Ecrire la ville : Tours dans la littérature

Qu’elle corresponde ou non avec nos représentations, la description de la ville en littérature peut apparaître jubilatoire pour le lecteur... surtout quand elle colle à l’actualité. Le plus étonnant est encore de lire une description d’une ville différente de celle où l’on vit et d’y trouver les traits de ce que l’on ressent à son égard. Concernant Tours, il serait intéressant de voir tout ce que l’on en a raconté et que l’on en raconte encore. Pour vous y inviter, nous reproduisons ici quelques extraits d’œuvres évoquant Tours ou pouvant nous y faire penser...

Un américain à Tours : quand Henry James raconte la ville

« J’ai honte de commencer en disant que la Touraine est le jardin de la France : il y longtemps que cette idée à perdu sa sève. Le ville de Tours n’en est pas moins une douceur et un éclat qui suggèrent qu’elle est plantée au milieu des vergers. C’est une très agréable petite ville : il y en a peu de sa taille qui soient plus mûres, plus aurto-suffisantes ou, dirais-je, plus en accord avec elles-mêmes et moins enclines à envier les responsabilités de cités plus importantes. C’est vraiment la capitale de sa souriante province où l’abondance vient sans peine, où l’on vit bien et où l’on entretient des opinions bonhommes, pas dérangeantes, optimistes et passablement indolentes. » [1]

La Comédie tourangelle

S’inscrivant dans La Comédie Humaine, œuvre somme de Balzac, Le curé de Tours lâche par bribe quelques commentaires acerbes sur la ville.

« Un antiquaire, s’il y en avait à Tours, une des villes les moins littéraires de France, pourrait même reconnaître, à l’entrée du passage dans le Cloître, quelques vestiges de l’arcade qui formait jadis le portail de ces habitations ecclésiastiques et qui devait s’harmoniser au caractère général de l’édifice. […] Il ne fallait pas plus de dix minutes pour venir du pont de Tours à la porte de cette maison, nommée l’Alouette et avantage précieux dans un pays où personne ne veut se déranger pour quoi que ce soit, même pour aller chercher un plaisir. » [2]

Tours, la rouge et noire !

Poursuivons avec Gérard Lecha et son livre Le petit Montmartre tourangeau : Tours, le quartier Paul-Bert et ses mémoires dans lequel il donne à voir un Tours loin de tout spectacle [3].

« "La population du quartier Paul-Bert, c’était des ouvriers qui aimaient le Beau, qui n’étaient pas vulgaires (…) A l’époque on se connaissait tous. Et puis on a un petit fond poète dans cette ville de Tours. Beaucoup de gens de Paul Bert étaient des socialistes mais comme on n’en rencontre plus aujourd’hui ; des gens qui aimaient le partage, qui pratiquaient l’entraide." En réalité, l’attitude des socialistes de cette époque était beaucoup plus proche de l’anarcho-syndicalisme du début du début du [20ème] siècle basé sur cette entr’aide (…) »

Colette(s) is not dead et Peuples en Mouvement s’inscrivent dans l’histoire du quartier Paul Bert

Toujours avec Gérard Lecha, on perçoit à quel point des initiatives comme le festival Peuples en Mouvement [4] et l’envie féroce de la SCIC Les Colettes [5] de conserver ce bar mythique peuvent faire historiquement sens.

« […] La fête à Paul Bert durait quatre à cinq jours dans les années 50 […] D’après nos témoignages, les forains appréciaient beaucoup cette fête et la plupart disaient que c’était la meilleure de la ville. Les forains avec leurs manèges (les fameux " chevaux de bois " d’antan) et leurs stands et baraques s’installaient donc sur la place et aussi un peu sur le quai par-delà l’estrade qui était monté à côté du pont de fil, la fameuse estrade (appelée aussi podium par d’aucuns !) sur laquelle les déguisés venaient se produire. Comme cette dernière faisait face aux cafés du quai, ceux-ci forcément ne désemplissaient pas pendant tout le temps de… "l’exhibition où l’on rivalisait de drôleries et de polissonneries".

Le vendredi soir, dès après la sortie de l’école, ou même certaines années tout l’après-midi de la fête car cette fête avait lieu la première semaine de septembre, les manèges tournaient pour les enfants gratuitement. Le samedi, il y avait de la musique dans toutes les petites ruelles et biens des habitants du quartier accueillaient toute la journée des parents des environs qu’ils avaient invités pour participer avec eux aux réjouissances. Car la fête à Paul-Bert était réputée. Il nous fut d’ailleurs dit textuellement : "Quand il y avait la fête à Paul-Bert, tout Tours venait" » [6]

En ces temps où des abruti.e.s défilent dans Tours avec des flambeaux

Dans L’Origine [7] Thomas Bernhard aurait tout a fait pu évoquer Tours — en vérité, il évoque ici Salzbourg par temps nazi… D’ailleurs, on se dit que « les opinions bonhommes, pas dérangeantes » dont parle Henry James pourraient bien provoquer ce qui suit !

« Pour qui la connaît, elle et ses habitants, cette ville est à la surface un beau cimetière mais sous la surface un cimetière effectivement terrible des imaginations et des désirs. Pour l’écolier ou l’étudiant qui essaye de trouver le bon chemin et le bon droit dans cette ville qui jouit d’un renom de beauté édifiante et qui par surcroît, au temps des soi-disant festivals jouit du renom du soi-disant Grand Art, cette ville ne tarde plus à n’être qu’un musé glacé de la mort, ouvert à toutes les maladies, où naissent pour lui les obstacles humainement pensables ou impensables qui désagrègent brutalement et blessent au plus profond de lui-même ses énergies, ses dons et ses dispositions intellectuelles, elle cesse bientôt d’être à ses yeux une belle nature et une belle architecture exemplaire, elle n’est rien d’autre qu’une broussaille humaine impénétrable, faite de vilénie, d’abjection, et quand il marche dans ses rues il ne marche plus dans une atmosphère musicale, il n’y marche qu’avec un sentiment de répulsion pour le bourbier moral où vivent ses habitants. Pour celui qui y a été tout à coup frustré de tous les biens, cette ville est, en accord avec son âge et dans l’état où il se trouve, non pas un désenchantement mais un objet d’effroi et elle possède pour tout, même pour les violentes émotions, ses arguments mortels. »

Notes

[1Voyage en France, 1882. Traduit de l’anglais par Philippe Blanchard. Robert Laffont, 1987.

[2Le curé de Tours, 1832. A lire ici : http://www.lire-des-livres.com/le-cure-de-tours/

[3Le petit Montmartre tourangeau : Tours, le quartier Paul-Bert et ses mémoires. L’Harmattan, 1988

[4cette année le festival aura lieu le 24 mai. Plus d’infos : http://www.peuplesenmouvement.org/

[6Op. cit.

[7L’Origine, 1975. Traduit de l’autrichien par Albert Kohn. Gallimard, 1981.