Note : Alors que cet article était en cours de retranscription, le gouvernement a rendu publique la lettre de mission de la commission chargée de remettre à plat le régime d’indemnisation des intermittents. Il y est notamment indiqué que « le Gouvernement exclut l’option de création d’une "caisse autonome" pour les intermittents : le régime doit rester dans le champ de la solidarité interprofessionnelle » [1]. Ce qui semble répondre en partie aux inquiétudes soulevées ici.
« Je mets de côté la nocivité de l’accord du 22 mars [2]. Je veux juste réagir par rapport à l’attitude du gouvernement au travers des propos de Valls : "On calme le jeu, on a pris conscience des risques, donc l’État va prendre ses responsabilités, on va sanctuariser le budget de la création pour rassurer les entreprises, et on va rassurer les salariés en disant que le différé d’indemnisation sera payé par le budget de l’État, et puis j’ai bien entendu la grogne sur le fait que vous n’ayez pas été vraiment écouté, donc je mets en place un groupe de travail."
Le gouvernement vient d’accorder au Medef ce qu’il attend depuis plus de vingt ans : que l’État intervienne dans le financement de la protection sociale. Pour la première fois, le gouvernement officialise le fait que le budget de l’État — c’est-à-dire la solidarité nationale — va se substituer au financement par la solidarité interprofessionnelle.
Ce n’est pas un hasard si ça touche les professions du spectacle. Depuis des années, ces professions constituent un laboratoire d’expérimentation sociale pour le Medef. Or, si les particularités d’une certaine forme de précarité liée à certains emplois justifient que le patronat se dédouane de sa responsabilité économique et renvoie le bébé dans le domaine de la solidarité nationale, c’est tout le système de la solidarité interprofessionnelle qui fout le camp.
Le Medef réclame cela depuis plus de vingt ans. A chaque fois, on a réussi à repousser le mauvais coup, et à obtenir la prorogation du dispositif existant. Mais ce dispositif a été progressivement égratigné, avec un certain nombre de collègues restés au tapis par le jeu des seuils qui ont été rabotés à chaque renégociation.
Là, on a réussi à faire la démonstration que l’accord était mauvais. D’ailleurs, Valls le reconnaît, puisqu’il se sent obligé d’intervenir sur le différé. Mais comme il ne veut pas lâcher l’idée que sa politique gouvernementale consiste à reconnaître la politique contractuelle (c’est-à-dire les accords conclus par le patronat et certains syndicats), ce sont des gens qui ne sont en aucun cas représentatifs de nos métiers qui décident.
Je ne veux pas entrer dans une polémique intersyndicale, mais il suffit de regarder les chiffres aux élections professionnelles : la CFDT et Force Ouvrière ne représentent quasiment rien dans le domaine du spectacle. En face de nous, le patronat n’a même pas un adhérent qui relève de notre secteur d’activité : les gros patrons de l’audiovisuel ne sont pas membres du Medef. On a donc tout un pan de l’économie — dont l’impact sur la richesse nationale est reconnu — qui n’est pas représenté par les partenaires sociaux. La CGT est la première organisation syndicale dans le domaine du spectacle, mais on a toujours refusé l’examen de ses propositions.
Et quelle que soit la qualité de la concertation réalisée par la commission créée par Valls, elle n’aura aucune valeur aux yeux des partenaires sociaux, qui traiteront les propositions formulées avec le même mépris qu’ils traitent depuis vingt ans les propositions faites par des partenaires légitimes.
Le Medef n’a même pas eu à réclamer un financement public du différé d’indemnisation : le gouvernement lui a amené comme un véritable cadeau. C’est une déclaration du premier ministre, pas celle d’un ministre que l’on pourra désavouer en invoquant une maladresse d’expression. Valls déclare que l’État doit intervenir dans le financement, et estime que le dossier Assédic est un élément de la politique culturelle de l’État. C’est monstrueux ça ! Si on n’arrive pas à le bloquer, ça va être gravé dans le marbre, et les partenaires sociaux ne reviendront jamais dessus.
L’accord du 22 mars vise aussi l’intérim. Or, l’intérim constitue une soupape d’ajustement pour les entreprises dans un certain nombre de secteurs d’activité. Demain, le Medef pourra dire : "Moi, j’assume la responsabilité du chômage pour les salariés en CDI, mais la précarité de la flotte d’intérimaires correspond à la réalité du monde social, et il n’y a pas de raison que les entreprises la supportent : cela devrait être intégré à la politique sociale de l’État, et donc relever de la solidarité nationale."
On a quand même réussi à mettre en place un rapport de force, plus unitaire que par le passé. Mais les "grands professionnels", qui jusqu’ici ont eu une attitude plutôt pas mal, commencent à lâcher du lest. Parce qu’il est beaucoup plus confortable de se dire que la culture est l’affaire d’un échange entre les professionnels et l’État (dans sa dimension "politique culturelle"), que de se dire qu’il faut se coltiner la dimension économique de nos activités. L’impact de nos activités n’est pas purement culturel, il est aussi économique. Évidemment, il est plus agréable de discuter de subventions que de devoir assumer la responsabilité de l’équilibre économique. Certains pourraient nous lâcher, parce qu’ils sont satisfaits des annonces de Valls : leurs budgets seront préservés, et les gens dont ils ont besoin verront leur différé pris en charge par l’État.
En annonçant que l’État prendrait en charge le différé d’indemnisation, le gouvernement a ouvert la porte à une sortie des gens du spectacle du régime de l’interprofessionnalité. On va donc bidouiller un système spécifique. Si l’on se dirige vers un système de caisse autonome, on va voir revenir les discours du type : "Combien vous rapportez à la caisse ? Combien vous en coûtez ?" Aujourd’hui, ce sont les gens du spectacle qui sont visés, mais demain, d’autres secteurs d’activité pourront être touchés. Au lieu de répondre à la légitime attente des professionnels du spectacle, le gouvernement a rebondi sur le conflit pour faire un pas vers une réforme plus fondamentale et structurelle. Voilà le débat politique auquel on est confrontés. »
La prochaine AG de la CIP 37 aura lieu le 26 juin à 9 heures 30, au Centre régional dramatique de Tours.