Femmes dans les médias : l’association Femmes 3000 Touraine défend un féminisme étriqué

Une majorité de femmes âgées de trente à soixante ans, pomponnées, arborant fièrement une panoplie de bijoux et une coupe de cheveux impeccable, un sourire discret aux lèvres. C’est ainsi qu’était composée la salle Rockefeller de l’Hôtel de l’Univers, dans le centre-ville de Tours, mardi 11 février. La délégation tourangelle de l’association Femmes 3000 y organisait une conférence sur « la place de la femme dans les médias ».

L’occasion pour elles de tomber dans un lieu commun d’un certain féminisme actuel qui est de servir les clichés qu’il est supposé combattre.

Avec cinq mères sur six intervenantes, le débat s’est très vite centré sur la maternité, donnant ainsi l’impression qu’être une femme de notre siècle c’est jongler entre maternité et carrière professionnelle. Mais être parent, ce n’est pas qu’une affaire de femmes. En appuyant sur la difficulté d’être à la fois mère et journaliste, on en vient à servir l’idée patriarcale qu’après tout, si elles ont fait le choix de cette profession, il est de leur responsabilité de décider de fonder une famille dans de telles conditions. Une problématique qui n’aurait jamais été abordée dans une conférence sur les médias de manière générale, avec des intervenants mixtes. Pourtant, les animateurs radios et pères de famille qui se lèvent aux aurores manquent aussi le traditionnel petit-déjeuner familial. En occultant ces cas de figure, veut-on nous faire comprendre que seules les femmes peuvent souffrir d’une vie de famille instable ? Un féminisme intelligent ne voudrait pas plutôt faire entendre que père et mère partagent ces difficultés du quotidien ?

Maguelone Hédon, ancienne journaliste aujourd’hui communicante pour le compte de la région Centre, fait également grincer des dents lorsqu’elle généralise jusqu’à l’absurdité. Pour elle, l’homme politique - figure conquérante - tentera toujours de séduire la journaliste, prise pour une idiote qui serait incapable de creuser son sujet. C’est donc l’homme qui a le pouvoir et la femme qui est victime, à moins qu’elle ne joue de son charme. Mais dans ce dernier cas, elle subira également un cliché qui pèse sur son sexe : celui de l’amazone qui joue de ses atouts féminins pour reprendre le pouvoir aux hommes qui se sont laissés tenter. S’il est difficile d’affirmer que cela n’arrive jamais, l’on a du mal à entrevoir « les solutions possibles pour améliorer la situation » qui étaient censées être discutées.

Cette soupe de clichés très hétéro-centrée [1] passe à côté des réalités. Quid de la journaliste et de l’homme politique peu séduisants, du journaliste et de la femme politique ? Nos intervenantes semblent ici oublier que le pouvoir n’est pas qu’une affaire de sexe mais aussi de tempérament. C’est à la journaliste qu’il incombe de se laisser embourber ou non dans ces stéréotypes de la mijaurée ou de l’amazone. Car ce que l’on nous dit pas c’est qu’elles peuvent également exercer leur profession sans y donner de leur féminité.

Cela est également valable pour le traitement des sujets. Pour les intervenantes, il est essentiel de donner la parole aux femmes et de traiter des sujets dits « féminins ». Mais plutôt que d’appuyer sans cesse sur ces différences de sexe, ne ferions-nous pas mieux d’abolir cette idée de sujets traités par des femmes pour être lus par des femmes ? Il semble que ce serait là un plus grand pas vers l’égalité. Pour prendre un exemple actuel, le droit à l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) est considéré comme un débat féminin, voire féministe, alors qu’il s’agit de sujet de société. En effet, chacun devrait être informé en tant que citoyen, indépendamment de son sexe, pour choisir dans quel modèle de société il veut vivre. L’accès ou non à l’IVG pour les femmes concerne également les hommes puisqu’un enfant se fait à deux. Il leur importe donc également de choisir si l’avortement doit rester légal.

Si le débat est souvent mal orienté, l’on retient tout de même que les six intervenantes sont défavorables à l’application de quotas hommes/femmes dans leur secteur d’activité, à savoir les médias. Elles mettent très justement en avant l’aspect au final inégalitaire des quotas qui fait du sexe un critère plus important dans l’acquisition d’un poste que les qualités professionnelles.

A noter également qu’Aurélie Renault de TV Tours et Stéphanie Perri de RTL2 Touraine sont parvenues à nuancer les propos stéréotypées de leurs consœurs en démontrant une réelle passion pour leur métier, indépendante de leur sexe.

La conférence s’est terminée par quelques mots de Laurence Hervé, présidente de Femmes 3000 Touraine [2], remerciant « toutes celles » qui étaient présentes, oubliant les quelques hommes dispersés dans l’assemblée. Si le féminisme doit être une affaire exclusivement féminine, à quoi bon lutter pour une société égalitaire ?

Jessica LOMBARDI, Étudiante à l’École Publique de Journalisme de Tours (EPJT)

P.-S.

« L’événement a été présenté alternativement comme portant sur "la place des femmes dans les médias" ou "la place de la femme dans les médias". On a choisi de garder la seconde formulation, mais cette différence de vocabulaire n’a rien d’anodin. L’expression "la femme" (détournée par certaines féministes en "Lafâme") renvoie à une image stéréotypée des femmes qui ne tient absolument pas compte des différentes expériences qu’elles peuvent vivre en fonction de leur âge, de leur classe sociale, de leur couleur de peau, etc. »

Notes

[1C’est-à-dire qui suit les valeurs ou les codes hétérosexuels dominants dans la société.

[2Femmes 3000 est une association loi 1901 qui se donne pour mission de "donner de la visibilité aux femmes et à leurs projets" et "encourage la prise de risque et travaille pour l’égalité des chances dans tous les domaines." La délégation tourangelle "rassemble des chefs d’entreprise, des cadres dirigeants, des hauts fonctionnaires, des professions libérales, des artistes, …"