Ballast : « Je suis, cela va sans dire, un adversaire du sionisme », affirmait Trotsky en 1934 dans le cadre d’une interview parue dans Class Struggle. 85 ans plus tard, cette évidence n’en est plus une, et peut-être même exposera-t-elle bientôt, à entendre Macron, à des représailles judiciaires ! Qu’est-ce qu’être antisioniste, aujourd’hui, quand le projet sioniste a triomphé, que la communauté internationale l’a ratifié à la majorité et qu’une armée des plus solides le « sécurise » durablement ?
Rappelons d’abord que le sionisme est un mouvement nationaliste né dans des conditions particulières : il s’inscrit dans le mouvement des nationalités du XIXe siècle, mais avec une spécificité : il naît, à la différence des autres idéologies nationalistes, au sein d’une minorité nationale diasporique qui n’est majoritaire nulle part et qui est opprimée, justement, par les idéologies nationalistes européennes, qui désignent les Juives et les Juifs comme extérieurs au corps national en développant l’antisémitisme. C’est donc initialement une idéologie nationaliste qui se présente comme une solution à l’antisémitisme. Mais du fait de cette situation minoritaire des Juifs et des Juives, la constitution d’une majorité nationale juive sur un territoire donné, et donc d’un État-nation, n’a pu se faire qu’avec une entreprise coloniale — elle-même d’un genre particulier puisqu’elle s’est faite sans qu’existe initialement une métropole. Entreprise qui a eu pour conséquence l’expulsion massive des Palestinien·ne·s. Ainsi que la mise en place d’une domination coloniale sur ceux et celles-là en Palestine. Au sein de la minorité juive, cette idéologie a longtemps été minoritaire, même si elle a gagné progressivement en influence avec la montée de l’antisémitisme. Mais elle a été combattue par d’autres idéologies, dont les idéologies révolutionnaires qui la critiquaient à la fois pour sa tendance à porter l’effort sur le projet colonial au détriment de la lutte en diaspora contre l’antisémitisme, pour sa volonté de nier la culture juive diasporique et pour la conséquence du projet sioniste sur les Palestinien·ne·s. Aujourd’hui, les courants qui se revendiquent du sionisme en diaspora continuent de mettre en avant l’installation en Israël comme la solution face à l’antisémitisme.
Notre opposition au sionisme découle d’une double analyse. Premièrement : d’une position antinationaliste qui, sans nier les spécificités du sionisme par rapport aux autres nationalismes, en identifie également les traits communs. Cette position est notamment fondée sur l’analyse de l’effet que cette idéologie nationaliste (dans ses courants divers, de l’extrême droite à l’extrême gauche) a sur notre minorité : isolement, mécompréhension des dynamiques de l’antisémitisme, renonciation à la lutte, ici remplacée par le soutien à l’État-nation israélien. Deuxièmement : de nos positions anticolonialistes, en cohérence avec nos positions révolutionnaires. Aujourd’hui, l’idéologie sioniste continue à justifier le statu quo colonial et l’expropriation des Palestinien·ne·s au nom de la nécessité vitale de préserver un État-nation refuge pour les Juifs et les Juives. Pour la gauche sioniste, c’est un mal nécessaire (qu’il faudrait éventuellement limiter dans l’espace afin de préserver le fait national israélien) ; pour la droite, c’est une pratique légitimée par l’Histoire. Aucune paix durable et juste ne peut découler d’une telle vision, qui nie l’effet concret de ce projet sur les Palestinien·ne·s : expropriation, expulsion, violence armée permanente, oppression raciste…
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