Petite histoire partisane des grèves à Tours au XIXe siècle. 1ère partie : 1845 - 1884, le temps des corporations

Les ouvriers tourangeaux n’ont pas attendu que les syndicats soient légalisés pour réclamer de meilleures conditions de vie. Dès 1845, de nombreuses corporations (charpentiers, maçons, tanneurs ou cochers) auront recours à la grève pour se faire entendre.

Si nous nous en tenons au droit, tout commence en 1863 et 1864 quand la loi autorise, sous conditions, les coalitions et les grèves. On se souvient, par ailleurs, qu’il faudra ensuite attendre la loi du 21 mars 1884 pour que soient enfin légalisés les syndicats ouvriers en France.

1. Sous la Monarchie de Juillet et Louis Philippe Ier (1830 - 1848)

Mais n’allons pas trop vite. Les ouvriers n’ont pas attendu qu’on leur file un coup de tampon sur leur livret pour se rebiffer. C’est à partir de l’année 1845 que nous avons de quoi causer pour Tours. Faut croire que la création de la gare cette année-là les a laissé de marbre. En c’temps là, les ouvriers représentent près de 28,6 % de la population tourangelle ; de quoi décoiffer le gandin ! Du coup, en juillet, les ouvriers charpentiers, maçons et tailleurs de pierre cessent tout travail. Les vaches ! Avec trois francs par jour, il n’arrivent plus à subvenir à leurs besoins... La coalition débute le 20 juin pour se terminer vers le 29 juillet. 39 jours de bras de fer. Et voilà que les couvreurs et menuisiers les soutiennent. Tous les chantiers sont touchés, c’est presque les trois quarts des ouvriers du bâtiment qui refusent de trimer pour peau d’balle. Et comme on est beau joueur du côté des patrons, on cherche à faire venir des ouvriers « du dehors ». Les copains ne se laissent pas faire : il y a du grabuge. Et voilà que les ouvriers d’Amboise accompagnent le mouvement ! C’est la contagion ! Des réunions secrètes sont tenues un peu partout en ville, des personnes sont mandatées pour étendre la grève, et le couperet tombe. Walwein, le maire, ne peut laisser les choses continuer : une dizaine d’arrestations est orchestrée. De quatre mois à un an ferme. Rideau ! tout le monde reprend le travail.

2. Sous le Second Empire et Napoléon III (1852 - 1870)

Dans le coup, les ouvriers du coin sont pas mal échaudés, et il faudra attendre 1860 pour voir de nouvelles grèves en ville. Et quelle année que cette année 1860 ! Nom de dieu ! En mars, durant 15 jours les ouvriers couvreurs cessent toutes activités, préférant rejoindre la campagne plutôt que peiner pour pas un rond. Ils réclament une hausse de salaire, diable ! C’est que le pain coûte toujours plus cher : la livre coûte pas loin d’une demi journée de sueur... Mame, qui préside aux destinées de la ville, intervient officieusement et ils sont augmentés de 50c par jour. Devant cette réussite, les copains maçons et tailleurs de pierre se mettent en grève le 1er mai, pardi ! puis se sont les charpentiers en juillet, les menuisiers en août (35 jours) et enfin les serruriers-mécaniciens en septembre. C’est l’hécatombe ! De quoi faire blanchir notre imprimeur-maire ! A chaque fois les camarades obtiennent un meilleur salaire. Oh ! rien de bien faramineux, mais assez pour s’estimer vainqueur.

L’année suivante, même combat. En février, les ouvriers tanneurs quittent les ateliers de Desaché-Blin. Les bougres n’acceptaient pas une baisse d’1/10e de leur salaire avec effet rétroactif ! Pauvre patron ! Ne restaient que quatre bonnes âmes à se fatiguer, c’est dire ! 48H plus tard, sa majesté recule pour la rétroactivité. Demi-victoire, donc. Trois mois plus tard, en mai, le 11, ce sont les ouvriers plâtriers qui montent au créneau. Trois patrons de Tours sont touchés. Après dix jours de grève, les patrons refusant toujours de rehausser leurs salaires, les copains prennent acte de leur décision : la grève se termine et les trois patrons n’ont plus d’ouvriers. Dans la foulée, ces sont les camarades peintes qui réclament 15 jours durant une augmentation, et qui finissent par obtenir 50c de plus par jour.

L’ouvrier ne paiera pas, in Gallica

Les deux années suivantes sont plus calmes. Du moins si l’on excepte les cinq ouvriers jardiniers arrêtés en avril 1862 et les deux autres arrêtés en mai 1863. Leur crime ? Avoir réclamé une hausse de salaire en cherchant à fomenter des grèves. Il est temps que la loi de 1864 arrive !

Eh bien, nous y voilà ! 1864. A Tours ? Deux grèves. Le 1er mai les ouvriers charpentiers quittent leurs chantiers. Ils veulent passer à 45c de l’heure. Tous les travaux de Tours sont suspendus, et les cinq patrons de la ville sont touchés. On met les militaires à dispositions des maîtres. Des réunions s’organisent, des concessions sont faîtes en fin de mois mais ce n’est pas assez. En juin les copains dépêchent un camarade pour se rendre à Nantes. Il est arrêté et relâché. Le 11 juin, ils obtiennent gain de cause. Parallèlement, le 1er mai également, les ouvriers maçons, tailleurs de pierre et charpentiers se sont mis aussi en grève. Les autorités cherchent à voir s’il n’y aurait pas un peu de politique derrière tout ça. Quoi ! Voilà que de chercher à avoir de quoi subsister cela devient de la politique ! Carabiniers et fantassins sont réquisitionnés – dans les ateliers ! En juin, sur 457 ouvriers à Tours, seuls 80 ont continué à travailler. Ils demandent une augmentation de 10c par heure. La grève se termine aux alentour de la seconde quinzaine de juillet ; ce sera 5c de plus par heure. Bis repetita pour les plâtriers l’année suivante après 15 jours de grève.

Pendant quelques années le calme revient à Tours : les pauvres restent pauvres et les bourgeois dorment sur leurs pince-nez. Vous vous en doutez, ça ne pouvait pas durer, n’en déplaise à notre ami le banquier Goüin, maire depuis 1866. En 1868, en juin, les ouvriers charrons et charpentiers ne demandent plus une revalorisation de leurs salaires, mais à travailler moins, une heure de moins par jours. Damne ! Quelle idée ?! Qu’est-ce que 12 heures de travail par jour ? Sans blague ! Pour éviter que le bruit s’ébruite et que d’autres corps s’y mettent, on donne une légère augmentation, on parle de la troupe, et la grève s’arrête. L’année suivante, ce sont les peintres qui reprennent la demande, une cinquantaine sont obligés de quitter Tours pour bosser à la campagne. En juin, ce sont les ouvriers boulangers qui s’y collent, l’armée intervient – dans les cuisines ! Plus tard, 97 ouvriers serruriers sur la petite centaine que compte Tours, demandent une augmentation – qu’ils obtiennent ! C’est vrai qu’en cette fin de décennie la ville de Tours compte un indigent pour 56 habitants.

3. Sous la Troisième République, celle de Thiers, Ferry et consorts (1870 - 1940)

Dans les années 1870, trois grèves seulement se déclarent à Tours. En 1873, d’abord, en avril, les charpentiers redemandent une augmentation de 10c par heure. Une cinquantaine d’ouvriers se mettent en grève. Rapidement une entente est conclue avec les patrons pour 5c/h. En juillet, ce sont 250 ouvriers tailleurs de pierre qui refusent l’augmentation de 5c proposées et demandent une augmentation de 10c. Les patrons acceptent directement leurs demandes. Auraient-ils la frousse ? En 1879, 80 % des ouvriers charpentiers de Tours partent travailler à la campagne en représailles de la stagnation de leurs salaires, mais ils n’obtiennent qu’une très légère hausse de celui-ci. Dans la foulée les ouvriers charpentiers obtiennent 5c alors tandis que du 26 juillet au 20 septembre 1880, les 250 ouvriers menuisiers, grèvent et obtiennent une augmentation de 10 %. L’année suivante ce sont les cochers de fiacre et les ébénistes qui obtiennent entre 10 % et 20 % d’augmentation.

1884, nous y voilà ! Année de la légalisation des syndicats ouvriers. A Tours, Fournier succède à Charpentier. Dermatologue de formation, voilà que chez les copains ça démange ! Et hop ! Une grève des cordonniers dure du 20 juillet au 13 août. Ce sont 800 grévistes, dont 300 femmes, qui refusent une baisse de 30 % de leurs salaires. Les copains de Blois sont appelés à la rescousse, mais c’est une défaite. Elle fait mal. Naît alors la volonté de mieux s’organiser entre les travailleurs. Surtout maintenant que les syndicats sont possibles ! C’est ce que nous verrons la prochaine fois, dans la seconde partie de notre petite ballade au cœur des grèves tourangelles du XIXe siècle ; et je vous l’annonce, la suite sera tout aussi folichonne !

P.-S.

  • A. D. d’Indre-et-Loire, séries 10M, 1M et 4M