L’équipe Babary et le marketing de la ville

Réaction spontanée, en version reprise et commentée, à l’interview de Christophe Bouchet, « adjoint au rayonnement de la ville » de Tours, parue dans la Nouvelle République du samedi 16 janvier dernier.

Le « rayonnement » figurait en place centrale sur le tract du candidat Babary aux dernières élections municipales (le candidat Germain avait quant à lui opté pour un équivalent « l’attractivité »), annonçant déjà un choix clair fait entre une politique de compétitivité-attractivité et une politique de solidarité et d’égalité.

Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer les formes économiques et urbaines prises par ces choix politiques, à propos notamment du projet du haut de la rue Nationale [1]. Dans son édition du 16 janvier 2016, l’adjoint au rayonnement livre ses idées pour rendre sa gloire perdue à notre cité tourangelle. Comme pour confirmer son désintérêt total et son aveuglement à propos des populations qui vivent à Tours aujourd’hui, l’équipe municipale, non contente de se complaire dans un regard tourné vers l’extérieur d’où il s’agirait d’attirer les élites, nous offre ici sa vision désuète d’une hypothétique identité tourangelle qu’il s’agirait de faire valoir, en l’imposant aux habitants pour mieux la vendre aux visiteurs.

Alors que des citoyens engagés tentent de dresser un état des lieux de la culture à Tours [2], l’équipe municipale dépeint sa ville rêvée, en faisant montre d’une déconnexion totale vis-à-vis des réalités locales. Reprenons cet article de la NR [3].

« Tours doit incarner la sculpture et honorer Balzac »

Le titre annonce le contenu et laisse le Tourangeau de base béat. Tours ville de la sculpture ?!

Pour ce qui est d’honorer Balzac, la clé de l’énigme se trouve dans un article connexe publié dans la même édition du quotidien [4]. Monsieur Bouchet rêve de faire de Tours la « ville de Balzac », allant jusqu’à renommer la rue Nationale du nom de cet illustre auteur. Il affirme d’ailleurs que la rue Nationale avait été ainsi nommée parce que la N10 l’empruntait, ce qui pour lui n’a plus de sens aujourd’hui. En réalité, cette rue avait d’abord été baptisée rue Royale, puisque percée sur décision du roi pour relier Paris à l’Espagne. On devrait donc plutôt considérer son appellation en rue Nationale comme un symbole du changement de régime. On remplacerait alors le symbole du passage d’un régime aristocratique à une tentative de démocratie par la célébration d’un Balzac, qui avait fini par ajouter une particule nobiliaire à son nom ?

Et au-delà, si l’on considère que la nation est ce qui nous unit dans la citoyenneté, ne doit-on pas se navrer de voir ce symbole remplacé par une référence littéraire qui, justement parce que sa légitimité est incontestable, symbolise la valorisation exclusive d’une culture légitime, réservée aux classes supérieures éduquées [5] ?

« Faire rayonner la Ville en dynamisant culture et patrimoine, c’était l’une des ambitions de l’équipe Babary. »

« En dynamisant la culture »… Certainement une faute de frappe : l’auteur a dû vouloir écrire « en dynamitant la culture »…

« Adjoint au rayonnement de la Ville, Christophe Bouchet a confié à la NR ce qui s’inscrit dans les projets à venir.
Après deux ans aux affaires, où en est le programme du rayonnement et des grands évènements de la ville du candidat Babary ? Nous avons demandé à l’adjoint délégué, Christophe Bouchet, de dresser un premier bilan. »

Et on ne va pas être déçus.

« Bon nombre de projets n’ont pas été encore réalisés, ou du moins mis de côté, en particulier tout ce qui s’inscrivait dans l’esprit Renaissance et fêtes royales. Le lancement d’un évènement international dès 2015, comme l’engagement dans une candidature de capitale européenne de la culture en 2028… pas évoqués. Pas réellement encore datés, ni budgétés, les projets restent… des projets. »

C’est bien dommage. On est pourtant convaincu que l’ajout d’une Dame Cunégonde, organisant des concerts de musique de chambre, de quelques ménestrels et bouffons aux rues de notre cité royale lui vaudrait une reconnaissance internationale, de Stockholm à Porto en passant par Vienne, Rome ou Ankara.

« Concrètement, sur ces deux premières années, on note que du programme, seront véritablement réalisées, les animations autour du 1.700e anniversaire de Saint-Martin et qu’un lieu dédié à la Cité de la gastronomie a été choisi (l’annonce devrait être faite au moment du « Grand repas » le 21 janvier).
Selon Christophe Bouchet « il faut redonner à Tours, son lustre passé, la première étape est que les Tourangeaux soient fiers de leurs racines, que chacun devienne ambassadeur de sa ville ». »

Sérieusement ? Son « lustre passé » ? Voilà qu’il se prend pour Balzac le petit Bouchet. Alors vous avez bien lu les Tourangeaux : pour être dignes de la fierté locale, il va falloir que vous révisiez vos cours d’histoire médiévale, que vous vous trouviez des racines à la cour du roi, et que vous remerciez chaque jour Saint-Martin d’avoir fait la grandeur de votre cité. Et oui, parce qu’après la vieille aristocratie et la culture littéraire légitime, on ne pouvait pas passer à côté des racines catholiques… Mon Dieu mais c’est bien sûr !

Après cette mise en bouche, l’interview commence.

« Dans votre programme, l’un des points phare était de remettre la Loire au premier plan. Avez-vous avancé sur ce projet ?
« Oui, c’est au programme 2016-2017. Mais en priorité il va falloir se réapproprier la Loire, effacer l’image négative longtemps véhiculée d’un fleuve dangereux. »

Est-ce que ce type vit vraiment dans la même ville et au même siècle que nous ? Qui a encore de la Loire l’image négative d’un fleuve dangereux ? Peut-être ceux qui ont vécu la dernière crue de 1907, et encore. Ceux qui pratiquent le fleuve aujourd’hui le vivent plutôt comme un lieu festif, et/ou de détente. En revanche, avec ce terme de réappropriation, on sent bien venir le tour de vice…

« La difficulté pour Tours, au regard d’Orléans qui propose des évènements d’envergure autour du fleuve, est que nous sommes dans un secteur sauvegardé et que la mise en place de projets est délicate. Nous allons rapidement lancer un concours international d’idées en nous inspirant de ce qui existe déjà dans d’autres villes comme à Trouville, par exemple. »

C’est vrai que Trouville, ça envoie du rêve.

« Nous nous appuierons également sur l’expérience d’Yves Dauge en tant qu’urbaniste »

Davantage un politicien cumulard qu’un urbaniste reconnu.

« Il n’est pas question de " plaquer " un festival juste pour nous faire plaisir" »

Nous voilà rassurés.

« 2016 est l’année Saint-Martin, quelle est la participation de la ville ?
« J’insiste sur le fait que cette commémoration représente un point de départ, une amorce de ce que demain devront représenter les festivités autour de ce personnage emblématique de notre ville. Nous avons tous les ingrédients pour pérenniser ces animations : l’abbaye, l’histoire, la légende, la Loire. Serge Babary l’a annoncé dans ses vœux et nous y travaillons : un programme ambitieux sera déployé pour cet anniversaire. » »

A quand les processions religieuses au milieu de la rue Nationale ?

« Vous évoquez souvent le côté « totémique » de la ville ? Des pistes ?
« Pour rendre une ville attractive, il faut qu’elle incarne quelque chose de fort. Regardez Metz avec son Centre Pompidou, ou le Puy-du-Fou, avec son parc d’attraction. »

On touche le fond. Il est vrai que les électeurs de De Villiers sont nombreux à Tours, mais quand même…

« Nous avons la chance d’avoir sur notre territoire, l’école des Beaux-Arts (TALM). L’idée serait une école de la sculpture, unique en France. Tours devrait incarner cette discipline artistique. Avec des millions de passages sur l’autoroute des vacances, Tours serait la ville de la sculpture. »

Mais oui, c’est évident, l’autoroute c’est la vie. Châteauroux et Vierzon devraient en prendre de la graine. On a une autoroute, donc on va se faire ville de la sculpture… Dormez tranquilles braves gens, le politique réfléchit pour vous.

« Avec TALM, nous préparons, mais c’est un peu trop tôt pour en parler, une initiative forte avec l’une des villes sœurs. La seule chose peut-être que je peux avancer, c’est que ce serait certainement avec la ville du Mans ». »

Sacré programme.

« Dans votre programme, vous défendiez l’idée que ce rayonnement est synonyme de créations d’emplois ?
« C’est une évidence, d’une part le tourisme n’altère en rien le territoire, au contraire il rend une ville vivante et colorée. Et c’est un vecteur indiscutable d’emplois. »

On se reportera de nouveau au projet du haut de la rue Nationale pour en juger. Après « Macdo, venez comme vous êtes », « Eiffage et les hôtels Hilton rendent la ville vivante et colorée » ! Pour ce qui est de la création d’emploi, n’oublions pas les conditions de travail chez les sous-traitants du bâtiment, dans l’hôtellerie-restauration, et songeons aux emplois détruits lors des expropriations de commerçants sur le site.
Enfin, l’inaltération du territoire, on en parlera aux usagers des quais de la Loire qui verrons leur espace familier colonisé par les restaurants dès le printemps 2016, comme nous l’annonce fièrement la propagande municipale [6]

« C’est un investissement mais on ne peut pas regarder encore longtemps les trains passer. Nous avons de nombreuses pépites dans notre ville, ne serait-ce que le palais des congrès, le parc des expositions. Il faudra certainement que dans l’accueil des touristes, en matière hôtelière, nous renforcions et montions en gamme ». »

Et nous y voilà : bien sûr, la solution à tous nos maux, c’est le tourisme d’affaire, le tourisme de luxe. Saint-Martin, Balzac, la Renaissance d’un côté, le palais des congrès Vinci de l’autre : voilà la vision de la ville portée par l’équipe municipale en place. Franchement, combien de Tourangeaux se reconnaissent dans ces entités ? Plutôt que de jouer aux apprentis entrepreneurs de la ville-marchandisée-sécurisée, Babary&Co devraient reconsidérer leur mépris de l’action publique sociale et culturelle sur laquelle il reste tant à faire.

« Quels seraient les freins à une si belle ambition pour la ville ? »

C’est beau l’impartialité journalistique.

« La dette abyssale de la Ville et nous devons communiquer peut-être plus sur ce sujet. Les choses se feront mais il faut donner du temps au temps. »

Héhé bien sûr, désolés braves gens, si on conchie le social et la culture au profit de l’attractivité touristique par le luxe et les cérémonies désuètes, c’est parce que les caisses sont vides !

« Propos recueillis par Patricia Lange »

Commentaire proposé par Eugénie Fillette.