Cher M. Vendrix,
Tristesse et incompréhension. Voilà bien deux sentiments que les étudiants qui militent depuis maintenant quatre mois doivent bien connaître. Tristesse de voir l’ensemble de nos acquis sociaux partir dans les poubelles de l’histoire ; incompréhension devant la grande passivité de celles et ceux qui ont le devoir moral de s’en indigner. Tristesse de devoir s’en remettre à une bombe de peinture quand on en arrive au 49-3, à l’état d’urgence et au contrôle des manifestations ; incompréhension de voir une répression aussi féroce se perpétrer dans l’indifférence la plus totale.
Brecht écrivait :
« Nos défaites, voyez-vous,
ne prouvent rien,
sinon que nous sommes trop peu nombreux
à lutter contre l’infamie,
et nous attendons de ceux qui regardent
qu’ils éprouvent au moins quelque honte. »
Avez-vous honte, M. Vendrix ?
Les locaux ont été gravement dégradés ? La belle affaire ! Il ne me semble pas vous avoir entendu lorsque qu’on dégradait gravement le climat social. Vous vous préoccupez, aujourd’hui, de quelques murs blancs, mais de vos jeunes, vous en inquiétez-vous ? N’est-ce pas là, pourtant, le rôle de tout éducateur ? Comment comprendre que celles et ceux qui aujourd’hui s’offusquent de 108 tags aient laissé les étudiants et les lycéens seuls si longtemps ? 120 jours de silence, c’est long, M. Vendrix. Et pendant que vous comptez les tags, c’est l’avenir de milliers de jeunes qui se trouve hypothéqué. Vous comprendrez alors que ces jeunes aient pu décider que le silence n’était plus une solution. A défaut d’inscriptions, il y a, dehors, toute une jeunesse qui cherche à effacer une tache bien plus indélébile : cette fichue loi El Khomri.
Combien de chercheurs ou d’enseignants sont pères ? mères ? grand-pères ou grand-mères ? Cette loi va toucher l’ensemble des travailleurs en France. Où sont ces experts qui interviennent pour tout mais surtout pour rien, où sont les historiens pour rappeler que l’abandon du travail des enfants est un devoir absolu, où sont les sociologues pour expliquer les conséquences d’une société poussée vers la performance individuelle, où sont les psychologues pour montrer combien le rôle du travail est concomitant à la question du bien ou du mal-être ? Les juristes n’ont-ils rien à dire ? Les économistes n’ont-ils rien à proposer ? [1]. Et vous osez prétendre que cette loi ne concerne pas l’université ? Mais elle questionne chacun de nous sur la place pour nous voulons accorder à l’humain dans notre société ! N’est-ce pas là le rôle des sciences humaines ?
Vous parlez, enfin, de consensus ? Quel consensus est envisageable quand un gouvernement, abandonné par la majorité de la population, cherche à appliquer, par tous les moyens possibles, une loi rejetée par plus des deux tiers des français ? Il y aurait donc deux types de consensus, celui qui dicte aux étudiants quoi faire et où le faire, et celui qui permet aux représentants du peuple de n’en faire qu’à leurs têtes ? Où est la Justice là-dedans, M. Vendrix ? Ne jetez pas la pierre à des jeunes qui ne font qu’appliquer ce qu’ils éprouvent quotidiennement.
Enfin, quelle faiblesse de vue ! Si cette loi passe, ce n’est pas une université qui sera pénalisée mais bien les générations futures ! Voilà le défi qu’il nous faut relever. C’est faire preuve d’un manque de lucidité cruel que d’engager ainsi l’avenir de tant de personnes dans le silence et en fermant les yeux. Ne condamnez pas le courage qui vous fait défaut, et souffrez, M. Vendrix, que si vous vous cachez derrière votre bureau, la jeunesse, elle, est débout en pleine lumière — et en marche !