui est couverte de sang. Beaucoup se flattent de l’action du Front Populaire et notamment notre certainement pas-camarade et pas-compagnon Jean-Patrick Gille. Léon Blum est une icône. Quel a été le rôle politique du gouvernement Blum soutenu par le Parti communiste français (comme quoi tout ce monde-là peut s’allier par moments) ? En 1936, c’est le patronat qui appela Blum au secours en raison des occupations d’usines. Les patrons n’arrivant pas à « libérer » les usines occupées par les ouvriers, ils demandèrent à Blum d’intervenir et de trouver une solution pour que « l’ordre règne en France » [5].
Durant les années 1920 et au début des années 1930, des mouvements populaires avaient lieu un peu partout sur la planète. Par exemple, aux États-Unis, le président Roosevelt, en pleine négociation du New Deal, a dû composer avec certaines organisations syndicales. Les travailleurs états-uniens avaient inventé une nouvelle forme de lutte : l’occupation des usines. Juste après-guerre, en Italie, un mouvement de conseils ouvriers important avait vu le jour. En Europe centrale, dans plusieurs pays, des mobilisations ouvrières avaient lieu, etcetera [6].
En France, avant l’arrivée du Front Populaire, certains membres éminents de la bourgeoisie, notamment du comité des forges, déclaraient « plutôt Hitler que le Front Populaire » (Wendel, président du comité de forges [7]). Dans ce contexte, le rôle historique et politique du Front Populaire aura été de briser un mouvement social grâce aux accords de Matignon. Insistons sur le fait que c’est à la demande du patronat français que Blum négocie ces accords pour briser le mouvement d’occupations des usines.
Environ trois semaines plus tard, le 17 juillet 1936, la révolution espagnole démarrait pour s’opposer au coup d’État du général Franco. Que ce serait-il passé si le mouvement français d’occupations des usines avait continué au-delà de cette date ? N’y aurait-il pas eu de liens créés entre ces deux mouvements ? Blum aurait-il pu rester « neutre » en refusant d’envoyer des armes aux révolutionnaires espagnols, alors que les États fascistes allemand et italien envoyaient des armes aux troupes franquistes et, pour ce qui est des allemands, des soldats [8] ? C’est en 1936 que Thorez, secrétaire général du Parti communiste français, déclara en plein mouvement d’occupation d’usine « il faut savoir arrêter une grève ».
1948, vaste mouvement de grèves des mineurs en France. Pratiquement tous les sites sont touchés, dans le Nord et dans l’Est mais aussi dans le Sud comme à Firminy ou à Allès. Jules Moch, membre de la SFIO et ministre de l’intérieur, réprima ce mouvement parfois de manière sanglante. Son surnom devint « Jules Moche ».
Que dire de l’action colonialiste de cette même social-démocratie ? Dans le gouvernement Guy Mollet, François Mitterrand envoya les appelés au service militaire pour réprimer les militants luttant pour l’indépendance de l’Algérie.
L’histoire de la social-démocratie montre qu’elle a toujours fait preuve d’une même cohérence : faire en sorte, de gré ou de force, de renforcer le consensus au sein de la société capitaliste, quitte à employer la violence d’État pour réprimer toute contestation remettant en cause ce dernier.
Les politiques de l’immigration actuelles : dans la continuité
L’histoire des trente dernières années s’inscrit dans cette continuité. Que fait Mitterrand en 1983 ? De l’état de grâce, il nous donne le coup de grâce (plan Delors pour mettre en conformité la France par rapport à la construction européenne). En 1981, quand il arrive au pouvoir, il n’y avait qu’un camp de rétention qui était clandestin (le camp d’Arenc à Marseille) ; lorsqu’il fut découvert à la fin des années 1970, ce fut un tollé général, partagé même par le PS et le PCF. Lorsque Mitterrand quitte le pouvoir en 1995 il y en avait 13. Les camps de rétention sont un des outils fondamentaux de la machine à expulser les personnes d’origine étrangère, qui elle même sert à mettre en œuvre la politique raciste de l’État.
Récemment, alors qu’il était encore ministre de l’intérieur, Valls, n’a fait que confirmer cette politique raciste qui a été menée aussi bien par les gouvernements de droite que de gauche. Sarkozy et le sinistre Hortefeux ont développé un discours et une politique raciste envers les Roms [9]. Valls n’a aucunement infléchi la politique raciste du gouvernement précédent à l’encontre des Roms, voire même l’a exacerbée puisque les expulsions de camps ont augmenté.
Rappelons que la grande majorité des Roms vivant en France et plus largement en Europe occidentale ne sont pas des gens du voyage mais sont sédentarisés. Ils ont dû fuir leur pays d’origine en raison du racisme qu’ils y subissent et des exactions dont ils sont les victimes. Notre souhait n’est pas de les maintenir dans des camps ressemblant plus à des bidonvilles qu’autre chose et qui amènent des êtres humains à vivre dans des conditions infâmes. Il s’agit pour n’importe quelle personne, quelle que soit sa nationalité, quels que soient ses moyens financiers, si elle le désire, d’avoir un toit. Parler de la question des Roms, dans la situation actuelle, c’est parler du droit au logement pour tous.
Les propos racistes de Manuel Valls à l’encontre des Roms montrent la continuité des politiques des gouvernements précédents [10]. Cette volonté de chasser les Roms [11] n’est qu’un des instruments mis en œuvre pour lutter contre les miséreux. Ils seraient sources et responsables de la situation actuelle conduisant à la politique de rigueur mise en place. Une chose est sûre, ce sont les riches qui coûtent cher [12]. D’une part, la croissance de leurs dividendes ponctionne de plus en plus les sociétés, rendant le partage des richesses de plus en plus inégalitaire ; d’autre part, les 50 milliards que leur offre François Hollande et son gouvernement sont largement au-dessus des budgets alloués aux politiques sociales.
La lepénisation des esprits et des partis politiques
Depuis une trentaine d’années, on assiste à la lepénisation [13] de la plupart des organisations gouvernementales. Le PS n’y échappe pas. En érigeant l’immigration et la sécurité des personnes et des biens comme problèmes majeurs qu’il faut combattre, ils reprennent à leur compte ces thèmes développés par le FN. Ils participent ainsi à sa banalisation.
Ils déplacent les débats, évitant d’aborder l’insécurité sociale (chômage, précarisation, misère, baisse des budgets sociaux, de la sécurité sociale...) ou plutôt faisant porter la responsabilité de celle-ci aux exploités et individus de plus en plus paupérisés. Ils sont qualifiés d’assistés qu’il faut remettre au travail dans des conditions de plus en plus dures. Par contre, filer 50 milliards aux exploiteurs pour qu’ils puissent mieux spéculer, c’est de l’aide aux entreprises pour qu’elles soient plus compétitives, c’est-à-dire rapportant plus de profits aux investisseurs : actionnaires, banques, fonds de pension au détriment des droits sociaux (santé, logement, culture, éducation...). L’immigration gréverait les budgets sociaux et serait source de chômage. En fermant les frontières, on se protégerait d’une dégradation sociale. Officiellement, les frontières françaises ont été fermées en 1974 (jusqu’à la signature de l’accord de Schengen qui met en place l’Europe forteresse.).
Depuis une quarantaine d’années les différents gouvernements qui se sont succédé n’ont eu de cesse que de durcir les mesures à l’encontre des personnes d’origine étrangère. Est-ce que depuis la situation sociale s’est améliorée ? A l’évidence non ! Elle s’est considérablement dégradée. Ces quarante dernières années montrent qu’il y a un lien étroit entre la dégradation des conditions de vie et de travail, d’un côté, et le développement du racisme d’État et les politiques afférentes, de l’autre.
Les propos tenus contre la ministre de la justice, la comparant à un singe, sont insupportables. Ceux de Valls contre les Roms le sont tout autant. Si l’on dénonce ce qui c’est passé dans les années 30 conduisant à la seconde guerre mondiale, la déportation, le régime de Vichy, le nazisme, le fascisme en Italie, etctera, il ne faut pas devenir l’incendiaire pour ensuite faire semblant de jouer les pompiers. On ne peut pas d’un côté se mobiliser contre les propos racistes tenus à l’encontre d’une ministre d’origine guyanaise et de l’autre accepter qu’un autre ministre du même gouvernement tienne des propos racistes à l’encontre de personnes dont il considère qu’elles n’ont pas vocation à vivre en France parce qu’elles sont Roms !
Et si on faisait le bilan de la social-démocratie ?
Notre non-camarade et non-compagnon élu de la République Jean-Patrick Gille s’offusque de l’attitude du KPD. Nous ne pouvons que partager ce sentiment. Mais pour mettre fin à toute hypocrisie et toute démagogie de ce triste sir et consorts, il faudrait qu’ils s’interrogent sur l’histoire de leur courant politique et les bilans qu’ils peuvent en tirer. Et s’ils nous expliquent qu’on ne peut pas faire autrement que la politique actuelle du gouvernement, comme celle des précédents, alors ils nous démontrent que les élections sont vraiment des pièges à cons puisque voter pour des gens qui ne peuvent pas faire autrement que ce qui est fait ne sert définitivement pas à grand-chose… Sans doute Jean-Patrick Gille va-t-il s’enorgueillir de la « fronde » des députés PS à l’encontre du premier ministre. Mais une abstention peut-elle satisfaire nos vies ?
Les joyeux brontosaures de l’anarchie