Dans mon bahut, depuis plusieurs années, nous utilisons le droit à l’heure d’information syndicale mensuelle. Je dirais que les trois quart du personnel y a participé au moins une fois, et bien un tiers de manière assidue. Et depuis plusieurs années, c’est toujours le « climat scolaire » qui revient régulièrement au cœur de nos échanges. Parce qu’effectivement, il est pesant.
Parce qu’il arrive trop souvent qu’un·e collègue sorte en larmes d’un cours qui s’est « mal passé », parce qu’il arrive trop souvent que la violence déborde des salles de classe ou des couloirs.
Parce qu’aussi, dans un lycée professionnel, les inégalités de genre, raciales, de classe sont flagrantes et qu’elles se traduisent violemment, pour les élèves, pour les personnels.
Depuis quelques temps, il arrive que ce soit si pesant que nous n’ayons pas d’autre choix que d’arrêter de travailler, même quelques heures seulement. Un débrayage. Pour marquer le coup, surtout pour échanger.
De tous ces débrayages, de ces heures d’info syndicales, de ces journées de grève aussi (parce qu’il y en a eu), il ne sort pas rien : un collectif de travail qui prend le temps de réfléchir à partir de ce qu’il vit réellement et concrètement ça reste ce qu’il y a de mieux.
Bien sûr ça n’est ni simple, ni « évident ». Et puis on s’est vite heurté à une réalité : oui il manque de personnel, adulte et formé, éducatif, d’accueil, d’entretien, de santé… Concrètement c’est par deux que les effectifs de vie scolaire ont été divisé depuis quinze ans.
Je peux en témoigner : Il y a 20 ans, j’ai commencé pion dans le lycée où je bosse aujourd’hui. Il y avait deux CPE, une aujourd’hui. Un·e deuxième CPE, deux postes de surveillants en plus, ça fait près de quatre ans qu’on le revendique dans mon établissement : et le Rectorat le sait parfaitement. Il en a reçu des pétitions, des courriers. Il y a eu des délégations, des manifestations, des cortèges et des tracts du lycée. Et pourtant, le Rectorat ne semble pas en mesurer l’urgence et la nécessité.
Autre exemple : il y a deux ans, départs de feu successifs dans des poubelles du hall. Pourquoi ? Parce que les collègues de l’entretien, précaires pour la plupart, n’étaient pas remplacées !
Épuisement, surcharge de travail, arrêts maladies… on en parle ?
Alors, on a gambergé collectivement et des idées on en a eu : construire un nouveau bâtiment, faire des aménagements d’espace, ouvrir des options culturelles et sportives, mettre en place une classe d’accueil pour nos élèves primo-arrivant·es, recruter les personnels manquants, permettre plus de dédoublement des effectifs classe pour favoriser le travail en groupe… et avoir des heures de concertation entre collègues, du temps pour justement renforcer le collectif de travail.
Pas de réponses des autorités administratives, ou alors si peu.
Par contre, des hochets sécuritaires, ah ça, on y a eu droit les années précédentes, et facilement ! Proposition de port de l’uniforme (« juste un t-shirt… »), caméras de vidéosurveillance dans les couloirs installées en douce pendant des congés (retirées aussi vite qu’elles étaient arrivées suite à la mobilisation), équipe mobile de sécurité « installée » à domicile.
C’est vrai que des collègues ont pu être séduit·es, et même adhérer à ces « solutions ». Mais pour d’autres il a toujours été clair qu’on ne construit pas une démarche éducative sur la défiance permanente vis-à-vis des élèves.
Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire quand ça va trop loin. Mais là, comme une sorte d’injonction contradictoire que l’institution se donnerait à elle-même, on assiste à des phénomènes ahurissants où la violence est parfois niée. Où un acte grave peut se retrouver minoré, mis de côté, parce qu’il ne faut pas « nuire à l’image » de l’établissement.
Là encore, on reste dans l’écume.
On ne prend pas à bras le corps le problème en choisissant de purement et simplement l’ignorer.
Il fallait bien un ciment managérial pour assumer ce paradoxe institutionnel : l’individualisation.
Depuis des années là aussi, on a droit à l’infantilisation des personnels, à la personnalisation de dysfonctionnements qui relèvent en réalité de l’organisation du travail (subit).
Et ça on peut le voir partout. Il y a moins d’un mois en animant une heure d’information syndicale dans un collège de l’agglomération d’Orléans, les mêmes mots : souffrances, pressions, intimidations. Les mêmes maux : abus et dénis hiérarchiques divers et variés.
Avec un même mode opératoire, récurent. Des personnels convoqués individuellement dans le bureau du chef : « ça c’est vous qui le dîtes », « vous êtes bien le/la seul·e à penser ça ! », « vos collègues ne se plaignent pas eux/elles ». Dans un métier où on peut vite s’isoler, c’est dur.
Mais c’est encore et toujours dans le collectif qu’on résiste le mieux, qu’on peut faire face. Délégations collectives, débrayages, heures d’info syndicale, tout utiliser pour rompre l’isolement face à des autorités hiérarchiques qui l’utilisent à escient, voir s’en délectent et créent les divisions.
Et puis mobiliser les outils que nous avons en matière de santé, sécurité et conditions de travail, tout imparfaits soient-ils. Là-dessus, il y a des ressources syndicales : https://www.sudeducation.org/-Et-voila-le-travail-.html par exemple.
Ce ne sont résolument pas les annonces gouvernementales, engluées dans leur obsession sécuritaire, qui résoudront quoi que ce soit. Le mal est bien plus profond. La véritable question reste quel service public d’éducation on veut, pour les personnels comme pour les élèves.
Parce que de ça aussi il faut parler : oui, nous voulons l’école pour toutes et tous. Le tri social, la violence institutionnelle à l’égard des enfants des classes populaires sont aussi des réalités. Si on veut une autre école, il faut toujours avoir pour but une autre société.
Théo Roumier, syndicaliste SUD éducation en Lycée professionnel
Ce texte a été publié sur le site de Questions de classe(s), le 5 novembre.