Les journaflics en action : retour sur un mois de répression médiatique à Toulouse

Analyse du traitement médiatique accordé par la presse locale et nationale à différentes manifestations à Toulouse durant le mois de novembre 2014, initialement publiée sur iaata.info.

Mercredi 5 novembre 2014, Toulouse. 400 tracteurs débarquent de l’Aveyron, du Tarn et des départements voisins à l’appel de la FNSEA et des Jeunes Agriculteurs. 4 000 manifestants entendent bien faire entendre l’adage devenu fameux selon lequel « l’environnement, ça commence à bien faire. » Après avoir bloqué l’A64 en direction de Toulouse et installé un barrage filtrant sur l’échangeur du périphérique, les agriculteurs déversent méthodiquement 17 tonnes de fumier en plusieurs points stratégiques du centre-ville, y compris dans la station de métro Jean-Jaurès, avant d’y mettre le feu. Le local d’EELV est saccagé, des ragondins vivants lâchés dans les rues, des centaines d’hectolitres de lisier répandus, des dizaines de kilomètres d’embouteillages provoqués.

Trois jours plus tard, samedi 8 novembre, même ville. Un millier de jeunes manifestant-e-s se rassemblent, après qu’un toulousain âgé de 21 ans payait de sa vie son combat pour l’écologie. Muni-e-s de leurs deux mains et de leurs deux pieds, ceux/celles-là observent une longue minute de silence avant de se mettre en route vers les allées Jean-Jaurès, où un impressionnant dispositif policier et militaire les attend.

La police escorta la colère populaire du 5 novembre avec une remarquable mansuétude. En effet, les forces de l’ordre se contentèrent de faire respecter le tracé déclaré en préfecture, en assistant placidement aux exactions qui devaient pourtant coûter des centaines de milliers d’euros à la collectivité. Aucune interpellation ne fut effectuée.

Il en alla autrement pour le rassemblement du 8, déclaré par les manifestants mais interdit par le préfet. Devant la menace que représentait une foule assise par terre scandant des slogans anarcho-autonomes tels que « pacifistes, pacifistes », la police ne put contenir son émotion. Après les sommations d’usage, les forces de l’ordre dispersaient les manifestants à coup de gaz lacrymogène, bombes assourdissantes et matraques… manifestants qui, et là réside toute l’originalité de cette intervention de « maintien de l’ordre », étaient enfermés par des cordons ininterrompus de CRS et GM bloquant toutes les voies de sortie possibles. Combinant des concepts recyclés du type punition collective avec des idées plus innovantes du genre garde à vue de masse à ciel ouvert, les flics se déchainaient pendant plusieurs heures et procédaient à 21 interpellations sous l’œil bienveillant d’un hélicoptère, mais aussi d’un canon à eau, que les toulousain-e-s découvraient pour la première fois.

Deux poids deux mesures

Quelle couverture pensez-vous que les médias allaient réserver à ces deux évènements notables qui secouaient la capitale du Sud Ouest dans la même semaine ? Leur étude comparée mériterait à elle seule de faire l’objet d’un cours de sociologie.

Bien qu’il y eut certaines voix discordantes et rabat-joie pour déplorer que les agriculteurs avaient disséminés pneus et autres plaques d’éverite (contenant de l’amiante) dans leurs tas de fumier, ce qui, contrairement à d’autres années plus fastes, rendait inutilisable ce dernier par les citadins-jardiniers, personne ne trouvait à redire que l’on puisse littéralement recouvrir la quatrième ville de France de merde en toute impunité – le journal local La Dépêche du Midi qualifiant au contraire ces actions de « surprise très visuelle ». Noël avant l’heure !

Les agriculteurs ont « marqué leur passage », « se sont distingués par des actions spectaculaires », et, tenez-vous bien, ont « réussi leur double pari. Celui, d’abord, d’avoir défilé dans le calme, sans provocation ni affrontement avec les forces de l’ordre. Mais également celui de s’en être pris aux lieux symboliques de leur lutte, l’administration et les organismes de gestion de l’eau. » Quel panache !

Et de là à croire qu’il y a un lien de causalité entre l’intervention des forces de l’ordre et la production de violence, ou qu’il n’y en a aucun entre l’ampleur des dégradations commises et la réponse des forces de l’ordre, il y a un pas qu’aucun torche-cul local ou national ne s’est risqué à faire.

La manifestation du 8, qui semblait pourtant relever de motifs plus nobles que la simple défense d’intérêts corporatistes, à savoir le meurtre d’un jeune manifestant dans le cadre de la construction illégale et corrompue d’un barrage écologiquement catastrophique, ne se vit hélas pas gratifier d’un tel enthousiasme.

Dans un article d’anthologie, La Dépêche, semblant ignorer la force comique d’une telle auto-caricature, évoque d’emblée « des policiers et des gendarmes qui courent dans tous les sens après une menace presque fantôme mais malheureusement très active. » Alors que certains ne croient que ce qu’ils voient, d’autres ne voient que ce qu’ils croient !

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