« Liquidation totale avant fermeture » ; « Tout doit disparaître » ; « Offres exceptionnelles » ; « Courrez-vite découvrir nos remises supplémentaires ». Derrière ces formules alléchantes, adressées début octobre aux clientes du magasin La Halle de Saint-Pierre-des-Corps, se cachait un plan de licenciement massif.
La Halle aux Vêtements appartient au groupe Vivarte, qui comprend également André, Kookai, Naf-Naf, etc. Le groupe est l’un des leaders français de l’habillement, et affichait en 2014 un chiffre d’affaires de 2,9 milliards d’euros. En juillet 2012, c’est un ancien dirigeant de Lancel, Marc Lelandais, qui en prend la tête. Il lance une stratégie de montée en gamme des enseignes La Halle (vêtements et chaussures), s’appuyant notamment sur une énorme campagne publicitaire, avec Tony Parker et la chanteuse Jenifer en guise d’égéries. Le groupe va aussi ouvrir des magasins La Halle dans le quartier des grands magasins à Paris, boulevard Haussmann, ainsi qu’à Saint-Tropez. « Dès la présentation de la stratégie de montée en gamme de l’entreprise, les élu-es avaient alerté la direction. Finalement, ces alertes se sont révélées juste », note une responsable de la fédération Commerce de la CGT.
Un élu de l’entreprise précise : « C’était voué à l’échec. Tu ne retournes pas une entreprise de 30 ans en 2 ans, ça n’existe pas ». Alors que l’enseigne est plutôt implantée sur des zones commerciales périphériques, les magasins de centre-ville vont se transformer en gouffres financiers. Depuis, ils ont tous été revendus. Sans parvenir à attirer de nouveaux clients, la nouvelle stratégie a détourné l’entreprise de sa clientèle traditionnelle, plus populaire. Comme l’explique le même élu :
« La clientèle qu’on avait, on leur a dit : "on veut plus de vous, vous pouvez partir, on a d’autres clients qui sont plus riches que vous". »
Au total, sur les 570 magasins que comptait La Halle aux vêtements, 220 ont été fermés dans le cadre du plan social annoncé en avril 2015.
Lorsque le plan de licenciement a été annoncé par la direction du groupe, une grande part de la presse nationale s’est emparée de l’affaire. Mais les fermetures effectives de magasins ont uniquement été traitées par la presse quotidienne régionale, qui relaye régulièrement l’actualité des zones commerciales dans son périmètre.
Emplois à temps partiel et indemnités au rabais
Au mois de juin, quelques jours de grève au début des soldes ont permis de faire pression sur les négociations du « plan de sauvegarde de l’emploi » (PSE) et de décrocher une prime supra-légale. Mais les indemnités sur lesquelles pouvaient compter les salarié-es licenciées sont restées faibles. Avec 80 % de temps partiels dans l’entreprise, souvent sur des contrats de 25 heures par semaine, le salaire brut moyen d’un-e employé-e impacté-e par le projet s’élevait à 1 077 euros par mois. Pour une salariée avec cinq ans d’ancienneté, les projections effectuées par les syndicats annonçaient une prime totale de licenciement de 7 154 euros.
Pour la plupart des salarié-es impacté-es par les fermetures de magasin, la suite est décrite par Christophe, le délégué syndical CGT :
« Des reclassements, il y en a eu, mais peu. Pour une personne qui travaille 25 heures par semaine, si il n’y a pas de poste dans la zone commerciale où elle travaille, on lui dit qu’elle peut être reclassée, par exemple à Bordeaux alors qu’elle habite Tours. Donc tu sais pertinemment que la personne à 25h, même si tu lui offres un 35h à Bordeaux, elle n’ira pas. Parce qu’elle a construit sa vie à Tours, elle ne va pas la construire à Bordeaux. C’est souvent des femmes qui sont à mi-temps, et qui ont des enfants scolarisés, donc c’est le mari la plupart du temps qui ramène le plus gros salaire. Systématiquement, elles refusent donc le reclassement interne et la mobilité. Du coup, elles vont partir sur un congé de reclassement [1], et puis c’est tout. »
Quelques salarié-es seront sauvé-es par les départs volontaires d’autres salarié-es qui ne veulent plus entendre parler de La Halle, ou qui ont un projet de création d’entreprise. « Ça va permettre à des gens qui étaient licenciables de garder leur emploi s’ils acceptent de reprendre ce poste. Mais ça sera pas des milliers d’emplois de sauvés : peut-être 80, 100 emplois. »
Une responsable syndicale commente :
« Ces licenciements à La Halle sont exemplaires de l’exploitation des salarié-es. On les fait travailler les jours fériés, les dimanches... Les salarié-es pensaient travailler dans une entreprise qui allait vivre, qui fleurissait, et du jour au lendemain ils se sont pris un PSE dans la tête... ».
Le plus formidable ? L’entreprise a touché 4 millions d’euros au titre du Crédit Impôt Compétitivité Emploi (CICE), censé encourager l’emploi, comme son nom l’indique. Au niveau du groupe Vivarte, ce sont 15 millions d’euros qui ont perçus au titre du CICE. Sans compter 30,4 millions d’euros « d’allègements Fillon ». Au final, le plan de licenciement, qui devrait coûter 40 millions d’euros au groupe, sera financé en bonne part avec de l’argent public. « C’est quasiment une opération blanche », relève un élu.
Désorganisation
A quelques semaines de la fermeture, les salarié-es du magasin de Saint-Pierre-des-Corps ne savaient toujours pas à quelle sauce elles allaient être mangées. Licenciement, reclassement sur un autre magasin ? Aucune information ne circulait, la direction était aux abonnés absents. Et ce n’est pas qu’une figure de style : pendant un mois entier, il n’y a pas eu de directrice des ressources humaines (DRH), ni personne pour communiquer auprès des salarié-es.
« Le PSE a commencé au mois d’avril, avec Helen Lee Bouygues, qui était missionnée comme directrice générale pour mener à bien le plan social [2]. Elle a pris une DRH pour l’assister. Le PSE a été signé le 27 août, et les deux ont été virées dès le 1er septembre. Résultat des courses, on a eu un mois de flottement pendant lequel il n’y a pas eu de DRH, pas de communicants, personne. C’était le bordel. Du coup, ils ont récupéré un DRH en intérim qui est là pour gérer les affaires courantes. Et puis là, on a appris récemment qu’il était missionné jusqu’à la fin décembre, qu’après il s’en allait. »
La désorganisation à la tête du groupe se poursuit aujourd’hui. Les représentants du personnel ne savent pas combien de temps leurs interlocuteurs de la direction resteront en poste. « Je sens qu’on va prendre un autre PSE dans peu de temps. Il n’y a pas de stratégie, pas de gouvernance. Quand tu poses des questions, on te dit : "Moi de toute façon je suis là que temporairement, il faudra voir avec mon successeur." Les salariés ils font quoi pendant ce temps-là ? » Cette désorganisation fait craindre de nouveaux licenciements dans les autres enseignes du groupe : « Faut pas se leurrer. Aujourd’hui c’est chez nous, mais demain ça sera à La Halle aux chaussures. C’est la prochaine fournée. »
Deux jours avant la fermeture définitive du magasin de Saint-Pierre-des-Corps, le magasin était déjà vide : seuls trois portiques supportant quelques fringues désordonnées restaient. Même s’il n’y avait plus rien à vendre, la boutique devait rester ouverte. Une salariée désoeuvrée, qui attendait encore d’être fixée sur son sort, racontait n’avoir croisé que deux clientes la veille.
Illustration : Mannequins, par Photo Monkey