Les barbouzes de la pensée veillent aux enjeux écologiques

Le 15 décembre dernier, plus de 300 lycéens tourangeaux assistaient à une conférence, organisée dans les salons de l’Hôtel de ville de Tours, par une association d’anciens combattants et d’agents secrets sur le thème de... l’écologie. Allez comprendre ! Et si l’on en croit la presse locale, il s’agissait de parler de développement durable à coup de grenades offensives.

La solution est dans les OGM

Tu connais la seconde guerre mondiale ? Bien. Tu iras parler d’écologie. Vous l’avez compris, on se croirait au service militaire... On n’en est pas si loin en effet, si l’on en croit le compte-rendu fait par la Nouvelle République de la conférence qui s’est tenue à l’hôtel de ville de Tours en préambule de l’assemblée générale de l’association des anciens combattants - service de renseignements (ACSR-ex Invisibles).

On aurait pu s’attendre à un panorama de la Résistance ou de l’œuvre héroïque de nos forces spéciales de par le monde, voire encore de l’engagement militaire en ces temps d’exaltation des valeurs sécuritaires, mais il n’en fut rien. Un éminent diplomate était là pour« trancher dans le vif » sur les questions écologiques. Sous couvert d’engagement citoyen bien sûr !

Si l’on peut rejoindre les doutes du conférencier sur l’avenir de l’accord signé à Paris pendant la COP 21, on reste toutefois surpris par la teneur du reste du discours : « L’espèce humaine est appelée fatalement à disparaître, ce n’est pas tragique, c’est comme ça », « La solution est dans les OGM ». On ne s’attardera pas sur l’insistance faite autour de la notion de sur-population...

Malthusianisme à peine caché, appel explicite aux OGM pour sauver la planète, prise de conscience qui doit se faire bien sûr « sans pression politique, ni tabou », il n’en faut guère plus pour comprendre les enjeux idéologiques qui se cachent derrière un tel discours... Enjeux bien dissimulés pour nos jeunes lycéens derrière une figure d’autorité qui apparaît au-dessus de tout soupçon.

Les figures d’autorité qu’on mérite...

Cette figure est celle de Thierry Terrier, qui se dit ancien diplomate (voire ex-ambassadeur), et à ses heures perdues, conférencier pour association d’anciens combattants. Il s’y connaît, il a des références : il est présenté dans la presse parfois comme ayant fait sa carrière dans le monde arabe, puis au Protocole à l’Elysée, ou encore conseiller diplomatique... Dans les faits, il a fait trois ans à Djeddah au Consulat de France, puis à la direction d’Amérique du ministère des affaires étrangères, puis à Dublin en tant que conseiller d’ambassade 2e classe, avant de finir comme conseiller technique chargé des affaires internationales et européennes, auprès du secrétaire d’Etat au Tourisme du gouvernement de Jean Pierre Raffarin [1]. C’est dire.

Cerise sur le gâteau, il a de formidables compétences pédagogiques, comme on peut le voir sur internet, dans une de ses conférences filmées [2]. Ces geignards d’enseignants n’auront qu’à apprendre la pédagogie en l’écoutant. Rompez !

Le gaillard, qui n’en est pas à sa première conférence auprès d’un public scolaire (il est déjà venu à Tours l’an dernier [3] ), est surtout le secrétaire de la Fondation de la France Libre, fondation reconnue d’utilité publique par un décret du 16 juin 1994 signé par Charles Pasqua [4].

Cette fondation succède à l’Association des Français libres, créée en 1945 pour soutenir les intérêts moraux des Français Libres et de leurs familles, sous la présidence d’honneur du général de Gaulle. Et en tout bien tout honneur puisque cette fondation « se donne pour mission d’entretenir l’héritage de la France libre et d’en défendre les valeurs dans un cadre apolitique et transpartisan ». Indépendance et apolitisme qu’aime d’ailleurs rappeler ledit Terrier [5].

Une conception toute particulière de la "Résistance" écologiste

Difficile de considérer ce secrétaire général (en chef) comme un bleu-bite et encore plus de penser que ses propos tenus à Tours sont un simple « dérapage », même en terrain difficile. Son affichage facebook est particulièrement intéressant, surtout quand on pense qu’on lui confie des collégiens et des lycéens pour les sensibiliser à la citoyenneté de manière « apolitique ». Outre des liens vers des pages concernant la droite réactionnaire, Les Républicains et le FN (soutien à Zemmour, fan club de Fillon, pages de Philippot et Marine Lepen ), on y trouve aussi un lien vers le club de soutien à J.-F. Baccarelli, qui dirige en Corse « l’alliance écologiste » et qui y a organisé une très remarquée manifestation contre les réfugiés [6]...

On ne s’étonnera donc pas de le voir invité pour des conférences par des groupes ouvertement pro-Fillon [7], Fillon qui justement vient de relancer le débat sur les OGM : « Osons relancer les recherches qui ont été interrompues au nom du principe de précaution, notamment en génétique » (Réponse de F. Fillon aux agriculteurs [8]).

Enfin notre conférencier, toujours aussi apolitique, a dû longtemps résister à l’idée de résister (P. Dac) aux appels du grand Est. Le voici capturé par les photographes, avec le président de l’Union Gaulliste de France, aux soirées de l’ambassade de Russie à Paris en juin 2015.

Tout converge donc pour comprendre la profondeur du discours écologiste développé dans cette conférence. Il est clair qu’il n’est pas question d’expliquer la nature exacte de la répartition des richesses et en particulier des richesses agricoles. Et encore moins l’écrasement des marchés par les pays du nord et le rôle de certaines firmes transnationales, voire celui de l’agriculture productiviste dans la pollution des sols et de l’eau. Non, là on ferait sans doute de la politique.

Mais que voulez-vous il faut bien préparer les esprits. Les temps changent. A côté du roman national se met clairement en place une nouvelle géographie de l’écologie. Et elle a ses nouveaux chiens de garde. Elle compte aussi sur des enseignants visiblement peu regardants...

Notes

[1On peut reconstituer une partie de sa carrière grâce au Journal officiel. Il est nommé le 21 janvier 2003 dans ce dernier poste, toujours selon le Journal officiel. Mais il présenté bien plus favorablement dans la presse locale, comme par exemple dans Montceau-news.com).

[2Une heure trente-huit de bonheur pédagogique (ou l’invention de la classe renversante !) : https://www.youtube.com/watch?v=wZfNunrDKK0

[3Comme le montre cette mention de La Nouvelle république en date du 24 avril 2015.

[4Comme en témoigne le site même de la fondation ; http://www.france-libre.net/wp-content/uploads/2009/01/pdf_decret_du_16_juin_19941.pdf.

[5Comme par exemple à Montceaux-les-Mines en septembre 2013 à l’occasion d’une de ces conférences http://www.lejsl.com/edition-de-montceau-les-mines/2013/09/02/l-ethique-de-la-france-libre-c-est-plus-que-du-souvenir.

[6Corse Matin publie ainsi un cliché tout à fait évocateur montrant un groupe de manifestants hostiles aux migrants sous une banderole dont le slogan est "Hollande, les immigrées (sic) dans ton cul" (http://www.corsematin.com/article/bastia/rassemblement-anti-migrants-a-bastia), information et action relayées avec enthousiasme sur des sites d’extrême droite.

[7Comme le Rassemblement pour Brest qui tout en se défendant d’être encarté soutient désormais la candidature de Fillon https://www.rassemblement-pour-brest.fr/2015/10/09/conference-de-la-fondation-de-la-france-libre/.