Stéphane Le Foll, le château de Chambord et Paul-Louis Courier

« Ce sont là, mes amis, quelques inconvénients du voisinage des grands. Y passer est fâcheux, y demeurer est impossible, à qui du moins ne veut être ni valet ni mendiant. »

Ce n’est pas la première fois qu’on évoque dans Lundimatin le précieux Paul-Louis Courier [1]. Je dis précieux non pas au sens de ridicule, mais bien aux sens de « rare » et « recherché ». En effet, notre histoire littéraire n’abonde guère en pamphlets, et encore moins en fulminations aussi élégantes que celles de Paul-Louis, vigneron de La Chavonnière, à Véretz, Indre-et-Loire. Il arrive parfois que ces proses incisives, et qui datent de presque deux siècles, s’appliquent, merveille ! à notre actualité contemporaine pourtant si… prosaïque. Ainsi avons-nous appris ces derniers jours que les ministres de l’agriculture de l’Union européenne, penchés sur le triste sort de celles et ceux qu’on n’ose plus appeler paysans tant leur activité tient désormais du travail à la chaîne, avaient décidé de se réunir afin de discuter une énième fois prix, subventions, compensations, quotas – bref de ce qui, à l’évidence, constitue le quotidien des campagnes contemporaines.

Or donc, voici que cet aréopage n’a rien trouvé de mieux, comme cadre de ses cogitations (on a failli écrire : « agitations », tant ce genre de réunion semble ne servir à rien d’autre qu’à gesticuler – enfin, à faire de la com’, selon le langage en vigueur), que… le château de Chambord ! Si. Vous avez bien lu. « C’est d’une arrogance et d’une stupidité sans nom », a commenté un représentant de la Coordination rurale, en quoi, une fois n’est pas coutume, nous ne lui donnerons pas tort.

Les bras nous en tombent, comme ils tombèrent à Paul-Louis lorsqu’en pleine Restauration, un courtisan plus zélé que les autres eut l’idée brillante d’acheter ce même château de Chambord, alors en vente suite à quelques embardées politiques qu’avait connues la France depuis 1789. Oui mais l’acheter pourquoi ? Eh bien, tout simplement pour l’offrir en bienvenue au petit duc de Bordeaux [2] qui venait, peuchère, de se donner la peine de naître, prince héritier de la couronne dont la Providence gratifiait le royaume. Oui mais l’acheter avec quel argent ? Eh bien, avec celui de ses dévoués sujets, pardi ! Et de lancer une souscription à laquelle pouvaient contribuer particuliers et – c’est ici que le bât blessa Paul-Louis Courier – les communes ! À quelque chose malheur est bon : cette souscription « d’une arrogance et d’une stupidité sans nom », du moins aux yeux de quelques rebelles comme Paul-Louis, nous valut l’un de ses meilleurs pamphlets : le « Simple discours [3] », adressé au conseil municipal de la commune de Véretz.

En voici le début :

« Si nous avions de l’argent à n’en savoir que faire, toutes nos dettes payées, nos chemins réparés, nos pauvres soulagés, notre église d’abord (car Dieu passe avant tout) pavée, couverte et vitrée, s’il nous restait quelque somme à pouvoir dépenser hors de cette commune, je crois, mes amis, qu’il faudrait contribuer, avec nos voisins, à refaire le pont Saint-Avertin, qui, nous abrégeant d’une grande lieue le transport d’ici à Tours, par le prompt débit de nos denrées, augmenterait le prix et le produit des terres dans tous ces environs ; c’est là, je crois, le meilleur emploi à faire de notre superflu, lorsque nous en aurons. Mais d’acheter Chambord pour le duc de Bordeaux, je n’en suis pas d’avis, et ne le voudrais pas quand nous aurions de quoi, l’affaire étant, selon moi, mauvaise pour lui, pour nous et pour Chambord. Vous allez comprendre, j’espère, si vous m’écoutez ; il est fête, et nous avons le temps de causer. »

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P.-S.

Du côté de La Rotative et de Paul Louis Courier, lire la Pétition pour des villageois qu’on empêche de danser

Notes

[2Pourquoi duc de Bordeaux ? Ce titre lui fut octroyé dès sa naissance par son grand-oncle Louis XVIII, alors roi de France, car la ville de Bordeaux avait été la première à se rallier aux Bourbons en 1814. Ces Girondins, décidément… Le duc fut par la suite plus connu sous le nom de comte de Chambord, grâce à certaine souscription, avant d’être désigné, à la mort de sous le nom d’Henri V, prétendant au trône de France jusqu’à sa mort en 1883.

[3Titre complet : Simple discours de Paul-Louis, vigneron de La Chavonnière, aux membres du conseil de la commune de Véretz, département d’Indre-et-Loire, à l’occasion d’une souscription proposée par S. E. le ministre de l’Intérieur pour l’acquisition de Chambord (1821).