« Je n’ai pas de temps à perdre » : l’accueil scandaleux d’une victime de violences conjugales au commissariat de Tours

Au mois de juin 2019, M. a accompagné au commissariat de Tours une amie qui souhaitait porter plainte contre son ex-compagnon. Choqué par l’accueil qui leur a été fait, il a adressé un signalement au Défenseur des droits. Avec son accord et celui de la femme concernée, nous reproduisons ici son courrier.

Je vous écris pour vous signaler les conditions d’accueil auxquelles une amie et moi avons été confrontés au sein du commissariat de Tours, au titre de votre mission de veille sur le respect de la déontologie des professionnels de la sécurité. Cette amie, qui venait porter plainte, s’est vue refuser le droit d’être accompagnée pendant son audition, en violation de l’article 10-2 du code de procédure pénale. 

Elle m’avait demandé de l’accompagner au commissariat de la rue Marceau en vue de porter plainte contre son ancien compagnon pour des faits de harcèlement. Elle était évidemment stressée à l’idée d’entamer une telle démarche, c’est pourquoi nous nous étions renseignés sur le déroulement d’une audition et les droits des victimes. Nous avons ainsi appris qu’elle pouvait être accompagnée pendant toute la durée de l’audition, et c’est en ce sens qu’elle m’a sollicité.

Nous nous sommes donc présentés à l’accueil du commissariat. Mon amie a exposé à une fonctionnaire les motifs de sa venue, et nous avons été invités à attendre qu’un officier de police vienne prendre sa plainte. Cette fonctionnaire a bien indiqué à mon amie qu’elle pouvait être accompagnée pendant son audition, qu’il lui suffisait d’en faire la demande au policier qui prendrait sa plainte. 

Quelques minutes plus tard, un policier en tenue est venu nous chercher – nous avons appris plus tard qu’il s’agissait du chef du service des plaintes. Alors que nous le suivions dans un couloir, mon amie a exprimé le souhait que je l’accompagne pendant son dépôt de plainte. Le policier a refusé tout net. Mon amie a exprimé son incompréhension, et a demandé la raison de ce refus. Réponse du policier : « C’est comme ça, je veux vous entendre seule, le monsieur reste dans le couloir ». Mon amie était visiblement choquée par ce refus et montrait des signes de panique. J’ai alors redemandé au policier d’expliquer la raison de ce refus, et me suis permis de lui signaler que l’article 10-2 du code de procédure pénale prévoyait qu’une victime puisse être accompagnée par la personne de son choix. Le policier, visiblement énervé, m’a répondu d’un ton sec : « Vous êtes avocat ? ». Il est ensuite rentré dans un bureau, dont il a laissé la porte ouverte, et nous a lancé : « Bon, j’ai pas que ça à faire, maintenant vous vous décidez ». Puis, alors que mon amie insistait et que sa détresse allait croissante, il lui a lancé : « Je n’ai pas de temps à perdre ». Mon amie a alors déclaré que son comportement s’apparentait à un refus de plainte. Dénégation du policier, qui est ressorti du bureau (nous étions toujours dans le couloir) et nous a ramené à la porte du service, qu’il a rapidement refermée derrière nous, en refusant de nous donner son nom et en cachant son numéro RIO. À ce stade, mon amie était en larmes, au milieu du hall. Elle s’est ruée vers les toilettes, prise de nausées, et s’est agenouillée au bord de la cuvette des toilettes, à la vue de toutes les personnes présentes dans la salle d’attente du commissariat. 

Un policier de l’accueil est venu nous voir. Nous lui avons expliqué ce qui venait de se produire, et avons demandé à pouvoir parler à un supérieur hiérarchique pour nous plaindre du comportement de l’agent. Après des échanges avec d’autres policiers, pendant lesquelles je tentais de rassurer mon amie, ce fonctionnaire est revenu nous voir et nous a invité à monter à l’étage du commissariat pour échanger avec un autre fonctionnaire qui nous a été présenté comme ayant le grade de commandant. Après que nous lui ayons exposé ce qui s’était passé, ce commandant n’a eu aucun mot d’excuse pour le comportement de son subordonné : il a avant tout cherché à nous convaincre que la situation ne pouvait être qualifiée de refus de plainte. Il nous a ensuite assuré que nous serions reçus par un autre agent du service des plaintes, qui prendrait la plainte de mon amie en ma présence. Nous avons été choqués de découvrir, dans le bureau où la plainte a finalement été prise, qu’était affiché au mur un rappel des droits des victimes, y compris le droit d’être accompagnées à tous les stades la procédure, qui a été si manifestement bafoué par l’agent qui nous a reçus dans un premier temps. 

Si j’ai pris le temps de vous exposer ce qui s’est passé, c’est parce qu’il me semble inadmissible que des victimes soient reçues dans de telles conditions au sein d’un commissariat. A fortiori quand il s’agit d’une victime de violences conjugales, à propos desquelles les membres du gouvernement, du ministre de l’Intérieur à la secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, multiplient les déclarations d’intention. Le procureur de Tours a également déclaré, lors de son entrée en fonction, vouloir faire de la lutte contre les violences conjugales une priorité. Comment imaginer qu’un tel objectif puisse être atteint si les policiers accueillent les victimes de cette manière ? 

Je me félicite que la situation ait été rétablie et qu’un policier ait finalement recueilli la plainte de mon amie, mais celle-ci est ressortie très éprouvée de cette expérience. Et je m’inquiète de savoir si le refus opposé initialement à ma présence (qui n’est certes pas stricto sensu un refus de plainte mais une violation des droits des victimes claire et nette) est un fonctionnement usuel au sein de ce commissariat concernant toutes les victimes ou bien celles de violences conjugales, pourtant particulièrement vulnérables au moment des dépôts de plainte.

En espérant que vos services sauront faire respecter les droits des victimes et plus largement les droits des femmes au sein de ce commissariat.