Le 26 janvier, une grève dans l’éducation, pour les salaires, mais pas que…

Le 26 janvier, les enseignant·es sont appelé·es par une intersyndicale à la grève. Alors que les revendications peuvent paraître floues et uniquement centrées sur les revalorisations salariales, il s’agit bien d’un choc entre deux conceptions du métier d’enseignant : celle, gestionnaire et autoritaire, du ministre Blanquer, et celle des personnels et de leurs représentants dans leur vaste majorité.

Comment est né ce projet de grève ?

Cette grève est la réponse des syndicats au Grenelle de l’éducation qui a débuté début décembre et qui doit rendre publiques ses propositions fin janvier. Très rapidement, les syndicats se sont rendu compte de la supercherie du Grenelle où ils n’avaient pas leur mot à dire. FO et Sud n’y sont pas allé, la CGT est rapidement partie et la FSU a complété les défections ensuite. Le Grenelle a continué à se tenir sans représentants des personnels. Philippe Meirieu [1] s’est également retiré de ce Grenelle parce que l’éducation populaire en était absente. L’atelier auquel il devait participer sur la formation des enseignants avait invité une seule association, « Vers le Haut », qui est un lobby de mouvements religieux piloté par un ex-cadre de l’UMP ; on y trouvait également un psychiatre des armées ou une prof de gestion...
À son départ du Grenelle, la FSU rejoint l’intersyndicale qui lance un préavis de grève pour le 26 janvier et écrit un communiqué expliquant les motivations de celle-ci.

Genèse du Grenelle

Depuis son arrivée rue de Grenelle, le ministre joue avec les nerfs des enseignants, poursuivant la politique du gel du point d’indice malgré les demandes de plus en plus pressantes remontant du terrain. Il y a eu la plaisanterie de « l’observatoire des rémunérations » des enseignants, organisme improbable issu des rangs ministériels qui n’aura rien apporté si ce n’est l’idée que, pour des augmentations de salaires, il allait être nécessaire de mettre dans la balance les statuts, les missions et redéfinir totalement le métier d’enseignant, d’où le fameux Grenelle de l’éducation...

Un marché de dupes...

Sauf que, lorsqu’arrive le Grenelle, les propositions du ministre en matière de revalorisation des salaires sont tellement loin des attentes que c’est la douche froide. Pas de dégel du point d’indice mais des « primes » et la bagatelle de 69% des collègues pas ou peu concernés (au mieux 12,50 par mois de revalorisation voire rien du tout pour les enseignants documentalistes). Et puis comme d’habitude les « propositions » sont non négociables, c’est comme ça et pas autrement, personne n’a son mot à dire et puisque cette question est évacuée il est temps de passer à la suite : la « transformation » du métier d’enseignant et là c’est du lourd avec la poursuite du déploiement de l’accompagnement PPCR (Parcours Professionnel Carrière et Rémunérations). Les formations en constellations, loin d’être le travail coopératif officiellement présenté, peuvent déboucher sur des « réorientations » voire des licenciements pour « insuffisance professionnelle »... Il y a aussi la réforme du statut de directeur, toujours voués selon le ministre à remplacer les IEN [2] localement et devenir des supérieurs hiérarchiques, qui, malgré le cinglant refus de la profession, refait surface pour le pire...

Une autre politique éducative

Une fois cela dit, il convient de parler de la « méthode Blanquer » teintée de mépris, d’autoritarisme et d’incompétence. Le Grenelle est à son image, une vaste opération de com’ ayant pour but de démontrer que tout va bien, que tout le monde travaille main dans la main et que tout le monde est consulté. Sauf que cela ne résiste pas aux faits : ainsi que nous l’avons vu, nous sommes entre mépris des personnels qui voient leurs revendications écartées (dégel du point d’indice), ignorées (la loi Rilhac sur la direction d’écoles) et leur professionnalisme nié (PPCR).

Dernier exemple en date, le projet du ministère de mettre au point un manuel de lecture unique pour tous les élèves de CP de France, une première dans l’histoire. La méthode « lego » est ainsi expérimentée dans la plus grande discrétion dans une dizaine de département auprès d’enseignants triés sur le volet et sommés de se taire.

L’objectif de Blanquer est très simple : faire des enseignants de simples exécutants et non plus des professionnels. Dans ce cadre, la liberté pédagogique n’a plus aucun sens puisque l’enseignant n’est là que pour appliquer ce que d’autres ont pensé pour lui, quelques neuroscientifiques assermentés et agréés (Stanislas Dehaene pour ne pas le nommer) amenant la création et la mise en œuvre d’outils rétrogrades indignes tels que les évaluations nationales.
Dans ce contexte, les enseignants, très inquiets quant à l’avenir de leur métier et de leurs élèves, ne se mobilisent pas uniquement pour une histoire de revalorisation. En effet, derrière elle se cache une conception de l’école, et de ceux qui la font : les personnels enseignants, AESH mais aussi des élèves, de leurs besoins, de leurs attentes. Au-delà encore se profile une idée de la société que l’on veut et celle que l’on refuse qui fait que plus de 10 000 enseignant·es se sont retrouvés pour signer une pétition demandant le départ de Blanquer et un changement de cap éducatif et politique.

Au Grenelle, opposons un véritable plan Marshall de l’éducation !

Aux 400 millions d’euros d’un Grenelle d’experts comptables, rabougri, et à côté de la plaque, goutte d’eau dans un ministère totalement asséché par des années de politique d’austérité, opposons les milliards, généralement réservés aux multinationales telles Air France [3], d’un vaste plan Marshall afin de revitaliser l’éducation et de prendre un nouveau départ après toutes ces années de sabotage piloté de l’intérieur.

La formation pourrait être relancée alors qu’elle est aujourd’hui exsangue voire carrément liquidée. Une campagne de recrutement massif pourrait enfin réduire les effectifs par classe et assurer un Réseau d’Aide efficace pour tous les élèves à besoin particuliers. Des revalorisations grâce à un dégel du point d’indice rendraient au métier son attractivité perdue depuis bien longtemps au fur et à mesure des pertes de pouvoir d’achat.

Non à la gestion ankylosante d’un Grenelle cherchant à réduire le cache sexe de la misère en rationalisant les coûts et en appauvrissant la définition du métier d’enseignant !

Nota Bene

Notes

[1Spécialiste des sciences de l’éducation et de la pédagogie, professeur en sciences de l’éducation à l’université Lumière-Lyon 2 depuis 1985 et président du mouvement d’éducation populaire les CEMEA, il a contribué à diffuser en France les principes pédagogiques issus de l’Éducation nouvelle et il est sans aucun doute le plus célèbre pédagogue français contemporain.

[2Inspecteurs de l’Education Nationale, les fonctionnaires chargés du suivi des enseignants du premier degré dans les différentes circonscriptions.