Le lobby de la viande s’invite au pot-au-feu solidaire de la mairie de Tours

La communication autour du « pot-au-feu géant » organisé par la municipalité le 20 février au profit des Restos du cœur a donné une large place à des organisations qui militent activement contre toute réflexion sur la consommation de viande et ses effets.

L’affiche créée pour annoncer la tenue du pot-au-feu géant de la ville de Tours avait de quoi surprendre. Elle comportait notamment un slogan apparemment consensuel, incitant à mieux consommer : « Aimez la viande, mangez-en mieux », suivi de l’adresse d’un site internet : www.naturellement-flexitariens.fr. Ce site, qui fait mine de promouvoir le flexitarisme [1] a été créé par Interbev, l’Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes. Depuis 2019, ce lobby a détourné la notion de flexitarisme pour promouvoir la barbaque. Alors que la dimension « occasionnelle » de la consommation de viande est centrale dans la notion de flexitarisme, les campagnes menées sous la bannière « Naturellement flexitariens » parlent plutôt d’une consommation « raisonnable » ou « en juste quantité », suggérant par opposition que les autres régimes alimentaires seraient déraisonnables [2].

Autre partenaire du pot-au-feu géant, la confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs (CFBCT), présente sous la forme d’un slogan, « un savoir-faire en héritage », accompagné de l’accronyme du syndicat. Membre d’Interbev, la CFBCT ne semble pas plus attachée à une évolution des consommations alimentaires : dans un communiqué portant sur quelques actes de vandalisme, elle disait s’inquiéter « des conséquences de la surmédiatisation du mode de vie végan » et dénonçait la « stigmatisation permanente » dont serait victime la profession. Dans un autre communiqué, ce sont les débats autour de la consommation de viande dans les cantines qui étaient attaqués, la confédération dénonçant « un lobbying de la peur » et présentant la viande comme une composante indépassable de repas équilibrés.

De la bidoche tout le temps, et sous toutes ses formes

Les deux organisations ont pris part à la folie collective qui a suivi l’annonce par la mairie de Lyon de la mise en place temporaire d’un menu unique sans viande (mais avec produits animaux) dans les cantines scolaires de la ville pour faciliter le service dans un contexte sanitaire contraint. La CFBCT a dénoncé la « tartufferie » des élus verts dans un communiqué titré « Mairies vertes : stop au carnage ». De son côté, le compte Twitter de la branche rhônalpine d’Interbev a allégrement relayé toutes les informations relatives à la manifestation d’agriculteurs organisée par la FDSEA pour protester contre la décision du maire, ainsi que l’annonce par le ministre de l’Agriculture qu’il allait saisir le préfet du Rhône.

Cet épisode délirant montre que, contrairement à ce que laisse entendre le slogan complaisamment imprimé sur les affiches de la mairie de Tours, il n’est pas question pour ces organisations de nous faire « mieux » manger de la viande [3]. Il s’agit, pour ces lobbys, de nous faire ingérer un maximum de bidoche, tout le temps et sous toutes les formes. Cette propagande intervient alors que, selon le rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture publié en 2013, l’élevage de bétail dans le monde était responsable en 2005 de 14,5% des émissions de gaz à effet de serre liés aux activités humaines.

La mairie de Tours a annoncé que cette édition du « pot-au-feu géant » avait permis de récolter 23 000 euros au profit de des Restos du cœur, soit 4 000 barquettes plastiques vendues. Le communiqué précise que 1 000 kilos de viande de bœuf ont été offerts par différents partenaires, parmi lesquels est cité Interbev. Mais aucun des autres généreux donateurs ne bénéficie d’une telle visibilité sur les affiches mises en place par la Ville. Interrogée sur les contours précis de son partenariat avec Interbev, la mairie n’a pas répondu à nos sollicitations.

Notes

[1Le flexitarisme est une pratique alimentaire dont la base quotidienne est végétarienne, mais qui autorise une consommation occasionnelle de viande. On qualifie ainsi couramment de flexitarien une personne omnivore qui a fortement réduit sa consommation de viande sans pour autant être devenue végétarienne. Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Flexitarisme de Wikipédia en français.

[2Pour une analyse plus détaillée de la campagne d’Interbev, lire « Le lobby de la viande utilise le flexitarisme dans une vaste campagne de propagande ». Parmi les campagnes délirantes menées par ce lobby, on peut aussi citer « Goatober » (tiré de « goat », chèvre en anglais, et « october »), une opération qui vise à « valoriser la viande de chevreau auprès des restaurateurs et du public » et a pour logo une tête de bouc.

[3On ne peut pas, comme le fait la CFBCT, parler d’alimentation « saine » et « de qualité » en référence aux produits carnés servis dans les cantines scolaires.