Les grands équipements sportifs en question

Alors que la France s’apprête à accueillir l’Euro 2016 de football, pendant lequel Tours fera office de ville d’accueil pour l’équipe de République tchèque, réflexion sur les stades, « où l’ordre social se donne à voir et se reproduit en paraissant se dissoudre ». Par Jean-Pierre Augustin, géographe, qui donnera une conférence sur ce thème à Tours le 3 février.

Mais pourquoi depuis le début du XXe siècle les sociétés contemporaines construisent-elles des stades de plus en plus nombreux et de plus en plus grands ? On estime à plusieurs milliers ceux de plus de 20 000 places, à quelques centaines ceux de plus de 60 000 places déjà édifiés et plusieurs dizaines de stades de plus de 30 000 places sont en construction. Ces stades rassemblent des dizaines de millions de spectateurs chaque semaine dans les quatre coins du monde. Ainsi, en à peine plus d’un siècle, ils ont remplacé les cathédrales du Moyen-Age comme espace de mobilisation des foules. Au-delà des chiffres, ce phénomène récent et massif mérite attention, d’autant que les études qui leur sont consacrées éludent souvent la question du sens et de la fonction qu’ils jouent en limitant les propos à l’œuvre architecturale ou à leur place dans l’urbanisme des villes.

Quatre interprétations majeures

A la question « à quoi servent les stades ? », le sens commun répond spontanément : « mais au spectacle bien sûr, au partage des valeurs du sport et à l’émotion qu’il permet ! ». La réponse ne satisfait pas les sciences sociales, et les analyses contradictoires concernant le spectacle sportif et le sens des stades peuvent être résumées à quatre interprétations majeures.

La célébration d’un lieu de spectacle

La première à s’imposer est proche du discours de célébration qui a souvent rassemblé les propagandistes du sport et les promoteurs privés, puis publics, des grands équipements sportifs. Les uns et les autres valorisent le spectacle en considérant qu’il peut favoriser la pratique et que le stade permet de convertir le spectateur en pratiquant. Les textes se multiplient dans la presse et dans des essais présentant le spectateur comme l’embryon du sportif. On a là un discours incantatoire, encore dominant, malgré le démenti des faits, même si quelques résultats très médiatisés ont un effet d’entraînement à la pratique. Dès le début du XXe siècle, certains tenants de ce discours déchantent cependant. Coubertin avait perçu le danger, et ses textes, repris par ses disciples, dénoncent la massification du spectacle sportif qui ne tient pas ses promesses. La Revue Olympique, organe officiel du Comité olympique français, publie une série d’articles affirmant que le stade est un lieu de dégénérescence de la sociabilité sportive ; l’un d’entre eux, daté de septembre 1910 affirme :

« Nous sommes bien obligés de le répéter, le spectateur sportif est devenu une plaie. Il abaisse le niveau moral du sportman, lui inspire des préoccupations étrangères à l’acte qu’il accomplit et des ambitions qui ne sont point nobles. Or quand on a construit un stade avec vingt mille places dedans, il faut bien l’utiliser ».

Les stades se multiplient donc car les enjeux économiques et politiques, et les discours de célébration restent dominants, même si d’autres analyses, plus politiques et philosophiques, dénoncent ce qui se cache derrière le rassemblement des masses sportives.

La critique radicale des stades « appareil idéologiques d’Etat »

Une deuxième interprétation présente le sport spectacle comme un « appareil idéologique d’Etat » (AIE) en considérant que, loin d’une neutralité de façade, il puise sa force dans une compétition féroce, et utilise le stade comme « réceptacle dans lequel s’accumulent les ferments de la violence » (Perelman, 2010) La thèse soutenue est claire : les stades s’inscrivent dans des projets politiques fonctionnant dans tous les systèmes, qu’ils soient libéraux ou bureaucratiques, développés ou sous-développés ; dans les pays totalitaires, le sport est directement intégré dans les rouages de l’Etat, alors que dans les pays d’économie capitaliste, sa mercantilisation correspond à la stratégie des entreprises et à la logique du profit, qui reste le principal moteur de l’évolution du sport spectacle. Ce courant de pensée critique autour du thème du sport capitaliste occupe en France une place non négligeable en raison des travaux d’un groupe de militants chercheurs et notamment des écrits de Jean-Marie Brohm et Marc Perelman autour de la revue Quel corps ?, puis dans une série d’ouvrages sans cesse renouvelés. Dans cette perspective, comme le note Marc Perelman,

« le stade est devenu une puissance visuelle ostensible magnétisant les foules fascinées. La rigueur de sa géométrie en anneau participe du façonnement de la masse qui clame sa soumission à l’ordre de la compétition »

Le stade lieu de violence pacifiée

Une troisième interprétation est liée aux travaux des chercheurs du Centre d’études, de recherche et de formation institutionnelle (CERFI) et ceux de Norbert Elias. Pour les premiers, dans le numéro 43 de la revue Recherches d’avril 1980 l’article d’Alain Ehrenberg « Aimez-vous les stades ? », explique clairement que « le sport est un moyen de fabriquer de la sociabilité : (…) la compétition concrétise l’utopie d’une guerre rêvée dans une société pacifiée dans ses moindres manifestations agressives ». Pour l’auteur, cette dérive pacifique de la mobilisation trouve sa justification dans le stade, dès lors « le problème n’est plus d’empêcher le désordre, mais de calculer les limites du trouble, d’en indiquer les limites de tolérabilité ». Cette interprétation explique la manière de faire du stade un monument tout en sélectionnant et répartissant les spectateurs afin d’éviter les affrontements. Les travaux du CERFI peuvent être rapprochés de ceux de Norbert Elias sur la "sportivation" dans le processus de civilisation dont l’intérêt principal est de présenter une réflexion sur une longue durée dans laquelle les pratiques sportives et les stades sont au centre du modèle de compréhension. L’auteur souligne que le sport entraîne un contrôle progressif de la violence en limitant les affrontements et en interdisant la mise en jeu de la vie. Sa démonstration est fondée sur le dévoilement d’une double fonction du sport permettant, d’une part, la libération des pulsions et des tensions dans les lieux scénographiques que sont les stades et, d’autre part, la régulation des pratiques par des codes, des règles, amenant à rejeter la violence la plus extrême. D’où l’idée « d’excitement » pour les pratiquants (Elias et Dunning, 1994), comme pour les spectateurs, qui s’affrontent dans des compétitions contrôlées. Pour l’auteur, le sport et le stade qui le met en spectacle sont des éléments essentiels dans l’histoire des codifications de la violence sur une longue durée.

Le stade, miroir des distinctions sociales

Une quatrième approche en terme de sport-distinction est fortement influencée par les travaux de Pierre Bourdieu qui considère le sport comme un champ d’analyse où la situation des acteurs dans l’espace des positions sociales est déterminante (Bourdieu, 1978, 1979). Partant du rapport entre l’offre et la demande sociales, il pose la question des motivations à la pratique et au spectacle sportif en insistant sur le fait que le sport participe aux compétitions entre les fractions de classe ; l’imposition de nouvelles valeurs et de nouvelles pratiques permet en particulier la valorisation des fractions de la classe dominante. Le stade se présente comme une carte de la ville en réduction (Bromberger, 1989) : les tribunes d’honneur sont occupées par les classes aisées, les loges par les dirigeants d’entreprises et les virages par les classes populaires et les jeunes. Chaque acteur social s’inscrit dans le champ des pratiques organisées en fonction d’un rapport au corps qui est déterminé par sa position sociale, y compris sa position dans les rapports sexuels de classe. Des travaux se rapportant aux Gender studies montrent que le stade reste un lieu presque essentiellement masculin qui impose l’image des champions amplifiant la conception biologique et naturaliste présentant l’homme comme l’être le plus fort. En instituant la séparation des sexes dans presque toutes les activités codifiées, il conforte cette suprématie par des allégories, c’est-à-dire la représentation d’idées par des images qui se répètent en boucle sur la scène médiatique. Les stades fonctionnent comme une caisse de résonnance et un amplificateur d’une conception biologique de la nature humaine et, si le sport est devenu un « genre commun », il reste un opérateur hiérarchique du genre.

Les études, les critiques et les débats n’ont pas empêché la multiplication des stades et il conviendrait de poursuivre ces réflexions trop courtes, mais les stades sont là, résultant d’une histoire architecturale complexe et spécifique qui mérite aussi attention.

Des modèles architecturaux porteurs de sens

Au-delà des interprétations sur le rôle des stades, l’histoire des formes architecturales qui se sont succédé offre une lecture illustrant leurs différentes fonctions. Les modèles antiques restent d’abord la référence, puis les stades se libèrent de cette emprise pour valoriser le spectacle, et dans la période récente s’inscrivent dans des projets urbains.

L’influence des modèles antiques

Lorsque le sport moderne s’instaure en Occident au début du XXe siècle et que les stades s’édifient, les sources d’inspiration sont largement fondées sur les modèles de la Grèce et de Rome. A Olympie, la piste mesure 192 mètres et les talus situés de chaque côté permettent aux spectateurs de suivre les épreuves. La première transformation fonctionnelle s’opère avec la création de l’hippodrome grec, puis du cirque romain. Dans ce cas, le lieu n’est plus constitué par une seule ligne droite, mais par une piste semi-circulaire formée de deux lignes droites distinctes jointes par deux virages. Les architectes romains remplacent les talus de terre aménagés de part et d’autre de la piste par des murs de pierre entre lesquels ils organisent des arches, des escaliers et des déambulatoires. Le stade devient moins linéaire, plus elliptique. Le modèle est alors celui du Colysée où les gradins sont supportés par des poteaux et des voûtes formant un ensemble monumental inscrit dans la ville. Ce bâtiment, qui n’est pas encore un stade, construit de pierres et de briques, apparaît comme puissamment enraciné dans le sol ; la verticalité des murs et leur élévation permettent d’assurer le maximum de visibilité à un large public ; il peut accueillir 87 000 spectateurs assis et 16 000 debout dans des travées et gradins numérotés.

Les stades édifiés au début du XXe siècle sont fortement inspirés de ces modèles anciens, et de Los Angeles à Barcelone, de Venise à Rome, de Lyon à Bordeaux, les statues, linteaux et cariatides s’inscrivent dans la composition des ensembles construits aux centres des villes. A côté de la cathédrale, de l’hôtel de ville, de la gare ou de l’opéra, les enceintes sportives s’imposent comme des monuments voulant symboliser l’hygiène, la santé et la morale. L’utilisation de nouveaux matériaux comme le béton et l’acier permettent des avancées techniques tout en conservant les fonctions symboliques d’ordre et de puissance. Le complexe du Reichssportfeld construit, en 1936, à Berlin par l’architecte W. Marck est, à ce niveau, exemplaire avec ses façades néo-classiques, ses dégagements et ses gradins qui permettent à la foule de suivre les manifestations sportives tout en prêtant attention aux tribunes officielles où se rassemblent les représentants du pouvoir politique. Après la seconde guerre mondiale, les pays de l’Est reprennent les thématiques des grands stades symboliques du pouvoir et de l’ordre. Celui de Moscou, construit au début des années cinquante, réutilisé pour les Jeux Olympiques de 1980, s’inscrit dans ce projet.

Les stades se libèrent de l’emprise du politique

Progressivement, de nouvelles tendances apparaissent. Elles libèrent les lieux sportifs de l’emprise politique et favorisent une vocation plus spécifiquement sportive. Le sport devient un événement en lui-même et se détache en partie des liens du pouvoir qui l’ont souvent utilisé et asservi jusque-là. Ce sont les pays anglo-saxons qui placent les stades en marge du terrain idéologique. Les Britanniques ont, les premiers, abandonné les centres villes pour installer les stades dans les banlieues où ils prennent place dans le paysage industriel et s’intègrent aux réalités quotidiennes. Les conceptions se modifient avec l’utilisation de matériaux plus légers, les travées de béton s’allègent, les ossatures s’amincissent, les supports métalliques se multiplient et les surplombs des tribunes s’agrandissent. Ces nouvelles enceintes de l’ère industrielle sont plus indépendantes des visées totalitaires.

Aux Etats-Unis, ce sont les universités qui édifient les premiers stades. Sur la côte Est, celle d’Harvard construit dès 1903 un stade de 38 000 places à partir de structures métalliques. Durant l’Entre-deux-guerres, les universités de Standford, du Tennessee, de l’Ohio, de l’Oklahoma et une dizaine de campus, dont ceux de Californie, suivent le mouvement. Après 1950, la généralisation du sport professionnel, la multiplication des ligues et des franchises favorisent la construction de nouveaux édifices privés. Le nombre de stades de plus de 20 000 places passe d’une vingtaine en 1920 à 130 en 1954 et à plus de 400 en 2014. La maîtrise de matériaux comme la fibre de verre favorise l’émergence de nouveaux concepts de stades qui s’affirment d’abord au sud des Etats-Unis. A Houston, l’Astrodome, inauguré en 1965, est le premier d’une génération qui propose une polyvalence, une sonorisation et une climatisation ; la nouveauté vient surtout de la couverture complète du stade par un toit translucide formé de milliers de plaques de plastique qui protègent les 80000 spectateurs des intempéries. Dans le même esprit, la Nouvelle Orléans ouvre le Superdome, Détroit le Silverdome, Seattle le Kingdome, Syracuse le Carriedome, Minneapolis le Métrodome, Indianapolis le Hooserdome. Le Skydome de Toronto représente le modèle le plus élaboré disposant d’un toit ouvrable en 20 minutes, de 60 000 places assises et d’un hôtel intégré dont 70 suites donnent directement sur l’aire de jeu. La tendance vers des stades couverts gagne le Japon qui édifie le Tokyodome, mais est moins forte en Europe où les questions de sécurité et de confort ont déterminé la réorganisation de nombreuses enceintes. La construction du stade de Munich pour les Jeux Olympiques de 1972 illustre la volonté du gouvernement allemand d’inverser l’image des Jeux de Berlin en proposant un projet aérien en forme de conque disposant d’une structure tendue sur câbles et flèches métalliques dessinée par Frei Otto. On pourrait multiplier les exemples en rappelant comment chaque Mondial de football, mais aussi les Coupes d’Euro-foot ou les Coupes d’Afrique sont des occasions de nouvelles prouesses architecturales, mais ce sont les JO qui réalisent les stades les plus innovants comme à Pékin en 2008, à Londres en 2012 ou à Rio en 2018.

L’intégration des stades dans la ville  

Dans les perspectives urbanistiques les plus récentes, le stade n’est pas seulement une prouesse architecturale, mais s’inscrit dans un projet urbain, ou mieux encore, dans un projet de ville. Il doit accompagner la valorisation d’un vaste secteur en favorisant les activités économiques, en améliorant les transports, en s’ouvrant sur des espaces publics et en tenant compte des exigences du développement durable. Les stades construits pour l’Euro-foot 2016 en France, comme ceux d’autres grandes manifestations, tentent de s’intégrer dans ces tendances et ces exigences. Mais les promoteurs, pour des raisons économiques et sociétales, négligent souvent la diversification des publics : l’offre proposée n’est pas assez susceptible de favoriser le mélange social, d’attirer d’autres classes d’âge et une plus grande diversité des sexes. On est loin du compte, et les stades restent des lieux de masculinité renforçant les effets de genre et sont trop peu accessibles aux classes populaires. Comment mieux intégrer les stades dans la ville en utilisant leur puissance symbolique pour en faire vraiment des lieux d’urbanité, de mélange social, de célébration pacifiée où les processus emblématiques d’identification communautaire puissent s’affirmer dans des limites tolérables ? Autant de questions faciles à poser et de réponses complexes à imaginer en raison des tensions multiples entre le local et le global, l’autonomie et l’hétéronomie, le public et le privé, le gouvernement et la gouvernance des lieux ; ces dernières tensions alimentent des débats récurrents sur le financement des stades et leur gestion. Si l’on admet que la ville et ses équipements ne sont pas seulement des faits déjà là, mais des réalités en construction, il convient de poursuivre les recherches et les expérimentations dans une perspective critique et constructive dévoilant les enjeux sociaux, économiques et politiques, et imaginant de nouvelles formes d’actions collectives.

Les stades, hauts-lieux de dramaturgie et de récits énonciateurs

Un parcours dans les interprétations du rôle des stades et de leurs modèles architecturaux fournit des éléments divers et complexifie la réponse à donner à la question : A quoi servent les stades ? Il n’y a pas de réponses simples, chaque interprétation détient une part de vérité et chaque modèle dévoile la complexité du rôle qu’ils jouent dans les sociétés contemporaines. En déplaçant le curseur vers une vision plus anthropologique, il est possible de souligner que ces hauts-lieux de rassemblement et d’émotion participent d’une dramaturgie mythologique et valorisent les récits d’énonciation nécessaires à toute société organisée.

Des hauts-lieux de célébration

Les sociétés ont besoin de lieux de célébration et les stades contemporains, résultant de constructions de plus en plus complexes, sont devenus des hauts-lieux de rassemblement. Les compétitions qui s’y déroulent ne sont pas seulement la confrontation d’athlètes sous le signe d’idéaux universalistes, mais participent à un système de représentations diffusé par les médias à partir d’un lieu. Ils sont l’événement spatial par excellence et un processus de transmutation symbolique se réalise en fonction des rituels, des cérémonies et défilés, et des supports publicitaires qui en font un produit commercial dépendant de la logique du marché. Les Etats ont compris le parti qu’ils pouvaient tirer de ces cérémonies planétaires en valorisant un pays, une région ou une ville qui, pour un temps, devient le centre médiatique de la planète. C’est la relation entre les épreuves et le lieu qui donne force aux cérémonies. L’ensemble est fondé sur une logique de spectacle dont les résultats toujours incertains s’inscrivent dans les grands archétypes des émotions humaines. Le stade devient un lieu et une réponse à la recherche de cérémonies fusionnelles compensant les divisions, les conflits et l’individuation croissante des sociétés contemporaines. Un monde idéel et globalisé de représentations se mêle au monde réel et territorialisé des lieux.

Comment définir les événements exceptionnels que sont ces cérémonies ? Ils sont des événements urbains nécessitant la construction d’infrastructures de plus en plus complexes. Ils sont des événements sportifs regroupant des milliers de spectateurs. Ils sont des événements médiatiques qui retransmettent les résultats sur toutes les chaînes mondiales de radio et de télévision et, en ce sens, les stades sont devenus d’immenses studios d’enregistrements. Ils sont enfin des événements géopolitiques que les États utilisent pour asseoir leur place dans le concert des nations.

Une dramaturgie contemporaine

Les stades se nourrissent à la fois des éléments symboliques dont ils sont porteurs, de la mise en spectacle des villes, des régions, des nations et bien sûr des compétitions. Dans ce jeu, le cérémonial leur confère un surcroît de sens et de solennité. Les fêtes d’ouverture et de clôture sont minutieusement préparées et, dans les stades des JO, la fête débute par le défilé des délégations nationales, les formules rituelles d’ouverture, la montée du drapeau olympique, le lâché des colombes, l’arrivée de la flamme venue d’Olympie, le serment des athlètes et enfin l’hymne olympique. À l’initiative du pays organisateur, un spectacle culturel évoque généralement les grands thèmes de l’hospitalité, de la fraternité et du mélange des peuples. Lors de la clôture, les athlètes des différentes nations sont mêlés et, après la fête, l’extinction de la flamme annonce le prochain rendez-vous. Tout concourt à ouvrir sur l’imaginaire, à proposer une version poétique et enchantée du monde, une vision prophétique qui idéalise la réalité en la magnifiant.

Les stades ne sont pas seulement des lieux de compétition, ils s’inscrivent dans une mythologie moderne qui leur donne une dimension symbolique extrêmement forte d’autant que cette charge symbolique participe à une régulation des temps et des lieux à l’échelle planétaire. À une époque où les grands récits, les dogmes et les croyances ont perdu une partie de leurs forces, le mythe sportif et ses jeux rituels peuvent être considérés comme des répliques du sacré. Ce mythe moderne et ses rites séculiers sont des constructions dans un monde laïcisé qui en utilise le langage. Les foules se rassemblent dans des cathédrales de béton que sont les stades pour participer aux célébrations sportives. Lorsque la « messe » est dite, les héros, véritables demi-dieux sont honorés, récompensés et certains deviennent des modèles. L’impact médiatique par la télévision, les radios, les journaux et toutes sortes de médias permet de suivre par procuration l’événement et le sacralise sous forme d’icônes et d’images. La dramaturgie ritualisée, la gouvernance mondiale et l’impact médiatique se conjuguent dans le stade et les grands événements sportifs. Comme tout mythe, ces événements méritent d’être déconstruits, non pas pour nier les effets positifs et l’efficacité symbolique dont ils sont porteurs, mais pour mettre à jour les enjeux politiques, sociaux et économiques généralement occultés dans les écrits de célébration.

Les stades, en cumulant plusieurs fonctions, sont devenus les hauts-lieux de célébration et d’énonciation des luttes sportives : ni tout à fait simulacre, ni tout à fait guerres, ces luttes sont des rituels modernes où l’ordre social se donne à voir et se reproduit en paraissant se dissoudre.

P.-S.

Bibliographie

  • Augustin J.P. (2014), Aimez-vous encore les stades ?, Urbanisme, n°393, p.34-38
  • Bromberger C. (1989) Le stade de football : une carte de la ville en réduction, Mappemonde, 2, p.57-40
  • Bourdieu P. (1979) La distinction, Paris, Minuit
  • Elias N. et Dunning F. (1994) Sport et civilisation, la violence maîtrisée, Paris, Fayard
  • Perelman M. (2010) L’ère des stades, genèse et structure d’un espace historique, Paris, Infolio

Pour en savoir plus, on pourra consulter les travaux des géographes bordelais de l’UMR ADESS du CNRS et de la Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine (MSHA) qui proposent une analyse critique des cultures sportives, et notamment quelques ouvrages de Jean-Pierre Augustin :

  • 2013, Les nouvelles territorialités du sport dans la ville, (dir. avec S. Lefebvre et R. Roult), Québec, PUQ
  • 2011, Cultures sportives et géographie, Annales de géographie, n°680,
  • 2007, Géographie du sport : spatialités contemporaines et mondialisation, Paris, Armand Colin, collection U
  • 2004, L’olympisme : bilan et enjeux géopolitiques, (avec P. Gillon), Paris, Armand Colin