Que mange-t-on quand on ouvre une boîte de concentré, verse du ketchup dans son assiette ou entame une pizza ? Des tomates d’industrie. Transformées en usine, conditionnées en barils de concentré, elles circulent d’un continent à l’autre. Toute l’humanité en consomme, pourtant personne n’en a vu [1].
Pour comprendre comment la Chine est devenue le premier producteur mondial de concentré de tomates à l’aube des années 2000, il faut remonter au pacte noué par des entrepreneurs italiens avec les militaires du Xinjiang. Les Italiens sont allés jouer aux Marco Polo, en proposant d’installer des usines clés en main, que les Chinois ont remboursées les années suivantes en expédiant des barils de concentré vers Naples. Ce modèle, reposant sur le travail à bas coût des populations locales, voire de prisonniers, a permis d’approvisionner les conserveries napolitaines en concentré chinois. Le concentré, une fois arrivé en Italie, était habillé aux couleurs italiennes. Cela continue aujourd’hui. Ainsi est né Chalkis, géant industriel du Bingtuan dédié à la tomate.
Les institutions financières internationales ont voulu imposer le néolibéralisme à l’Afrique. Résultat ? Des usines qui hier transformaient sur place des tomates pour nourrir les Africains ferment du jour au lendemain, à cause de la concurrence déloyale de la pâte chinoise. De jeunes producteurs de tomates sénégalais ou ghanéens, ruinés, partent vers l’Europe. J’ai aussi rencontré de nombreux migrants cueilleurs de tomates dans les vastes bidonvilles du sud de l’Italie. Certains cueillaient hier des tomates dans leur pays. Désormais, ils sont encadrés par la criminalité organisée et récoltent les « tomates pelées » que nous retrouvons, en boîte, dans les supermarchés.
Lire l’intégralité de l’entretien sur le site de CQFD.
Illustration : Brian Wilkins, CC BY-NC 2.0.