Là où y a de la gégène y a pas de plaisir : l’éditorial halluciné de la NR sur les vertus de l’armée

Je me suis surpris à feuilleter le numéro de mars de Cap’Éco, le mensuel économique de la Nouvelle République. Et je suis tombé sur un éditorial complètement halluciné signé Jean-Yves Le Nezet, ayant pour but de glorifier l’armée française tout en vantant ses liens notamment économiques avec l’Indre-et-Loire.

Quand je dis halluciné, le terme est un peu faible. Le titre, déjà pas piqué des vers, annonce ainsi assez sobrement la couleur : « Richesses et vertus d’une armée moderne », on va voir ce qu’on va voir. En voici donc quelques extraits. Il m’a été difficile de les choisir tant c’est la totalité de ce texte qui en fait le caractère exceptionnel.

L’auteur commence par regretter l’image figée et traditionaliste que l’armée a eu pendant trop longtemps dans notre pays avant de nous rassurer : elle est entrée dans la modernité.

Ce temps-là est bien révolu. Si les traditions et les valeurs fortes persistent, de l’aviation en passant par la Royale ou les troupes au sol, la grande maison a opéré sa mue le jour où elle est devenue une véritable armée de métiers. L’alchimie efficace des vertus et de la modernité.

On constate avec contentement que l’auteur ne veut pas revenir au temps béni du service militaire et on voit apparaître le mot clef de l’article : « vertus » (lequel est parfois changé pour celui de « valeurs »). On ne sait pas encore à ce stade ce que sont ces vertus.

Il enchaîne alors pour nous expliquer les liens historiques, « avec un grand H », que l’armée entretient avec l’Indre-et-Loire :

En Indre-et-Loire, terre de garnisons, l’armée a une Histoire, avec un grand H et surtout un poids économique et social indiscutable. (...) Sans oublier un rôle tout aussi important dans la formation. A la Base aérienne 705 pour exemple, les liens entre le commandement et l’Éducation nationale sont forts. (...) En Touraine, l’armée est un acteur du territoire, plein et entier. Tourné vers l’avenir et toujours campé sur les vertus essentielles qu’elles incarnent.

On parlera du rôle de formation de la base 705 aux riverains ou à la famille du résident d’un centre d’accueil pour personnes handicapées de Vouvray qui est mort parce qu’un alphajet lui est tombé dessus... Et on voit revenir dans ce paragraphe « les vertus », cette fois qualifiées d’« essentielles », même si on ne sait toujours pas les nommer (et que la grammaire de la phrase la rend quasiment incompréhensible).

Mais le plus fort reste la conclusion de l’éditorial. Malgré un texte globalement de haute volée, je ne l’avais pas vue venir et j’avoue qu’elle m’a laissé comme deux ronds de flan.

Entre l’armée et le monde civil, le terrain est devenu totalement perméable. L’Indre-et-Loire est un bel exemple d’un tel terrain opérationnel…

Hein ? Notre département est un « terrain opérationnel » ? Autrement dit un terrain d’opérations ? En novlangue militaire ça veut basiquement dire que nous sommes en guerre. Pas de doute, Jean-Yves Le Nezet s’est laissé emporter par son amour de l’uniforme quand il a écrit ce texte. Sauf à ce que je ne m’en sois pas encore aperçu, il me semble en effet que je me trouve dans un département plutôt pacifique si on le compare, par exemple, aux zones de guerre que des milliers de personnes sont actuellement contraintes de fuir.

Mais revenons aux valeurs dont Jean-Yves Le Nezet nous fait l’éloge. Je m’avoue franchement déçu de ne pas les voir présentées explicitement. En effet, s’il ne les mentionne jamais, elles ont pourtant l’air si belles qu’on aimerait les connaître. En l’absence de précision, j’ai essayé de réfléchir et les valeurs que l’armée m’évoque sont plutôt gégène en Algérie, obéissance servile aux ordres les plus idiots, amour insensé des armes, maintien de l’ordre criminel, abus sexuels sur mineurs en Centrafrique, ou encore camaraderie beauf de corps de garde... et franchement j’aimerais savoir ce que ça va apporter de positif à notre beau département.

J’espère donc que je suis tout simplement trop bête pour avoir saisi le caractère humoristique de cet éditorial probablement parodique. Pour me changer les idées, je m’écoute une vieille chanson réconfortante.

Tu avais juste dix-huit ans
Quand on t’a mis un béret rouge,
Quand on t’a dit : « Rentre dedans
Tout ce qui bouge. »
C’est pas exprès qu’ t’étais fasciste,
Parachutiste.

Alors, de combat en combat,
S’est formée ton intelligence.
Tu sais qu’il n’y a ici-bas
Que deux engeances :
Les gens bien et les terroristes,
Parachutiste.

(...)

Mais, malheureusement pour toi,
Bientôt se finira ta guerre :
Plus de tueries, plus de combats.
Que vas-tu faire ?
C’est fini le travail d’artiste,
Parachutiste.

C’est plus qu’un travail de nana
D’ commander à ceux qui savent lire,
Surtout qu’ t’as appris avec moi
Ce que veut dire
Le mot « antimilitariste »,
Parachutiste...

Maxime Leforestier, Parachutiste

Argumant Massu

Illustration : Jean-Yves Le Nezet posant fièrement aux côtés des vertus modernes de l’armée.