« L’épuisement des soignants est de plus en plus manifeste » ; « l’obstacle financier incite des patients à retarder certains soins, voire à les abandonner » ; « le seul indicateur qui semble importer est le résultat financier de l’établissement. » ; « la région affiche clairement un décrochage avec le reste de la population ». Les constats effectués par le CESER, dans un rapport adopté à l’unanimité [1], confirment les nombreuses alertes effectuées par les organisations syndicales et les collectifs d’usagers ces dernières années : la qualité des soins se dégrade, tout comme les conditions de travail des soignant-es. Pour expliquer cette situation, le rapport du CESER cite un ensemble de facteurs : fermetures de lits d’hospitalisation, application d’une logique purement comptable, politiques nationales mises en œuvre sans égard pour le contexte local, gestion des ressources humaines défaillante, etc.
C’est suite à une « saisine citoyenne » que le CESER s’est emparé de la question : après avoir reçu plusieurs pétitions ayant recueilli plus de 60 000 signatures, le conseil a mis sur pied un groupe de travail composé de douze personnes. Ce groupe de travail a limité son enquête à l’analyse de la situation des hôpitaux publics en région Centre-Val de Loire, sans prendre en compte la problématique particulière des EHPAD et en considérant la médecine de ville et l’hospitalisation privée sous le seul aspect de leurs rapports avec l’hôpital public. En revanche, la psychiatrie a fait l’objet d’un focus particulier.
Pénurie de médecins et renoncements aux soins
Le rapport relève que le Centre-Val de Loire se caractérise par des inégalités sociales et territoriales de santé marquées, avec des déterminants sociaux défavorables en zone rurale (Sud du Cher, Sud de l’Indre, Est du Loiret, cœur de l’Eure et Loir) et urbaines (cœur des grandes villes, plus particulièrement sur les questions de niveau d’étude, revenus, taux de chômage, bénéficiaires du RSA). La densité en médecins généralistes est largement la plus faible de France avec 130 médecins généralistes pour 100 000 habitants, contre 184 en moyenne en France hexagonale.
« Si la France est reconnue comme disposant d’un système de soins parmi les plus performants et les plus solidaires au monde, la situation en région Centre-Val de Loire affiche clairement un décrochage avec le reste de la population française. »
La pénurie de médecins et de personnel soignant, évoquée par toutes les instances auditionnées, se traduit au mieux par un recours à une offre extra territoriale, au pire par un renoncement aux soins. La carence de l’offre en médecine de ville est l’une des principales raisons qui expliquent l’engorgement chroniques des services d’urgence, confrontés à un flux de patients très important, bien supérieur à leur capacité d’accueil.
Sous-effectif permanent et manque de moyens
Dans son rapport, le CESER constate un épuisement chronique du personnel hospitalier, qui se traduit par un absentéisme de plus en plus important, qui génère une surcharge supplémentaire de travail pour les agents présents. Il pointe du doigt les coûts engendrés par le recours à du personnel intérimaire, et les tensions générées par les disparités de rémunération pour des activités identiques. Ainsi, les médecins titulaires d’un diplôme étranger, dont les effectifs ont explosé, sont recrutés sur contrat et souvent largement moins bien payés que les praticiens titulaires.
« Lors des auditions, de fréquents glissements de tâches ont été signalés avec la multiplication des agents « faisant fonction ou office de » (sages-femmes, aides-soignantes, infirmières). Ces glissements de tâche, illégaux, sont préjudiciables pour la sécurité des patients et entraînent de la frustration et de l’incompréhension pour les soignants »
L’organisation du travail est également critiquée : les heures supplémentaires ne sont pas récupérées, leur paiement est étalé pour rester dans le respect du cadre réglementaire (quand elles sont payées), les comptes « épargne temps » explosent. On observe par ailleurs des dépassements récurrents des durées maximales de travail hebdomadaire (48h), tout comme les sollicitations sur les temps de congés ou de repos.
« Le niveau de la capacité d’accueil est toujours positionné à la limite des normes de sécurité. Il en résulte une pression quotidienne sur les personnels qui ne travaillent pas dans la sérénité et qui n’ont plus le temps nécessaire à consacrer à chaque patient. »
La situation des professionnels de santé apparaît extrêmement critique, parfois à la limite de la rupture. Certains évoquent même que le système ne tient que par l’engagement du personnel qui aime son métier et assure tant bien que mal son service poussé par un sentiment de solidarité, de responsabilité – voire même parfois de culpabilité – vis-à-vis du patient. Mais il y a quand même, au bout du compte, beaucoup de départs d’infirmières, de médecins, ce qui fragilise d’autant plus l’hôpital.
Défaillance organisationnelle
Le rapport note ensuite que les décisions d’organisation ou d’adaptation liées à l’évolution de la prise en charge des patients apparaissent comme uniquement guidées par des considérations de rationalisation financière. Les personnels ont la conviction de n’être ni écoutés, ni entendus pour l’élaboration des projets d’établissement. Et souvent, les décideurs ne sont pas clairement identifiables, ce qui fait que les décisions ne sont pas assumées. Le CESER donne l’exemple de la maternité du Blanc, dans l’Indre : « Par exemple la décision de la fermeture de la maternité du Blanc a-t-elle été prise par le ministère de la santé, la Haute Autorité de Santé (HAS), par l’ARS, le conseil de surveillance, le directoire... ? »
Des problèmes d’organisation sont également identifiés au sein des services. La course perpétuelle contre le temps et les plannings rend les réunions de pôles ou de services de moins en moins nombreuses, ce dont se plaint l’ensemble des personnels. Par ailleurs, les contraintes administratives empiètent sur le temps médical — le rapport parle d’une « technocratisation » croissante du travail des médecins.
Une politique de santé nationale qui amplifie les difficultés locales
Le rôle des agences régionales de santé (ARS) est pointé du doigt. Directement placées sous la tutelle du ministre de la Santé, elles détiennent un pouvoir de décision prépondérant pour l’aménagement de la santé sur le territoire, sans contrainte d’une cohérence régionale. Si différents acteurs sont consultés par l’ARS pour avis, ces consultations sont de pure forme. Ainsi, pour l’établissement du Projet Régional de Santé, l’ARS n’a pas tenu compte des remarques formulées par le conseil régional.
« Le contexte national de maîtrise budgétaire, alors que la population augmente et vieillit et que donc la demande s’accroit, conduit proportionnellement à une diminution des moyens alloués. La réorganisation systémique ne permettra pas d’évacuer intégralement la question des effectifs, des emplois, des salaires et des conditions de travail, qui demeurent au cœur d’une offre sanitaire adaptée, sécurisée et de qualité »
Une situation qui pénalise les femmes
Dans sa conclusion, le rapport du CESER souligne que les nombreux dysfonctionnements constatés fragilisent encore plus les femmes, déjà impactées par la fermeture des plannings familiaux, par la dégradation des services donnant accès à l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG), et en bout de chaîne, par la fermeture de maternités, à l’origine de temps de trajets importants pour le suivi des grossesses et les visites des familles.