Je travaille dans l’éducation nationale et je suis confronté-e à une situation difficile : qui contacter ?

L’intention est louable. La réalisation est pour le moins révélatrice d’une politique qui consiste surtout à ne pas traiter les problèmes. Pire encore : à enfoncer l’individu. Analyse de la documentation officielle proposée par l’Education nationale à ses agents en cas de souffrance au travail.

Dans un dépliant recto verso, le rectorat d’Orléans-Tours adresse à tous ses personnels « un inventaire des actions adaptées à chaque situation et des acteurs à contacter » dans les cas de « situation difficile au travail ».

Pour un peu nous aurions presque pu croire qu’il puisse y avoir de la souffrance au travail dans l’Éducation nationale, mais, rassurons-nous, si l’on en croit ce document : il n’y a que des situations difficiles.

L’accroche paraissait pourtant intéressante :

« Mal être au travail, risques pour moi ou autrui, problèmes relationnels graves, violences physiques ou verbales, problème de santé, accident de service et de trajet... »

Ah ? Quelques minutes nous nous illusionnâmes en pensant entendre parler (enfin) de harcèlement hiérarchique, de risques psychosociaux et professionnels, de l’impact des réformes ou des politiques d’évaluation sur le moral des troupes, ou tout simplement de l’attitude psychologique à avoir face à un public scolaire de plus en plus en difficulté... Et mieux encore nous nous autorisâmes à penser que l’institution allait apporter des solutions.

Le panel des solutions est, en effet, tout à fait à la hauteur...

Je suis confronté(e) à une situation difficile au travail, qui contacter ?

La vraie solution : le recours à la hiérarchie

Si l’on en croit ce document, on ne dira jamais assez combien la hiérarchie est naturellement bienveillante envers son personnel :

  • « Mal être au travail » ? « Je peux contacter le chef d’établissement » ;
  • « Risque pour moi ou des tiers » ? « Le chef d’établissement est informé de votre signalement, peut décider d’actions de prévention » ;
  • « Violences physiques ou verbales de la part d‘élèves ou d‘adultes » ? « Le chef d’établissement est à même d’instruire la situation  ».

Cerise sur le gâteau :

  • « Problèmes relationnels graves ? » Réponse : « Je signale la situation à la hiérarchie » [1].

Et cerise de la cerise du gâteau :

  • « Problèmes relationnels graves avec la hiérarchie de proximité » ? Réponse : « Je signale la situation à la hiérarchie », mais celle du dessus bien entendu... Les chefs adorent qu’on balance les petits chefs...

Nous y voila : quand la solution devient donc un problème supplémentaire.

Les politiques de « santé et sécurité au travail » pour masquer les dysfonctionnements liés à l’organisation du travail

Finalement ce petit document ne fait qu’en rejoindre bien d’autres sur la santé et les questions de sécurité dans le milieu professionnel. Ils ne font que masquer les vrais problèmes. Il y a souffrance d’un membre du personnel ? Systématiquement le recours individuel est la solution proposée tant par l’administration que par certaines organisations syndicales qui en font leurs choux gras — lorsqu’elles n’apportent pas, clef en main, elles-aussi, la prise en charge des solutions proposées par le patron.

Car dans les faits que se passe-t-il ? Pourquoi un individu est amené à exprimer un malaise au travail ? Il faut être clair, toutes les situations le montrent : il n’existe pas de souffrance au travail, mais des mauvaises organisations du travail. Et les sociologues ne cessent de le rappeler [2].

Toutes les procédures mises en place depuis 2011 [3] dans la fonction publique (Registre santé sécurité au travail, Registre de signalement de danger grave et imminent, ...) ne remettent en rien en cause les logiques de travail, et apparaissent au mieux comme un cataplasme sur une jambe de bois, lorsqu’elles ne génèrent pas un véritable marché de la souffrance. Elles confinent le traitement du mal-être à des prothèses psychologiques sans s’attaquer aux causes qui le provoquent [4]. Surtout elles sauvent la bonne conscience d’une administration qui s’est construite dans une logique de pouvoir et qui entend bien ne rien lâcher et surtout pas se remettre en cause.

Cette remise en cause de l’organisation du travail, c’est la logique de la lutte collective et de la solidarité. Non seulement elle n’est pas en vogue en ce moment, mais en plus tout est fait pour nous faire croire qu’on s’attelle véritablement aux problèmes. Bref, on nous promène.

Notes

[1Il ne s’agit pas des seules solutions proposées par le document, mais à chaque fois il s’agit de la solution mise en avant ou proposée en première place. Notons que sur le verso se trouvent les coordonnées des secrétaires des CHS-CT Départementaux, sans autre précision sur le rôle et les fonctions de ces instances.

[2Et ils sont clairs : « Que le mal-être soit accru par des méthodes de gestion dont la mise en œuvre est facilitée par l’outil informatique est incontestable ; les exemples surabondent. La fixation des quotas de productivité (nombre d’amendes, de visas délivrés, de dossiers traités…) facilitant des comparaisons entre individus ou services sans tenir compte des contextes et surtout de la manière dont s’effectue le travail a des effets délétères. Le non-renouvellement mécanique d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite provoque des situations absurdes. Au cœur du problème, on trouve des organisations aux frontières incertaines, de moins en moins protectrices des individus, et un travail qui se transforme profondément. Moins prescrit en amont, il repose de plus en plus sur l’autonomie et l’intelligence des individus, ce dont on peut se réjouir. Mais son évaluation dépend d’indicateurs abstraits, dont la pertinence est souvent sujette à caution, ou de l’appréciation du destinataire final, toujours aléatoire. Les salariés ont enfin le sentiment, à juste titre, qu’ils donnent beaucoup sans recevoir de reconnaissance en contrepartie, les entreprises se contentant de prendre ce qui est donné » dit dans Françoise Piotet dans "Le piège de la souffrance au travail", Revue Projet 2011/4 (n° 323), consultable en ligne sur CAIRN.info.

[3Les premières lois sur la souffrance au travail sont votées en décembre 2001. Les partenaires sociaux signent un accord en 2008 autour de la question du stress au travail. Il ne sera décliné dans la fonction publique qu’à partir d’une série de circulaires de 2011.

[4Citation de Françoise Piotet dans "Le piège de la souffrance au travail", Revue Projet 2011/4 (n° 323), consultable en ligne sur CAIRN.info.