Le vendredi après-midi, on est allés fureter aux alentours de l’Encan, la salle qui accueille chaque année le grand raout du PS. Arrivés à proximité du site, on a hésité avec deux autres distractions organisées dans des lieux voisins. On a d’abord pensé visiter l’aquarium, mais on s’est laissé dire que le nombre de requins et de murènes y exposant leurs dentitions y serait bien moindre que chez les socialos. Cet argument nous a totalement convaincus quand on a croisé Jean-Vincent Placé le long du bâtiment. On a ensuite failli se laisser tenter par le challenge de voile des experts-comptables, mais les costards et les mocassins des membres du MJS [1] étaient plus classes. On a donc entrepris de rejoindre notre objectif initial.
A l’université d’été, on est surtout là pour défendre des idées...
En arrivant à l’Encan, on s’est retrouvé côte-à-côte avec la section Finistère du MJS. Deux préoccupations occupaient alors ces jeunes gens propres sur eux : comment planquer leurs bières pour pouvoir passer la sécu et pas faire trop prolo devant les caméras (elles finiront, pas encore vides, dans une poubelle), et comment être sûrs qu’ils seraient tous présents dans la bonne salle pour acclamer une copine à eux lorsque celle-ci poserait sa question lors d’un des débats de l’après-midi. Autant se mettre tout de suite dans l’ambiance : ici,évidemment, seules comptent les préoccupations hautement politiques. Qu’on se rassure toutefois : les jeunes socialistes sont parfois capables d’un comportement presque normal. Ainsi quelques instants plus tard, observions-nous les membres d’une autre section se livrer à un trafic de pass d’entrée.
On s’est ensuite dirigés vers l’entrée de la foire. Deux militants sont postés au début des barrières, puis deux autres à chaque portique de sécurité. On a passé les premiers pour lire les conditions d’accès placardées plus loin. Alors qu’on s’extasiait sur le coût du ticket (50 euros en prévente ou 60 sur place), on a assisté à notre première engueulade. Un type avait décidé de faire rentrer gratuitement deux jeunes apeurés qui étaient "l’avenir de la gauche" et qui, surtout, n’étaient pas à jour de leurs cotisations. Un membre du service d’ordre leur refusait l’accès en rappelant que lui avait payé son dû à la "fédé". Ils ont fini en se traitant mutuellement de soviétique et chacun est resté de son côté des barrières. Faut dire que l’ambiance générale semblait tendue. Une militante légèrement atterrée nous expliquera par exemple le fonctionnement du service d’ordre : des binômes regroupant un militant de la fédé locale bénévole et un de Solférino [2] payé. Ce dernier pouvait donc surveiller son petit camarade, au cas où celui-ci deviendrait "frondeur".
De l’usage massif et peu discret du policier en civil
C’est à ce moment précis que les militants de l’association Sauvons Nos Entreprises ont fait irruption, formant un cortège mêlant bonnets rouges et personnes en maillots de bain (supposées symboliser comment le gouvernement met "les entreprises à poil"). Ils ont un peu baladé leurs banderoles, certaines étant d’un mauvais goût particulièrement soigné. L’un d’eux a ensuite prononcé un discours totalement caricatural sur "la nécessité de baisser les charges patronales qui écrasent les petits patrons qui eux, contrairement aux patrons du MEDEF et du CAC40 aiment leurs employés" devant un public majoritairement composé de policiers en civil visiblement assez peu émus par cet exposé.
Il faut dire que des flics en civil, on en a quasiment vu autant que des militants socialistes. Les ténors du parti devant trouver que les uniformes bleus ne faisaient pas assez "gauche" et pouvaient troubler la beauté des images de BFM ou i>Télé, ceux-ci étaient quasiment invisibles. En revanche nous n’avions jamais vu une aussi grande concentration de policiers en civil. Ceci nous a permis d’apprécier à loisir la diversité de leurs tenues (du costard trois pièces au look baroudeur comprenant un exemplaire de Libération bien en évidence dans le filet du sac à dos) et leur art consommé du camouflage. Comme ils étaient secondés par un service d’ordre lui aussi conséquent et excellent dans le maniement de l’oreillette, c’est peu de dire que nous nous sommes sentis en sécurité. Cela avait au moins l’avantage d’être clair sur la vision du PS vis-à-vis du contrôle et de la surveillance. Et si d’aventure les civils n’auraient pas suffi à contenir d’éventuels mécontents, pas de problème : s’ils n’étaient pas visibles sur le site, les cars de CRS étaient stationnés en nombre à quelques centaines de mètres de l’Encan.
Peur de manquer une info ? Les grands reporters veillent !
Évidemment et particulièrement dans le contexte actuel, l’université d’été du PS attire la presse. Celle-ci, avide de comprendre dans les détails les brillantes idées qui animent le parti (à moins qu’elle ne soit plus intéressée par les querelles de personnes, celles-ci ayant au moins l’avantage d’être avérées) avait envoyé ses meilleurs éléments : des grands reporters aux méthodes imparables. Quand on est arrivé à l’Encan, on n’a pas eu de mal à les repérer : ils attendaient en grappe sur les marches situées en face de l’entrée des véhicules autorisés, micro ou caméra à la main, prêts à dégainer pour poser la question qui gêne. On a attendu cinq minutes à côté d’eux, pour voir.
Un monospace aux vitres fumées s’est avancé, le service d’ordre lui a ménagé une entrée entre les barrières : le top départ était donné. Tous les journalistes présents se sont rués sur le véhicule, nous démontrant qu’en plus d’avoir du flair les grands reporters ont une bonne pointe de vitesse. Ils espéraient sans doute un ministre, un frondeur médiatique ou, au pire, un secrétaire d’État. Pas de bol, ça devait être un député de l’Orne ou un sénateur des Deux-Sèvres : ils sont revenus reprendre leur place, le pied de micro bas et la mine défaite. Il y a un côté pathétique à voir des journalistes courir après la moindre alerte à la personne connue et se ruer sur la première voiture portant cocarde. On avait presque envie de leur souffler qu’à cent mètres de là des politiciens médiatiques se baladaient sur le port et qu’il suffisait d’aller à leur rencontre pour interroger une star. On s’est ravisés parce que voir les fabricants de soupe médiatique se donner à leur tour en spectacle nous faisait bien marrer. A en juger par l’attitude de certains, visiblement blasés, on ne doit d’ailleurs pas être les seuls à trouver que la poursuite de voiture est une discipline minable.
Le programme : parler religion avec Caroline Fourest et liberté de la presse avec Mathieu Pigasse
Il y a plus navrant que l’ambiance du lieu où, pour tout dire, on se sentait pas très à l’aise : le programme des festivités. L’université d’été 2014 du PS était intitulée « Réinventons-nous ! ». Un vaste projet. Les différents ateliers et échanges organisés permettent d’en saisir les véritables enjeux.
Pour débatte de religion (intitulé de l’échange : Regards croisés - République et religions), le parti socialiste a invité Gilles Kepel et Caroline Fourest [3]. Le premier est un politologue spécialiste de l’Islam, la seconde, ex-collaboratrice de Charlie Hebdo, est connue pour son islamophobie qu’elle tente de cacher sous un vernis laïque et féministe. Tout est dit : quand le PS parle de religion en 2014, il ne cause que d’Islam et le fait avec une invitée aux convictions particulières. On l’a bien compris, se réinventer, pour le PS, cela consiste à prolonger un tournant droitier entamé il y a plus de 30 ans mais qu’il convient aujourd’hui d’assumer de manière décomplexée. Aussi ne s’étonnera-t-on pas de voir un débat intitulé « La sécurité : une priorité de gauche » dont le résumé affirme que le « le procès en laxisme instruit par la droite » est aujourd’hui « une rengaine démodée ». Qui a vu le dispositif policier déployé à La Rochelle ne doute pas une seconde de cette affirmation.
Pour discuter de la liberté de la presse et de l’information, le PS a convié deux invités de marque : Edwy Plenel (fondateur de Médiapart) et Mathieu Pigasse. Ce dernier est présenté dans le programme comme « directeur général délégué de la banque Lazard et président du magazine Les Inrockuptibles ». On s’étonne naïvement que le PS oublie de préciser que ce monsieur contrôle, avec Pierre Bergé et Xavier Niel, le journal Le Monde depuis 2010 (la holding du trio s’appelle, sans ironie aucune, Le Monde Libre) et Le Nouvel Observateur depuis quelques mois... Il s’agit sans doute là d’un détail pour les organisateurs du débat. On imagine quand même que ce détail aura peut-être eu son importance quand Mathieu Pigasse aura eu à proposer sa réponse aux questions posées dans le résumé de l’échange : « L’information libre et non faussée existe-t-elle ? L’Information, libérée de ceux qui la financent ? ».
Le PS n’oublie pas ses promesses de campagne. Ainsi, un débat posait la question du délai sous lequel le vote des étrangers serait mis en place. Le résumé de l’échange, virulent, proclamait ainsi : « La droite a fait du droit de vote des étrangers un sujet de clivage et bloque toute initiative de réforme. C’est précisément ce qui en fait un combat essentiel que nous ne devons pas abandonner. Le droit de vote est facteur de rassemblement, c’est aussi un facteur d’inclusion démocratique pour leurs enfants, souvent français. C’est un point d’appui pour l’intégration laïque. Il ne faut pas reculer, tergiverser ou biaiser ! ». C’est curieux, on avait naïvement crû comprendre que la réforme portant sur le vote des étrangers ne voyait pas le jour parce que le PS ne se lançait pas dans la bataille, on se rassure en comprenant que c’est la faute de la droite. Et on espère que Valls, qui a exprimé plusieurs fois ses réticences vis-à-vis de cette réforme, a bien reçu le message de ses camarades. Dans le même esprit, on est heureux de constater que l’état d’esprit humaniste qui anime le PS n’est pas mort. Un débat affirme ainsi que pour « enrayer le cycle de la pauvreté », il faut « oser la fraternité ! ». On s’imagine déjà Macron et Valls combattre les difficultés des pauvres avec la même énergie qu’ils déploient pour combattre celles des riches et des patrons.
Au PS comme ailleurs, le champ des idées doit rencontrer celui des pratiques. Aussi, outre le planning des débats, ateliers et séances plénières, le programme nous permet de comprendre comment tout cela se met en pratique. On sera tout d’abord heureux de savoir que grâce à la boutique, il est possible de participer à la croissance française et donc à la relance du marché du travail. Il est ainsi aisé de se procurer T-Shirt, coques pour Iphone, clés USB, mugs ou boules à neige siglés du logo du parti. Il y en a pour tous les goûts. Le planning des séances de dédicace vaut aussi le coup d’œil puisqu’on y apprend qu’en fait Robert Hue existe encore et même qu’il a sorti récemment un bouquin. Enfin, cerise sur l’indigeste gâteau à l’eau de rose et caricature de la vanité et de la vacuité de la politique contemporaine : sachez que le PS organisait à La Rochelle un concours de selfies. On regrette encore de n’avoir pu entrer pour participer parce que franchement nos ganaches réjouies avec Cambadélis ou Le Foll en arrière-plan auraient remporté le prix à coup sûr.
Samedi, c’est barrage party !
Le samedi matin, on est revenus sur les lieux pour constater que les socialos avaient fini de totalement se barricader. La passerelle qui relie l’Encan au quai d’en face, franchissable la veille, était relevée et servait ni plus ni moins de pont-levis entre les socialistes assiégés et d’éventuels assaillants. Comme la veille, les flics en civil étaient partout. Mais ce matin-là leurs collègues en bleu étaient aussi très nombreux. A chaque entrée possible du site de l’université d’été les CRS montaient la garde avec le service d’ordre du PS. C’est un membre de celui-ci, visiblement désabusé, qui nous laissa passer cette première barrière. Il nous dit alors « allez-y, moi je ne vous ai pas vu, mais vous allez vous retrouvez coincés à la prochaine étape ». Il n’avait pas tort. Comme il était sympathique, on a poursuivi la conversation quelques instants. Quand on lui a demandé la raison de ce changement total de configuration policière, il nous a dit « il y a beaucoup plus d’élus qu’hier, Valls doit venir, et ils craignent qu’il y ait des problèmes qui viennent de l’intérieur ». On a un peu tiqué, il a répété la fin de sa phrase en haussant les épaules : oui, le PS a peur de ses propres militants. Donc il les flique, à fond. Une militante nous a raconté avoir passé 7 barrières et présenté autant de fois son sac en une demi-heure à l’intérieur du site, malgré une carte d’adhérente à jour et une participation bénévole à l’organisation de l’évènement.
Évidemment, les barrages de flics ne servaient pas qu’à fouiller les sacs des participants, ils étaient d’abord là pour éviter que d’éventuels empêcheurs de penser en rond viennent perturber la fête. Résultat garanti : les espaces qui bordent l’Encan, d’ordinaire bondés en cette période estivale, étaient déserts. Les touristes ne pouvant accéder jusque-là, les magasins de la zone avaient tiré le rideau, n’apportant par conséquent pas leur écot à l’entreprise gouvernementale visant à relancer la croissance.
Quant aux critiques de la politique menée par les socialistes au pouvoir, leur expression demeurait cantonnée à bonne distance de ceux-ci, sans doute pour ne pas écorcher leurs fragiles oreilles. Ils étaient pourtant nombreux à venir exposer différents griefs. Certains dont on ne s’est pas sentis très proches : défenseurs de la sécurité maritime, personnes exigeant la construction d’une nouvelle autoroute et mêmes crétins à bonnets rouges que la veille. D’autres qu’on a trouvé plus sympathiques : manifestants solidaires avec le peuple palestinien, opposants à la construction d’un incinérateur et militants CGT de tous secteurs. Le syndicat avait mobilisé environ 500 personnes pour protester contre l’austérité et rappeler au PS l’existence de quelques luttes en cours, notamment celle contre la réforme de l’UNEDIC. A quelques encablures des tristes débats du PS, les slogans et la musique qui résonnait là avaient quelque chose de rassurant. Et quand quelques jeunes loups des MJS, pleins de morgue, crurent bon de tancer les syndicalistes et de les appeler à faire preuve de « responsabilité » et à se joindre à une nécessaire « solidarité de la gauche », ils se rendirent vite compte de leur erreur de jugement et prirent alors la fuite.
A l’intérieur même du PS la contestation était étouffée. Comme nous le raconta une militante, le stand de Démocratie & Socialisme, un des courants les plus à gauche du parti, qui traite notamment Valls et Hollande de traîtres à longueur de tracts et en appelle à une alliance « rose, vert, rouge », présent le vendredi, a disparu le samedi matin, cédant sa place à un vendeur de Pineau des Charentes. Cela laisse songeur… Toutes les expressions divergeant de la ligne politique définie par le gouvernement étaient-elles donc exclues ? Toutes ? Non, il y avait bien une exception à cette mise à l’écart systématique. Et elle venait d’un espace où nous ne l’attendions pas. Une seule organisation était ainsi autorisée à venir poser son stand et distribuer ses tracts à l’intérieur de l’enceinte barricadée : Solidarité et Progrès (SP), le parti complotiste de Jacques Cheminade. Avec une telle démonstration d’ouverture politique, il faudrait être de fort mauvaise foi pour taxer le parti socialiste d’incapacité à entendre la critique.
Finalement, on a bu un Pineau à la carriole de la CGT et on a décidé de se trouver un endroit plus chaleureux pour le reste de la journée.
Contrairement au MEDEF, nous ne sommes pas allés acclamer Valls
Le dimanche matin, l’entrée devait être libre pour venir écouter Manuel Valls. Malheureusement (ou pas) on ne s’est pas levés à temps et on a décidé de profiter du soleil pour faire ce qu’on était venu faire en Charentes Maritimes : prendre des vacances. En se baladant à quelques kilomètres de La Rochelle, on est tombé sur une flèche nous proposant de rejoindre Le Bleu Marine. Il s’agissait d’un camping mais on peut craindre que dans 3 ans la distance entre bleu marine et parti socialiste soit encore moindre...
Flotsam et Jetsam