Occupation du Grand Théâtre : le prix Pulitzer pour La Nouvelle République ?

Quelle mouche a donc piqué notre « Nounou » ? Après des années de complaisance à l’égard des différentes mandatures locales et des lustres de cécité envers certaines de leurs turpitudes, La Nouvelle République vient brutalement de siffler la fin de la récréation… Edwy Plenel, Fabrice Arfi et autres Denis Robert, faites place, ténors du journalisme d’investigation !

Dans son édition du 3 avril 2021, le journal fondé à la libération par Jean Meunier s’inquiète subitement de l’utilisation des fonds publics et titre « L’occupation du Grand Théâtre coûte 5000 € par semaine ». Sacrebleu ! Ça ne paierait peut-être pas un nouveau message de design sonore pour notre tramway, mais c’est tout de même une coquette somme pour surveiller une poignée de saltimbanques squattant un monument historique !

D’ordinaire, le journal fait mine de tendre le micro à toutes les parties en présence, même si le dernier mot revient souvent à la municipalité, la métropole ou le département (rayer la mention inutile). On appelle ça « le contradictoire »… Mais ici, la journaliste n’a pas pris cette inutile précaution : l’article permet surtout à monsieur Laurent Campellone, directeur du Grand Théâtre, de mettre la pression sur son principal bailleur de fonds, c’est-à-dire la municipalité tourangelle. Passons sur son argumentaire, son problème s’entend : est-ce à sa seule structure de supporter le coût de son occupation quand d’autres lieux culturels, dépendant eux aussi de subsides municipales, ne sont pas impactés par le mouvement ? La parole donnée à la mairie tourangelle a pour une fois été si sommaire que l’adjoint à la Culture monsieur Christophe Dupin a même dû donner l’information sur Facebook : le Grand Théâtre facturera le gardiennage à la ville de Tours, laquelle prendra en charge l’intégralité de la douloureuse.

Mais les grands absents de cet article bâclé, réducteur et particulièrement racoleur sont les principaux intéressés : les occupants du Grand Théâtre et la lutte qu’ils sont bien seuls à mener… Les revendications portent d’abord et avant tout sur l’élargissement des mesures de protection sociale et l’abrogation du projet de réforme de l’assurance chômage. Cette dernière prévoit un durcissement des conditions d’indemnisation des chômeurs et une réduction des indemnités. Elle va concerner plus d’un million de personnes, alors même que tous les indicateurs sociaux sont au rouge : le pays compte désormais 12 millions de pauvres (ils n’étaient « que » 9 millions quand monsieur Emmanuel Macron paradait devant la pyramide du Louvre le soir de son élection), les files d’attentes des Restaurants du Cœur ont reçu le renfort d’étudiants déprimés et de gens ne s’imaginant pas un jour sans travail…

Quand on veut regarder une dépense, on doit avoir l’honnêteté de considérer son utilité, mais aussi ce qu’elle (r)apporte. Si La Nouvelle République tient absolument à traquer les dépenses, suggérons-lui de se pencher d’abord sur les coûts sociaux des mesures gouvernementales… Peut-être alors reconsidérera-t-elle la pertinence de l’occupation, la modicité de son coût au regard de ce qu’elle combat et traitera-t-elle avec moins de mépris ceux qui, depuis plus d’un mois, ont mis leurs vies personnelles en sommeil pour s’opposer à une politique antisociale.

Jean-Christophe Tabuy

Illustration piochée sur la page Facebook de l’occupation.